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Au cours de l’histoire de l’informatique scolaire et universitaire, il y a un espace symbolique qui aura marqué les quarante premières années de son développement : la salle informatique. Or avec l’évolution des matériels, cette salle est remise en question. On trouve pourtant encore de nombreux lieux qui conservent, même lors de leur création sur plan, la forme de « la salle de classe informatisée à l’ancienne ». En regardant, récemment, le plan d’un bâtiment d’un établissement scolaire, il avait été décidé, avant même quelque réflexion sur l’avenir, qu’il y aurait des « salles d’informatique ». Chacune de ces salles, sur le plan, présentait en vue du dessus une salle de classe avec la forme traditionnelle dite « en rangs d’oignons » avec le poste professeur face aux élèves. Autrement dit, il y a un allant de soi, presque une représentation sociale de l’informatique à l’école fondée sur la reproduction de la salle de classe à l’ancienne… Comme si ni la pédagogie, ni la technique n’avaient évolué depuis le début de XXè siècle.

Revenons aux débuts de cette histoire lorsque, au début es années 1980, le monde scolaire « s’éveille » à l’informatique. D’un coté l’enseignement professionnel, en particulier tertiaire dès les années 1975, de l’autre l’enseignement général et ses fameux nanoréseaux installés à partir de 1980. Les matériels disponibles ont longtemps constitué une contrainte pour les locaux. Leur poids, leur taille, les contraintes techniques liées aux composants et à la sécurité ont pesé lourd dans les premières implantations et pourtant le modèle canonique avait vite et mis de coté. En effet le modèle recommandé des salles bureautiques des années 1980 était basé sur l’idée d’activités mixtes dans la même salle : travail sur poste, travail individuel sur papier et travail de groupe par ilots. Mais dans le même temps, la fin des salles d’apprentissage de la frappe clavier (la dactylographie) sur machine à écrire laissait perdurer des salles à l’ancienne. Avec les nanoréseaux, difficile de mettre une salle en rangées. La quantité de fils qui reliaient les ordinateurs en réseau (oui déjà !), la gestion de l’alimentation électrique, les machines elles-mêmes imposaient une disposition en U sur les murs de la salle ou légèrement en avant.

On a pourtant vu, dès le début de l’informatisation, des établissements choisir des ordinateurs en fond de classe. Il n’y en avait que un ou deux, parfois même c’était ceux de l’enseignant. Les mettre dans la classe c’était s’assurer de leur disponibilité au cœur d’une pédagogie souvent différenciée (pas assez d’ordinateurs pour tous les élèves, la classe atelier devient pertinente…) ou encore une pédagogie du renforcement et de l’entraînement individualisé. A l’image de l’imprimerie de Célestin Freinet nombre d’enseignants s’y sont mis de cette manière. Au delà de la modestie des moyens, certains refusaient même l’idée d’une salle informatique. En effet il fallait la réserver, s’assurer de son bon fonctionnement, s’y déplacer et quand on y était, il fallait s’en servir, car bien souvent il n’y avait pas la place de faire autre chose que d’utiliser le claver et l’écran… autrement dit une contrainte supérieure aux bénéfices rêvés.

En fait la salle informatique à l’ancienne est issue d’un croisement entre l’informatique individuelle – un élève, un poste – et l’apprentissage, type dactylographie, des logiciels. Alors que les directives officielles, basées sur l’évolution de l’informatique en milieu professionnel, invitaient à du travail par petits groupes, la pédagogie de l’informatique tertiaire, programmation en basic (c’était dans les programmes de BEP ASAI en 1981), traitement de texte, tableur, gestion de fichier, a trouvé dans l’arrivée de l’ordinateur individuel un allié efficace pour ramener à une forme plus académique. Tout le monde y trouve son compte, au moins partiellement, car on n’a pas changé les habitudes pédagogiques. Certes les élèves sont cachés derrière leurs écrans, mais ils sont comme des élèves dans une classe sans matériel. Heureusement les deux systèmes d’organisation spatiale ont cohabité. Et pourtant la salle informatique à l’ancienne a perduré et s’est même perfectionné avec les logiciels qui permettent à l’enseignant, sans se déplacer (sic, sur la notice constructeur) de surveiller les élèves, comme dans le labo de langue… En effet ces fameux logiciels, issus du monde de la gestion de parcs professionnels, permettent, avec ou sans l’accord de l’usager de « voir » son écran, et éventuellement d’y intervenir.

Mais la salle informatique va-t-elle disparaître ? Pour l’instant, elle résiste, mais se voit poussée dehors. En premier lieu arrivent les portables… Même si l’on a vu des établissements faire des salles informatiques de portables (dans le plan école numérique rurale cela a été parfois le cas) alors qu’ils pouvaient choisir d’autres types d’installation, on s’est vite aperçu qu’il y avait encore une fois une question de choix pédagogique. Ce sont les évolutions technologiques qui vont mettre en question la salle, pas forcément les usagers. L’ordinateur portable offre une souplesse d’usage intéressante, surtout si l’on se rappelle les premiers ordinateurs personnels indéplaçables (hormis les premiers macintosh). Mais l’autonomie est réduite, donc il faut prévoir l’alimentation électrique, le rechargement des batteries etc… Amusant de voir aujourd’hui un amphi avec ces gens qui font la course à la prise électrique…. On voit aussi les établissements, les plus récentes mettre des prises dans le sol… Mais arrivent les tablettes avec une autonomie qui se veut autour de la dizaine d’heure. Du coup on ‘affranchit d’une deuxième contrainte. Comme en plus le poids leur permet de se glisser au fond du cartable, on ne peut qu’envisager leur développement rapide. Et c’est quand les smartphone arrivent qu’apparaît une nouvelle possibilité. L’accès au réseau est devenu incontournable pour qui veut travailler avec un ordinateur en classe. On retombe donc sur la question des locaux. Avec le smartphone, la salle de classe serait au fond de la poche, connectée en permanence par un réseau 3g ou4g ?

On assiste progressivement à une inversion : quand l’informatique est arrivée on lui a construit des temples, les salles informatiques que l’on ouvrait surtout les jours des portes ouvertes… Aujourd’hui les élèves font rentrer leurs équipements dans les salles de classe « polyvalentes ». Nombre de responsables ont déjà perçu le gain que consiste à ne plus immobiliser des salles pour une fonction (la fameuse question des salles dédiées dans les emplois du temps). Le développement rapide des projets d’utilisation des tablettes, après ceux des ordinateurs portables, montrent que progressivement la salle informatique est en voie de disparition. Mais on assiste aussi à une mise en question de la salle de classe elle-même. En effet avec le développement des plateformes (ENT), la salle peut se transformer. L’accès numérique aux données de l’enseignant ouvre de nouvelles formes de « faire école » qui sont déjà mise en œuvre dans certains projets. Du coup l’informatique devient un élément d’un paysage encore traditionnel, la salle de classe à la peau dure. Mais les élèves, et les adultes, avec la maturité de leurs pratiques sociales invitent les décideurs à réfléchir aux nouvelles organisations spatiales et temporelles de l’enseignement… Mais là il s’agit de changements d’une autre nature, plus culturels, et donc plus lents…

Bruno Devauchelle

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Les chroniques de B Devauchelle