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Lycéen, enseignant, organisateur, académicien : tous partagent avec nous le souvenir et les espoirs de ce pari pédagogique.

Parole de lycéen

Théo Herrias est élève en première L au Lycée Claude Fauriel à Saint-Etienne. Il a participé à la sélection du roman lauréat 2012 dans sa classe Goncourt, aux délibérations régionales, puis aux délibérations nationales. Il a été chargé jeudi 15 novembre à Rennes d’annoncer officiellement le nom du vainqueur.

Etes- vous personnellement satisfait du choix du roman primé cette année ?

Oui, personnellement j’ai voté pour « La Vérité sur l’Affaire Henri Québert », donc j’en suis heureux. C’est un choix qui a été fait par la quasi unanimité des délégués régionaux. Ce qui m’a plu particulièrement, c’est qu’il s’agit d’un roman policier très riche en rebondissements. Ca se passe dans un coin un peu perdu et on a une sorte de portrait de l’Amérique profonde, un portrait qui est particulièrement bien fait. Ce livre a quelque chose de plus qu’un polar normal : il a une âme. L’aspect mise en abyme est très intéressant, mais je ne peux en dire plus sous peine de dévoiler des choses…

Dans ces délibérations, est-ce que les débats ont été vifs ?

Oui, les débats ont été musclés, il y avait de l’engagement, et c’était bien. J’avais peur qu’on soit trop timides, qu’il n’y ait pas beaucoup de développements, que ce soit deux heures assez longues.

Comment as-tu réussi ce pari un peu fou : lire 11 romans en 2 mois ?

On a mis en place un roulement qui permettait de lire deux livres par semaine. Chaque semaine, on avait un petit débat dans la classe sur les aspects positifs et les aspects négatifs des livres lus. Et cela a suffi : on a eu le temps de lire tous les livres, sans avoir à se forcer. On a aussi fait quelques travaux écrits comme rédiger un texte à la manière d’un des auteurs de la sélection. Cela nous permettait vraiment d’approfondir, cela nous invitait a relire pour connaître encore mieux le roman.

Avez-vous rencontré des écrivains sélectionnés?

On est allés à la conférence de Lyon à la cite internationale. On a rencontré 6 écrivains : Joël Dicker, Thierry Beinstingel, Serge Bramly, Linda Lè, Gaspard-Marie Janvier, Vassilis Alexakis. C’était très intéressant : les écrivains ne se sont pas contentés de parler de leurs livres, ils nous ont livré leur point de vue sur plein de choses différentes..

Au final, maintenant que vous arrivez au bout de l’expérience, quel bilan en tirez-vous ?

Oui, c’est fini là. C’était une expérience super enrichissante. Géniale aussi pour moi parce que j’ai réussi à aller le plus loin possible, à me faire élire comme délégué, ce qui est une fierté pour moi quand même. Et c’est un enrichissement d’avoir lu de super livres. Je compte bien continuer à lire et je ne manquerai pas la prochaine rentrée littéraire.

Parole d’enseignante

Isabelle Savéan est professeur de français au lycée Emile Zola à Rennes. Elle a animé le « Goncourt des Lycéens » dans une classe de seconde (35 élèves).

Quels profits vos élèves ont-ils tirés de cette expérience?

Des profits immenses ! Certains de mes élèves n’avaient pas réussi à lire un seul livre de toute leur scolarité, d’autres avaient pu lire de la littérature de jeunesse, d’autres étaient déjà de bons lecteurs : tous ont adhéré au projet, et chacun en a profité à sa mesure. Celui qui n’avait jamais rien lu, est parvenu à en lire quatre, et un tiers de mes 35 élèves, a enchaîné les 11 romans de la sélection, ce qui est vraiment exceptionnel en seulement 6 semaines. Bien qu’ils aient découverts le projet seulement à la rentrée, les élèves ont vraiment joué le jeu. Enfin, cette aventure du Goncourt a pu accélérer l’intégration de chaque élève dans la classe.

Avez-vous adopté une stratégie particulière pour les inciter à lire ?

Au début : l’incitation, l’enthousiasme, l’énergie collective. Puis, chaque semaine, j’organisais des débats pour faire le point sur les romans qui avaient été lus ; des élèves se retrouvaient face à face, pour dire ce qu’ils avaient compris du livre, aimé, pas aimé. La classe renchérissait. Mon rôle ne fut pas d’orienter le jugement, mais d’expliciter certains éléments qui pouvaient échapper, par exemple ce qui concerne Marcel Duchamp dans le roman de Serge Bramly. Ce sont ces mini-débats qui ont appris aux élèves à trouver des arguments, à dépasser leurs simples impressions, si bien qu’en deux mois, ils ont vraiment réussi à formuler des critères littéraires, sans pour autant avoir eu des cours de littérature, reportés à après la Toussaint, du fait de ce projet chronophage. Cette lecture en immersion a été remarquablement efficace.

Avez-vous mis en place aussi des activités d’écriture ?

Oui, parce qu’il faut bien des notes, mais surtout parce que depuis plusieurs années je fais participer mes classes au concours de critiques littéraires, organisé par la Région Bretagne en lien avec la sélection Goncourt. Nous avons, en cours, défini les critères de l’écriture critique, à partir de l’observation des textes primés les années précédentes, puis chaque élève a rédigé deux critiques sur les romans qu’il venait de lire. EIles sont d’ailleurs publiées sur la plateforme du « Goncourt des lycéens 2012 ». S’ajoute la création du carnet de bord, avec des textes de formes diverses, par exemple les abécédaires, les portraits chinois, une activité menée avec la documentaliste Françoise Guillouche.

Avez-vous rencontré des écrivains ? Est-ce que ces rencontres ont influencé leurs goûts et leurs choix ?

Oui, nous avons rencontré Patrick Deville, dans un petit-déjeuner littéraire organisé spécialement pour nous par la Fnac (via Anne Giummelly). Pour éviter que toute la classe ne soit influencée par cette rencontre singulière et ne vote en masse pour cet écrivain juste du fait de cette rencontre, j’avais prévenu que seuls ceux qui auraient lu Peste et Choléra, y participeraient : dès lors, de 5 ou 6 à l’avoir lu, ils étaient une quinzaine lors de la rencontre dont ils revinrent tous enchantés. Dans le tiercé final de la classe, figurait d’ailleurs le roman de P.Deville… De même, Comme une bête avait été rejeté de manière forte par la classe qui était heurtée par certaines scènes : après les Rencontres Régionales de Nantes, le livre a été considéré différemment parce que les élèves ont apprécié le discours de Joy Sorman et mieux compris son projet… En revanche, le roman de Joël Dicker que nous n’avons pas pu rencontrer puisqu’il a fait faux bond à Nantes, a été un coup de foudre immédiat. Le choix de Dicker, aujourd’hui, était donc prévisible. Mes élèves n’ont pas perçu certaines facilités d’écriture que l’on pourrait reprocher au roman ; au contraire, selon eux, c’est précisément cette envie de tourner les pages de manière irrépressible, qui rend le livre magnifique : ils s’étonnaient eux-mêmes d’être ainsi embarqués, de parvenir à aller au bout de ces 650 pages, en moins de deux jours. La Vérité sur l’affaire Harry Québert peut, me semble-t-il, être très utile pour faire aimer la lecture à tous les élèves, quel que soit leur passé de lecteur. Peut-être le choisirais-je désormais comme roman de début d’année, pour amener ensuite les élèves à la lecture des œuvres classiques du programme de Seconde.

Parole d’Académicien Goncourt

Pierre Assouline, écrivain, journaliste, blogueur, est membre de l’académie Goncourt qui chaque rentrée propose sa sélection de romans et chaque mois de novembre décerne le plus réputé des prix littéraires de France. Il est venu à Rennes le 15 novembre 2012 manifester le soutien de l’académie au travail des lycéens.

Qu’est-ce que le prix Goncourt des lycéens apporte selon vous à des lycéens ?

Il leur apporte une motivation, une stimulation formidable, qui ne s’obtient pas simplement par l’enseignement. Il leur apporte un développement du jugement critique, un développement du travail en commun, de la délibération en commun, et outre le goût de la lecture qui en sort renforcée indubitablement, il leur apporte de resserrer des liens avec les enseignants qui s’y impliquent.

Est-ce que cela vous semble une bonne façon d’introduire la littérature contemporaine à l’école ?

C est le but premier. On ne peut pas faire un Goncourt des lycéens à chaque fois qu’on va parler de Voltaire. N’oublions pas que le Goncourt des lycéens, c’est des livres de littérature contemporaine vivante, toute neuve. Il serait difficile de faire passer Proust de la même manière. Sauf à rejouer l’opération avec des classiques modernes, ce qui serait très intéressant !

Vous avez rencontré vous-même des lycéens : qu’est-ce que cela vous apporte à vous ?

La fraîcheur du jugement, de l’innocence.et une surprise. A chaque fois, c’est vraiment surprenant, cela ne correspond pas du tout à ce qu’on imagine. Là c’est des gens qui n’attendent rien en échange, ils sont beaucoup plus libres que nous, beaucoup plus désinhibés, donc il y a une liberté de ton qui est très précieuse.

Vous consacrez un blog à la littérature : pensez-vous qu’internet puisse aussi apporter plus de littérature aux lycéens ?

Sans aucun doute parce que c’est un prolongement, c’est gratuit, il y a une part d’interactivité qui fait qu’il y a une discussion qui s’engage, et pour peu que le lycéen soit un petit peu curieux, l’internet lui permet de développer bien davantage sa curiosité envers les livres.

Parole d’organisatrice

Depuis des années, Jeannie Le Villio préside l’association Bruit de Lire qui organise le Goncourt des Lycéens.

Le Goncourt des lycéens fête son 25eme anniversaire : quel bilan tirez-vous de cette expérience qui a désormais un quart de siècle ?

Le bilan, c’est d’abord le palmarès. Je suis très fière globalement du choix des lycéens au cours de ces 25 opérations. Je trouve qu’à chaque fois, ils ont su trouver un livre de valeur. Dans toutes les délibérations, ce sont des arguments solides, des débats contradictoires riches, donc le choix est toujours solide, justifié et de grande qualité.

L’autre satisfaction, ça a été, je crois, un cadeau qu’on a pu faire aux différentes classes, qui initialement n’étaient peut-être pas enchantées d’entrer dans ce qu’on appelle maintenant communément un « marathon de lecture ». Souvent 15 livres en 8 semaines : on comprend qu’ils n’aient pas toujours sauté de joie quand on leur présentait le programme à la rentrée. Et malgré tout, pendant toutes ces années, ils ont joué le jeu. Ils ont pu découvrir tout un monde, notamment à travers les rencontres que nous avons organisées tous les ans à rennes après le prix : des rencontres avec des acteurs du monde de la littérature, les écrivains, les éditeurs, les critiques, les bibliothécaires, ils ont pu aller plus loin que ce que les programmes de français leur permettent parfois de faire, dans la découverte du genre romanesque ou des métiers du livre… On a tous en mémoire tel élève qui a ainsi découvert qu’il serait libraire, tel autre qui a ainsi décidé qu’éditeur c’était un beau métier…

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut