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Deux cent inscrits, une conférence le vendredi soir , une deuxième le samedi, des ateliers… Le 22ème Salon des apprentissages, organisé par le groupe départemental Pédagogie Freinet, a fait le plein les 16 et 17 novembre. Après des années de « contre animations pédagogiques », le mouvement Freinet se réunit dans un nouveau contexte politique. Dans les conférences et les ateliers il est souvent question du rapport à l’autorité, à la normalité institutionnelle, au grandir… Une certitude : il y avait bien deux événements à Nantes en cette mi novembre.

Un salon qui chamboule…

Elle a pris le train, elle est venue à vélo, quelques uns écourtent et repartent samedi midi. Il faut covoiturer parce qu’il y a aussi ce samedi l’appel à manifester à Notre-Dame-des-Landes. Ils viennent parce qu’ils y croient, elle vient pour faire le plein « parce que j’ai du mal dans ma classe, c’est dur, je viens pour me réchauffer le cœur avant l’hiver, pour y retourner », elle enseigne en maternelle, lui en RASED. Ils sont dans le secondaire, il est principal adjoint, ils enseignent en cycle 3… Ils viennent parce qu’ils sont en licence et que figure dans leur cursus un module sur les pédagogies et dispositifs innovants. Ils viennent, ils ont 6, 8 ou 9 ans, alors qu’il n’y a pas école le samedi matin, parce qu’ils sont à l’aise pour présenter leur façon de travailler dans leur classe et parce que « comme ça je peux m’avancer dans mon plan de travail ». Elles se sont déjà croisées en formation organisée par l’institution, autour d’un jus de pommes elles comparent les discours, les variables, ils viennent parce que la journée était proposée dans le plan de formation, découvrir, tous ils viennent avec le doute en partage…

22ème édition, une formule qui a du évoluer au gré des contextes politiques, il a fallu passer par des années de résistance, des années à organiser des contr’animations pédagogiques, et penser cette formule du salon sur un vendredi soir et la journée du samedi. Cette année, la proximité géographique de Notre-Dame-des-Landes résonne fort avec les préoccupations pédagogiques et politiques du mouvement Freinet et de nombreux membres ont eu bien de la peine à faire le choix entre réflexion et action. Le mouvement est bien présent sur les deux fronts.

Christian Rousseau, président de l’ICEM (national)évoque le climat politique actuel et invite à la méfiance… un président « normal » risque d’inviter à la normalisation « Le retour aux écoles… normales nous guette ». « Il nous faut maintenir notre exigence très haut. ». Le salon de Nantes est presque une institution dans le paysage pédagogique local mais ses organisateurs ne craignent pas leur propre mise en danger. Ils ressortiront ébranlés par les propos de leur invitée Mireille Cifali qui leur intime de se méfier de leurs propres convictions, stimulés intellectuellement par la grande première en tant que conférencière de leur camarade Françoise Diuzet, chatouillés par les regrets parfois, mais rassérénés qu’il ne faille pas y céder, chacun faisant à la mesure de ce qu’il peut, là où il est. Tentative de restitution des échanges…

Mireille Cifali, « Grandir dans l’école : conditions institutionnelles, enjeux psychiques et dimensions relationnelles »

C’est l’heure de la quinzaine des droits de l’enfant et c’est à Jean Legal infatigable militant de cette question, lui qui fut « le maître qui apprenait aux enfants à grandir », initiateur en 1989 du premier salon, qu’il revient la tâche de présenter Mireille Cifali, psychanalyste, de retour pour la troisième fois à Nantes. Elle qui espace aujourd’hui les conférences, explique avoir ici cédé aux amitiés. Se présentant comme proche de la thérapie et de la pédagogie institutionnelle, elle explique avoir travaillé toute sa carrière à essayer de comprendre les gestes des métiers qui n’étaient pas thérapeutiques non pas pour enseigner aux professionnels la thérapie mais pour leur montrer la dignité de leurs gestes . Elle essaie ici de relater son travail à l’université mais surtout celui mené avec des enseignants, des éducateurs, des psychologues. L’une des dimensions de son travail fut aussi de chercher à comprendre en quoi la littérature pouvait être source de connaissances sur l’humain en général. Dès le préambule, Mireille Cifali met en garde : « Une conférence ne résout rien : je ne fais que partager des réflexions que vous vous êtes déjà faites, je ne suis pas là pour vous enseigner des choses que vous ne sauriez pas. » Mireille Cifali n’a pas de powerpoint, le public n’en boira que d’autant plus ses paroles…

Tentative de définir le « Grandir » :

En quelques mots quand il faut définir « grandir », il est banal d’utiliser ces termes : « pousser », « devenir grand », « prendre de l’âge »… « Les métaphores liées à la botanique sont couramment utilisées. Or pour grandir il ne suffit pas de vivre, il y a des conditions qui le permettent et d’autres qui contrecarrent le processus, on peut ne pas vouloir grandir. Si on regarde l’histoire, nous voyons que le grandissement prend place dans un contexte historique et politique : c’est une affaire sociale autant que biologique. Chaque époque a eu, aura ses rêves et ses idéaux. Chaque génération espère que la suivante grandisse aussi bien qu’elle puisse le souhaiter . Quand on regarde ces idéaux, ceux du XVIIIème siècle par exemple, aujourd’hui, au XXIème ça nous fait sourire, mais nos propres idéaux feront sourire et seront obsolètes à leur tour dans quelques temps. » Mireille Cifali met en garde : « il faut se dire qu’un idéal est là comme un lointain, qu’il nous permet d’oeuvrer et de travailler mais il ne sera jamais atteignable, nous devons l’interroger par rapport à ce qu’il secrète, en effet un idéal peut avoir des effets destructeurs. » Et finalement, la réalité est plus contrastée que le sens commun ne le laisse apercevoir, « grandir » ne s’arrête pas au temps de l’enfance : il y a des épreuves qui font grandir. Les adultes en parlent en nommant leurs propres expériences « évolutions » ou « développement », puisqu’en effet, l’humain ne peut pas s’arrêter à une étape, il doit continuer de travailler face parfois aux conditions inhumaines qu’on lui réserve. Mireille Cifali questionne, elle invite à dépasser les discours généreux : « Qu’est-ce que permettre de grandir aujourd’hui ? » ; « la société protège-t-elle mieux les enfants ? L’école a-t-elle un rôle à jouer dans le grandir des enfants ? Ou ne doit-elle pas se centrer sur sa mission de transmission des apprentissages, sur l’instruction et ne pas s’occuper d’autre chose ? Les idéaux énoncés dans une institution qui ne fonctionne pas n’existent pas forcément dans le respect …

Alors qu’est ce que grandir dans une institution école ?

Même si nous nous focalisons sur la mission première d’une écoleà savoir la transmission des savoirs, l’élève vit à l’école dans un milieu institutionnel et par conséquent, même non pensée, sa vie d’élève est transformée par la fréquentation des autres. Mireille Cifali en est convaincu : un-e enseignant-e par sa parole, son organisation, ses dispositifs peut contribuer à rendre moins rude le grandissement. Bien, mais qu’elles en sont les conditions ?… Mireille Cifali propose de partager avec le public quelques balises, des repères à ne pas oublier, pour analyser ce qui pourrait être une dérive, pour être au plus juste, au plus près de nos initiatives. Une nouvelle difficulté, ou mise en garde… ces balises sont parfois contradictoires… Tout est dans la nuance. Et Mireille Cifali d’égrener ses convictions, le propos est mesuré, le débit clair et distinct, les mots choisis :

1/ « Aucun geste, aucun dispositif , les meilleures intentions, les plus beaux discours, nos valeurs qui nous sont les plus chères ne sont bons et bonnes en soi, même si elles découlent de nos dernières théorisations de pensées les plus abouties que nous ayons… C’est toujours aux conséquences de ce que nous faisons qu’il faut se rapporter pour savoir si les effets sur l’ensemble ou sur l’un sont bénéfiques ou ont des versants destructeurs. Nous ne sommes pas quittes de savoir que nous avons un bon objet a priori. Toute évidence qui devient un slogan doit être interrogée, même celles qui viennent de Freinet ou de la Pédagogie Institutionnelle peuvent être nocives si elles ne sont pas quotidiennement rapportés aux actions qu’elles génèrent. » La salle est concentrée, Mireille Cifali continue affirmant avoir rencontré « trop d’exemples qui ont créé plus de souffrances que d’évidences. ». Elle incite à toujours nuancer dans la singularité des situations, analyser par le détail ce qui se passe or des grands principes.

2/ Et en parlant de principe, elle s’attaque à un pilier de la pédagogie Freinet, et pas le moindre…en clamant : « La dépendance est aussi nécessaire que l’autonomie ! Grandir jusqu’à présent se fait dans une relation à un autre, des autres qui nous accompagnent, nous rassurent, nous comprennent. L’autonomie psychique n’existe pas, nous sommes des êtres de relation, on ne pense jamais seul, on pense avec d’autres. Il importe de pouvoir se remettre à un autre jusqu’à ce qu’on puisse aller seul. Aussi prendre soin de la relation est nécessaire à tous les instants. » Mireille Cifali dit être devenue allergique au slogan de l’autonomie, une formule souvent creuse qui attaque notre capacité à être dépendant. Selon elle, la notion de vulnérabilité n’est pas une faiblesse, est constitutive de l’être humain. Elle a été marquée comme négative (la dépendance aux drogues etc… ) mais elle peut être acceptée comme positive, et nous nous devons d’accompagner l’autre dans ses phases de progression et de régression.

3/ Le fait de grandir n’est pas un long fleuve tranquille. Mireille Cifali met les pieds dans le plat, contre ceux qui croient aux possibles développement harmonieux… « Grandir se fait toujours à travers des affrontements, des conflits, toujours à travers des crises, des difficultés, même dans les milieux bienveillants. Accompagner à grandir, c’est accompagner quelqu’un à la fois quand ça va bien et quand ça va mal, ce qui est normal. Ce n’est pas de la pathologie. » Les difficultés rencontrées par un élève à un moment de sa trajectoire ne disent et ne prédisent rien de ce que sera son futur. Mireille Cifali insiste : « il ne faut jamais parler d’un élève ou de quelqu’un en croyant deviner ce qu’il deviendra. »

4/ En tant qu’éducateur, ne pas se penser dans la toute puissance : « Nous ne pouvons pas avoir la prétention de former un individu par nos actions, nous pouvons construire des milieux favorables, nous ne pouvons pas modeler l’autre selon nos idéaux, il nous faut être très humbles. Nous avons à contribuer, l’autre passe par des moments X ou Y : notre générosité n’aura peut être aucun effet, ou peut être plus tard, mais nous n’en savons rien. » Mireille Cifali dit détester la prétention des thérapeutes et des enseignants qui pensent être deus ex machina, alors qu’ils ne sont qu’un parmi les autres… Grandir demande du temps de la lenteur, ne peut pas être défini comme « aujourd’hui te transforme », c’est un long cours.

5/ « Si la parole est précieuse, s’il importe qu’elle compte, si prendre la parole dans un contexte donné est à favoriser, il faut aussi savoir garder le droit à se taire. La parole ne doit pas être une contrainte. Il faut entendre ce que parler veut dire, mais il peut également y avoir mésusage de la parole. La liberté est ce qu’il s’agit de préserver, on ne peut cependant la perdre si on la transgresse ou fait un mauvais usage… Grandir peut se faire dans des conditions difficiles, dans des traumatismes, après des conditions extrêmes, grandir est une poétique qui échappe à toute position univoque. Il n’y a jamais à perdre espoir ou à s’apitoyer sur les malheurs. Souffrir n’empêche pas de grandir, c’est la manière dont l’adulte accompagne la souffrance, s’apitoie ou non sur elle qui aura des conséquences et l’école peut être un tuteur de résilience comme Cyrulnik et d’autres l’ont montré. »

6/ Mireille Cifali le martèle : « Ce qui il y a à travailler aujourd’hui, c’est la condition de l’obéissance et de l’autorité. » Elle évoque les travaux de Marcelli et poursuit : « L’obéissance n’est pas contraire à la liberté, mais c’est ce qui est le plus difficile à concevoir aujourd’hui dans notre démocratie. L’autorité n’est pas le pouvoir. Pour grandir il y a toujours besoin d’une autorité de bonne veillance, de bon aloi. Une autorité sur laquelle on peut compter, que quelqu’un reconnaît, qui peut nous guider dans nos actes. On confond trop pouvoir et autoritarisme avec autorité. L’autorité ne se partage pas, faire autorité est encore le lot des adultes face à des personnes qui sont encore dans une plus grande incapacité d’agir. Faire autorité n’est pas une fonction, c’est une reconnaissance. » Mireille Cifali dit poser ces quelques repères afin de pouvoir se questionner sur nos actions : au nom de quoi agissons-nous, comment interroge-t-on ce que l’on met en place dans le quotidien ?

Grandir à l’école, les conditions institutionnelles.

L’école est une institution, a-t-on dit, l’est-elle encore ? Mireille Cifali constate que l’école devient un service comme un autre, soumis à des impératifs économiques, elle questionne et invite à tenir compte des effets d’un langage économique qui pénètre la relation à l’autre. L’école est une institution qui s’inscrit toujours dans un lieu, une situation singulière. Mireille Cifali rappelle la nécessité de « prendre soin de cette institution, dans comment elle fonctionne, donne une place à chacun, comment elle répond aux évènements, comment elle méprise ou estime chacun, comment elle ne soumet pas ceux qui y travaillent à des messages contradictoires, comment la parole de chacun est entendue, comment se passent les réunions de groupes, se prennent les décisions, comment se règlent les conflits de pouvoirs, comment on laisse possible l’existence ou non de boucs émissaires… » Mais les prises de soin de cette institution seraient à l’inverse des techniques de management officielles. Alors, « est-ce que prendre soin du contexte est prioritaire ? Oui ! » Convaincue, Mireille Cifali invite à « construire un milieu dont on tente qu’il ne soit pas trop pathologique pour les adultes qui y travaillent. Ça marque quelqu’un d’être dans un lieu exigeant, normé, avec des lois mais qui respecte chacun. Ça ne veut pas dire un lieu sans conflit mais avec la possibilité des les régler, pas un endroit harmonieux, mais un endroit où on travaille, pas un lieu sans norme ni contrainte mais où on accompagne. » Mireille Cifali rejoint psycho et sociologues des institutions qui ont montré « l’importance de savoir que toute institution est un lieu de grande destructivité si on en prend pas soin, aujourd’hui les grandes institutions vont mal parce qu’on ne les pense plus. »

Comment rendre sa classe la moins pathologique possible…

Rejoignant Francis Imbert, les travaux de la pédagogie freinet et institutionnelle, Mireille Cifali pense qu’il est possible d’organiser le vivre ensemble, « d’organiser une classe en travaillant ce milieu où vivre ensemble est nécessaire pour que chacun, du plus fort au plus faible ait sa place, de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’humiliation, que chacun puisse y exister, contribuer, y prendre la parole. C’est toujours possible, dès le plus jeune âge, à chaque âge, de travailler sur le groupe, même au collège, quand on a deux heures par ci par là… Il y a des dérives, évidemment. Un conseil n’est pas forcément un miracle. » Mireille Cifali, toujours en nuance rapporte des expériences de conseil stérile, sans doute parce que l’enfance doit rester le temps de l’apprentissage des responsabilités à la mesure de la capacité du moment, et non être l’exercice d’une responsabilité entière. Elle poursuit : « La pédagogie du vivre ensemble est précieuse mais ne se fait pas sans qu’on soit entamé, qu’il y ait un travail avec d’autres : on est parfois tout seul dans sa classe, mais on ne s’en sort pas tout seul. Le plus consiste à se mettre dans un mouvement pour travailler ensemble ce qui se passe, ce qui nous arrive, travailler avec tel ou tel enfant qui nous dépasse, nous submerge… C’est accepter de parler ce qui se passe, sans forcément se remettre en question. La classe est un lieu dont nous devons prendre soin d’abord dans le groupe avant de se précipiter dans la relation duelle comme on voit trop d’enseignants le faire. Travailler d’abord le vivre ensemble avant de différencier la relation à chacun. »

Une fois posé ce cadre, Mireille Cifali invite ensuite à se poser la question : « Avons-nous un impact en tant qu’enseignant sur le grandir de l’autre ? Est ce que ma manière d’enseigner, d’être enseignant, d’habiter mon rôle, y est pour quelque chose dans les conditions pour grandir ? » Elle répond d’elle-même… « Évidemment oui. » Pour que cela soit possible, il faut être congruent entre ses actes et ses paroles. Ce qui demande une attention particulière… Mireille Cifali explique : « C’est quelque chose qui fait que l’enfant sait, c’est franc, c’est l’authenticité. Il faut prendre soin de sa propre parole, c’est quelque chose du corps, du comment je m’adresse à l’autre, je lui parle, comment je le juge, je l’attaque, quelles sont mes nuances de paroles, comment je le tue symboliquement par mes paroles, comment je le méprise, comment je l’assassine avec ce que je lui dis même s’il me met en colère. Ça passe aussi dans mon rapport à l’autre, à ma différence, est-ce que je la supporte? Que me font sa faiblesse, ses déviances, d’être mis en question par son grandissement, par le fait qu’il vienne sans loi dans sa toute puissance… Suis-je dans des jugements qui l’attaquent et le prennent dans le défaut de ce qu’il est ? Suis-je généreux, accepte-je de ne pas être aimé ? Est-ce que j’arrive à continuer de donner bien que cet enfant ne semble pas évoluer ? Est-ce que je continue à soutenir sans demander de retour ? » Elle résume, c’est résister au discours de l’exclusion, de l’humiliation. Et en tant que professionnels, « est-on capable d’un travail d’intériorité, d’accueillir nos propres faiblesses, souffrances, qu’il y ait des moments de crises, savons-nous grandir encore dans notre métier, dans notre manière d’habiter notre humanitude, notre manière de faire autorité pour éviter les abus de pouvoirs, a-t-on de l’humour, indice qui montre qu’on est un être humain et pas un tout puissant ? » Est-ce une compétence éthique ? Ce sont des qualités d’être et de savoir qu’il nous faut prendre dans le soin de soi, « rester créateur dans notre métier, il nous faut rester cherchant, nous renouvelant, faire du théâtre, de la chorale… se présenter comme des êtres humains vivants et non pas comme des professionnels dépressifs. Nous devons travailler dans le présent, juste dans le présent, pour donner juste dans ce présent le meilleur de notre humanité pour ce métier où l’engagement de soi est exigé. »

La démocratie à l’école ou son apprentissage.

Dans un renvoi d’ascenseur, Mireille Cifali invite à lire le livre de Jean Legal intitulé « Le maître qui apprenait aux enfants à grandir. ». Elle introduit son propos sur la démocratie : « Aujourd’hui nous grandissons dans une démocratie, dont on dit que c’est le moins mauvais régime politique pour les occidentaux, est-ce vrai pour d’autres cultures ? Mais on sait aussi qu’il y a des démocraties qui n’en ont que le nom, que certaines sont corrompues, qu’il y a des langages démocratiques pires que ceux qui sont autoritaires…Une démocratie c’est aussi un idéal de justice, un espoir non pas d’égalité mais que chacun ait la possibilité d’être, d’exister, de ne pas être fracassé, exclu. C’est un travail sur l’exclusion des plus fragiles, or on sait que nos sociétés vont produire de plus en plus d’exclusions dans des démocraties bien pensantes… La démocratie c’est donc travailler pour que la loi du plus fort ne l’emporte pas, travailler la rationnalité, c’est ce qu’on cherche mais qui bégaye, c’est un soin constant . Dans nos classes, dans les familles expérimenter qu’il y a d’autres façons de prendre des décisions, pour une éthique de la discussion : pour que la parole de chacun compte. Expérimenter que l’autre n’est pas mon ennemi même s’il ne pense pas comme moi. Expérimenter que la solidarité vaut mieux que compétition et individualisme. Expérimenter que ma vulnérabilité est aussi la tienne. Expérimenter qu’il y a des dispositifs démocratiques qui aident à vivre ensemble et que l’un ne s’approprie pas le pouvoir à lui tout seul, expérimenter que la toute puissance est destructrice, que le tout tout de suite est un leurre. Expérimenter que la destructivité de l’autre est toujours à l’oeuvre, au quotidien. Travailler pour que cette destructivité de l’autre différent n’envahisse pas tout, et qu’on ait à garantir à chacun une place. Expérimenter que celui qui est en difficulté peut apporter à celui qui n’en a pas. Ne jamais baisser les bras mais tenir, bon, jusqu’au bout. Expérimenter qu’à chaque âge il y a des avancées, qu’il y des droits, mais aussi des devoirs. » Mireille Cifali le rappelle, chaque progrès permet qu’on fasse taire certaines souffrances mais en provoque d’autres que l’on ne pouvaient pas penser ou imaginer, ainsi « si les droits des enfants sont un progrès, il peut y avoir des usages pervers pour échapper à toute loi. On croit résoudre un problème et puis on en crée un autre. » Mireille Cifali veut faire accéder l’enfance à l’humanité, cela se travaille selon elle par la construction de leur intériorité alors qu’aujourd’hui tout pousse à travailler sur l’extériorité. La question de l’intériorité participe de la construction de la démocratie « l’humain a des potentiels créateurs importants, l’école est encore le lieu où on peut travailler ce qui se délétère, travailler une humanitude : un rapport à soi et à l’autre. »

Elle conclue sur « le pessimisme dont on doit épargner l’enfance », qu’il faille « suivre l’esprit des penseurs, pas forcément la lettre » et nous invite encore en toute fin de conférence à nous poser les questions « Quelles priorités avons-nous pour être là, juste être là ? » en les travaillant dans des collectifs, en se mettant en mouvement à plusieurs…

Françoise Diuzet : Un rapport au savoir qui respecte le développement de l’enfant.

Françoise Diuzet est membre du groupe départemental 44, mais celui-ci a choisi pour ce salon de l’ériger en conférencière, une première pour elle. Un choix qui s’explique par un long compagnonnage, parce que le groupe s’est dit nourri de ses apports elle qui sait si bien articuler ses lectures théoriques, ses propres théorisations et sa pratique…Elle enseigne et dirige une école maternelle en zep, elle fut également formatrice.

Françoise Diuzet choisit d’ouvrir sa conférence par la diffusion d’un petit film court-métrage, un film où des enfants sans-papiers qui exposent leur fragilité. Elle justifie ce choix d’un film qui dit-elle la laisse sans voix à chaque diffusion, par la nécessité de prendre en compte le fait que les enfants qui fréquentent nos écoles ne sont pas tous dans la même sécurisation affective. Cette inégalité première lui importe et selon-elle doit « interpeller notre parole d’enseignant. » Il lui semble important de rappeler que « l’enfant est une personne, qu’il a une histoire dont on ne peut pas faire l’économie. Le rapport au savoir doit donc avant tout respecter les besoins physiologiques et psychologiques des élèves. »

Françoise Diuzet rappelle l’importance de l’oral dans d’autres cultures scolaires, chez nous c’est essentiellement « la trace » qui est évaluée. Or il est temps de se consacrer à ce que « l’élève dit de ce qu’il fait, ce qu’il pense de ce qu’il fait. ». La pédagogie Freinet est reconnue dans l’accès qu’elle permet à la prise de parole, les « Quoi de Neuf », le « Conseil », autant de temps de parole qui sont aussi d’ailleurs utilisés dans d’autres pédagogies. Françoise Diuzet s’attache à analyser l’enseignement et l’ apprentissage de l’oral en tant qu’indicateurs du développement de la pensée de l’enfant. Selon elle, l’enfant assimile à un mot un sens selon la structuration mentale qu’il a à ce moment là. Cheminant dans les apprentissages, « l’enfant va d’abord devoir apprendre que tout n’est pas pareil, ce ne seront donc plus ses perceptions ou ses émotions qui dicteront ses activités, ce ne seront plus ses explications à lui qui seront justes. Il passera du jeu, de la symbolique à l’expérience. »

Françoise Diuzet résume enfin ce qui selon elle fonde la pensée de Freinet : « c’est le « Rapport à », s’inscrire dans l’interaction permanente entre le savoir, la connaissance et l’enfant. Se situer au milieu, établir les conditions favorables pour que chaque enfant puisse s’approprier les connaissances à son rythme, à sa façon. » Pour définir le rapport au savoir, elle choisit de présenter un modèle d’analyse de la pensée qui précise le rapport à la connaissance. Dans ce modèle trois phases se répètent dans des registres différents : le concret, les catégories abstraites, les mises en relations abstraites.

Pour analyser le langage de l’enfant Françoise Diuzet distingue différents constituants du discours de l’enfant : « les connecteurs : ce sont les mots qui relient : ils permettent de voir sur quelles bases la mise en relation est réalisée par l’enfant. Ce sont les pronoms relatifs, les conjonctions. Une deuxième catégorie regroupe les modulateurs qui situent, précisent, donnent l’appréciation de celui qui parle : adjectifs, prepostions, adverbes, comparatifs, superlatifs, possessifs. La dernière catégorie concerne les mots qui donnent le point de vue : les verbes, pronoms, expressions qui montrent que le point de vue se développe ou que celui de l’autre est pris en compte, et comment …

Ces différentes catégories du langage permettent de comprendre comment fonctionne la pensée de celui qui parle, sur quelles bases et de situer plus précisément les catégories qui lui manquent ». Pour chacun des registres évoqués plus haut (concret, catégories abstraites, mises en relations) Françoise Diuzet voit la succession d’étapes qui se répètent à l’identique : l’identification, la distinction d’un élément puis la mise en relation de deux éléments, et enfin des mises en relations et sur plusieurs éléments : organisation, mise en cohérence, complexité à questionner. Ce modèle fonctionnerait pour chacun des cycles de l’école (ou niveau de pensée) : en maternelle dans le concret, le visible, la manipulation et l’échange. En cycle 2 ce modèle fonctionne sur des catégories abstraites, et donc dans la manipulation et l’échange. En cycle 3 : sur les relations abstraites donc dans le débat.

Dans la suite de son propos, Françoise Diuzet décline ce modèle pour chaque niveau de pensée :

Premier niveau de pensée, en maternelle, percevoir et agir autour du concret, du visible.

En PS la séparation affective d’avec la famille permet d’apprendre à se connaître, se distinguer en tant que personne. Apprendre à se sentir reconnu par des adultes différents de sa propre famille. Apprendre à ne plus être le centre du group, mais un élément comme les autres, qui doit partager, attendre, gérer sa frustration. Ses centres d’intérêt évoluent en fonction de ce qui lui est présenté. L’école permet l’enrichissement du vocabulaire, évoquer ce qu’il ne connaissait pas, ce qui lui était inconnu. Tout est possible à nommer, parce qu’on peut le distinguer du reste. Ce que l’on nomme on peut le retrouver à l’identique, construire la permanence de l’image mentale. C’est sur la base de ce qui est pareil que l’enfant opère des tris, d’abord au hasard puis par la classification. Dans le jeu de loto, le mémory il recherche deux fois le même, la permanence du Un à l’identique.

En même temps, il va construire le 2, en tant d’abord que distinction de deux éléments 1.

Le 1 va aussi se construire par la lecture des histoires, par exemple les aventures d’un personnage, héros de plusieurs histoires. Le documentaire permet une autre approche du 1 : la perception de la différence, sur la base de la différence des caractéristiques : le mot « chat » désigne tous les chats. L’enfant construit la notion de catégorie. Ce n’est pas facile parce que le mot « chat » prend deux valeurs distinctes : le chat qu’on connait, et le chat en tant que catégorie. Le rapport au temps permet de situer un moment, le temps présent et de comprendre qu’il y a un avant, un après.

Quand il aura vraiment compris la permanence du 1, l’enfant va comprendre la collection permanente. L’accompagnement de l’adulte aide à discriminer les éléments, percevoir les formes, les limites, les couleurs. Montrer ou et comment le geste s’arrête. L’enfant réalisera un élément, une forme, il y aura répétition de cette action avant de passer à une autre mais il n’opère pas de mise en relation de lui-même. On peut l’aider à travailler à cette composition, recomposition avec par exemple les puzzles. Un tout est composé d’éléments distincts ; complémentaires et pertinents. Les détails seront énoncés pour justifier le placement des pièces.

EN MS : l’enfant commence à porter intérêt pour ce que fait un autre enfant. Ce n’est plus le pareil qui l’aide à développer sa pensée, mais la différence. Il met d’abord en relation sur la base de ce qu’il perçoit ou de ce qu’il imagine. C’est l’âge du « parce que » . Le temps commence à se décomposer en moments disctincts :autant d’étapes juxtaposées, énoncées et reliées deux à deux. La lecture d’album peut commencer à discriminer, ordonner les évènements de manière chronologique. La lecture de documentaires permet de continuer à générer des catégories, voire des classements, en fonction des constats réalisés sur la perception des éléments : ils sont plus gros, n’ont pas la même taille… L’enfant commence à utiliser l’imparfait et le futur proche. Il compare sur deux éléments pour situer, rapprocher. Il manie la proposition relative afin de dire de qui il parle, préciser dans quel lieu, où se situe l’action. On observe souvent une confusion dans l’ordre de placement des éléments de la phrase, les mots sont énoncés dans le déroulement de la pensée. La durée n’est pas encore construite, la trajectoire non plus. Du point de vue du nombre, celui-ci va se construire sur la base de la permanence de la quantité. Mais l’enfant ne peut pas encore situer l’ordre de la suite numérique : le croissant, et encore moins le décroissant. Sa pensée reste linéaire, le signe commence à l’intéresser, mais la signification de la lettre ou du chiffre reste partielle. Aussi la trace n’est pas encore signifiante, espace pas encore orienté. La reproduction graphique du chiffre ou de la lettre ne sont pas encore pertinentes. Le dessin que produit l’enfant commence à relier des formes pour produire du plus complexe mais il n’y a pas de notion de scène, de contexte. La notion de point de vue n’est pas encore construite.

En GS : c’est l’âge de la construction de la pensée réversible. On fait le lien entre présent et passé, présent et futur. De possibles mises en lien émergent. La notion de possible différent de ce qui est visible ou présent apparaît, mais sur la base de ce qui est connu. Le point de vue de l’autre est entendu, peut être pris en compte. Le projet peut se construire. La complexité peut commencer à être abordée, sous forme d’un mot qui résume l’essentiel : combien…La signification des signes interpelle maintenant l’élève.

Deuxième niveau de la pensée : percevoir et réfléchir.

Au CP, prend place la deuxième révolution de la pensée. Il accède à la capcité d’un changement de base, un changement de valeurs dans les deux domaines principaux travaillés par les apprentissages fondamentaux : lecture et numération de position. Jusqu’à 6-7 ans les noms émanent des choses, il y a pour l’enfant confusion entre signifiant et signifié. Dans le domaine de la construction du nombre, un même signe, le chiffre qui doit déjà être reconnu comme tel, représente un nombre, quantité stable et permanente. Ce chiffre, signe, prend une valeur différente en fonction de la place qu’il occupe. Ainsi le 1 de la dizaine vaut 10 éléments mais vaut aussi 1 quand on parle de la dizaine. Il faut être au clair avec l’orientation, la position, la place. L’enfant devra aussi apprendre d’autres signes : + , la notion d’égalité. Il y a prise de conscience que les situations se comparent, se transforment. Le langage mathématique devient distinct. Dans le demaine de l’entrée dans la lecture se fait jour une autre complexité. Il faut décomposer la chaîne orale ce qui requiert des capacités d’association, de combinaison et de changement de point de vue. L’ensemble de ces apprentissages accompagne l’enfant qui change de regard sur la perception du monde qui l’entoure à cause de cette double révolution. La notion de dialogue prend sens. Dans ses représentations graphiques, les personnages vont prendre des positions différentes mais le mouvement n’est pas encore décomposable en différentes unités.

En cp on se rend compte de vraies capacités d’analyse, de déduction, à l’oral mais il y a un net décalage avec ce que l’enfant est en mesure d’écrire.

Au CE1 : l’enfant peut comprendre ce que signifie une règle. Il peut mémoriser une table de multiplication parce qu’il peut réaliser une correspondance terme à terme sur des unités abstraites. Pour l’analyse de la phrase, il vaut mieux attendre.

Au CE2 : le champs d’investigation s’élargit au niveau de possibilités de mises en relation des catégories abstraites : on peut commencer à faire des liens d’analyse sur la langue et sur les opérations. L’élève peut accéder à la compréhension qu’une soustraction c’est comme une addition à l’envers parce qu’il est à même de comparer deux mécanismes opératoires. Ce ne sont plus les éléments numériques qui sont comparés mais les opérations.

Troisième niveau de la pensée : Partager ses questionnements, débattre.

Au CM1, phase 1 : changement de valeur sur des unités abstraites : les mesures, les nombres décimaux, le conditionnel. Il y a mise en correspondance de deux transformations d’un ordre différent. L’élève peut commencer à comprendre le point de vue de l’auteur, construire un argument. Tous les temps du passé et du futur vont pouvoir se distinguer.

Au CM2 : changement de point de vue sur des unités abstraites : Les proportions, la division avec nombres décimaux, le subjectif. On peut accéder à la mise en correspondance de plusieurs transformations, à partir desquelles on opère généralisations, analyse grammaticale en lien avec la conjugaison.

En CM la proportion apparaît, capacité à mettre en lien sur des valeurs différentes, la notion d’étalon…

Par les généralisations s’opèrent les prises de distances. C’est un moment ou on peut opérer des transformations réversibles parce qu’on peut raisonner sur des changements d’état. Cela demande une bascule au niveau de la valeur et donc un point de vue qui peut être décalé.

En fin d’intervention Françoise Diuzet tempère cette présentation : elle n’intime pas « A tel âge, c’est comme ça ! » Il n’y a pas de stade définitif ou défini en tant que tel, mais il y a des constats. Un enfant qui n’a pas acquis la réversibilité de la pensée ne se situe pas dans le temps et donc dans l’ordre. Il ne pourra pas comprendre l’organisation de la suite numérique ou l’organisation de la phrase… Le but de Françoise Diuzet est de montrer la nécessité de comprendre où en est l’enfant, ce qui fait obstacle à ses progrès. L’analyse du lange de l’enfant peut nous aider, quand on constate dans ce qui est dit par les enfants, ce qui est construit et ce qui manque. Le but ultime étant de dépasser la phase 2 pour accéder à la phase 3.

Un salon, des ateliers…

Deux temps de travail consacrés aux ateliers, soit 8 plages possibles… Impossible d’être partout. Au menu : partager le temps d’une classe au travail (avec de vrais élèves, de vrais outils, de vrais enseignants d’une vraie école Freinet !), approfondir les contenus des conférences, découvir des jeux coopératifs, réfléchir pour construire un projet de collègue-lycée Freinet, échanger sur la place de la parole à l’école ou encore sur celui des rééducateurs (RASED) à partir du film « Un parmi les autres »… Alors comme choisir c’est renoncer, mais que parait-il la frustration fait grandir, en guise de démonstration, partons à leur rencontre, eux ces enseignants qui témoignent de leur motivation dans l’atelier… Démarrer en pédagogie Freinet.

Démarrer ! Chacun à son rythme…

Olivier enseigne en CP-CE1. Il raconte qu’il est venu à la Pédagogie Freinet progressivement, depuis 5-6 ans. Au départ, il enseignait de manière très traditionnelle, comme il avait appris à l’IUFM, comme il l’avait vécu élève. Mais s’apercevant qu’il ne peut pas continuer ainsi, que ça lui semble épuisant, que les enfants ne sont pas toujours intéressés ou du moins pas beaucoup il ressent une insatisfaction perpétuelle. La pédagogie Freinet ne lui était pas totalement inconnue, une collègue de son école l’introduit au groupe départemental. Et petit à petit, il met en place de petites choses, progressivement pour ne pas tout bouleverser du jour au lendemain. « Le conseil en premier pour un accès à la parole des élèves, c’est important. C’est rapide à mettre en place, ce qui ne veut pas dire facile. Au départ, c’est peut être artificiel, mais ce n’est pas grave, il faut bien commencer. Et puis une deuxième chose est proposée, le journal. Celui-ci s’est fait de plein de manière au fil du temps. Au départ c’est moi qui le faisait, aujourd’hui c’est le journal des enfants avec l’aide de l’enseignant. » Petit à petit on ose l’introduction de plus en plus de choses, « j’ai commencé la méthode naturelle quand je me suis senti à l’aise. Il faut se sentir en sécurité pour faire les choses. Et s’appuyer sur un groupe pour ne pas rester seul. »

Sophie, CP-CE1 : elle témoigne de premiers questionnements en analysant sa propore scolarité : Elle se souvient du stress de l’enfance face aux évaluations et à la prise de parole en particulier. En tant qu’animatrice elle se forme avec les CEMEA qui partagent des valeurs avec la pédagogie Freinet. A l’IUFM elle bénéficie d’une semaine de formation à la péda Freinet, ça l’a questionnée. Durant ses premières expériences professionnelles en remplacements, elle a vu ce qu’elle ne voulait pas faire et de nouveau poindre le stress, de ne pas occuper le temps correctement, de ne pas tenir l’emploi du temps. Elle rejoint le groupe départemental qui accompagne son évolution. Elle pioche de nouvelles idées et dit rebondir d’essais en essais. Les confrontations avec les autres la font avancer, petit à petit. Une autre marche à gravir arrive lorqu’elle demande un poste dans une école fonctionnant exclusivement en pédaogie Freinet… Ça fait peur… de ne plus avoir le choix. Évidemment, elle dit y avoir reçu un bon accueil pour se lancer complètement ; il y a de ça déjà 7 ans. Elle est mise en confiance, la bienveillance règne entre les collègues. Depuis, dans sa classe, les choses bougent d’une année sur l’autre mais elle garde le plaisir d’aller à l’école, d’être à l’écoute des enfants, de leurs besoins. Elle se dit « descendue de mon estrade . Dans la classe, je suis un membre du groupe, comme les autres, même si c’est moi qui suis garante de la sécurité et des apprentissages. »

Claude : aujourd’hui détaché à l’ICEM. Il évoque ses lectures dès l’école normale, il savait dès lors que c’est ça qu’il voulait faire… Mais il aura fallu 20 ans avant de le faire. Dans ses débuts, il dit avoir essayé des choses, des techniques, mais ça ne marchait pas, il n’était pas satisfait. Sa méfiance des organisations a fait qu’il ne voulait pas rejoindre un groupe. Alors, il a tourné en rond, même s’il faisait quelques avancées certaines années, à d’autres il reculait. C’est sous l’impulsion d’un inspecteur qu’il fini par aller voir d’autres voir d’autres classes et vient visiter l’école Ange Guépin. « En voyant l’affichage, j’ai su comment je pouvais organiser sa classe, ensuite je suis parti à fonds, sans garde-fous. Il ne me manquait que des petits trucs que m’a apporté le groupe, et j’ai ressenti une libération. En terme d’investissement, c’est la même quantité de travail en pédagogie Freinet qu’autrement, mais on travaille a posteriori, pas a priori ».

Anne : enseignante en maternelle, arrivée à la pédagogie Freinet par des rencontres. Elle avoue ne pas être arrivée au stade du lâcher prise, « j’ai encore des craintes vis à vis de moi. Mais c’est un cheminement, on essaye des choses et le fait d’appartenir au groupe est une richesse où on peut parler de ses inquiétudes sans être jugé, on peut mutualiser nos expériences. En maternelle, mon entrée a été liée au statut de la parole de l’enfant, être considéré comme une personne. Au départ, ne se revendique pas comme enseignant Freinet, on est intéressé, mais on assûme pas, comme on fait petit à petit, on n’ose pas se revendiquer. »

Dans la salle, ces premiers témoignages interrogent… « comment ça du travail à posteriori ? Avec ce fonctionnement, quelle préparation en amont. Est-ce réutilisable ? » Sophie explique son travail : « je vois ce qui se passe sur le moment, en fonction de ce que les enfants apportent, créent, ça me donne des pistes pour organiser la classe après. C’est à nous de saisir ce que les enfants voient pour continuer leur chemin. Il faut savoir accueillir l’imprévu. »

Olivier acquiesce : « ça peut paraître déstabilisant, mais on y arrive. »

De la salle : « comment mesurer les progrès ? Avoir en tête les programmes ? » Olivier amorce : « parfois ne pas brider l’enfant lui permet d’aller plus loin… » Sophie complète : « A la fin du cycle, nous avons les même objectifs que les autres classes. Un livret de compétences avec les choses à acquérir. L’Astuce est de cocher les compétences des enfants au fur et a mesure mais les brevets ne sont pas passés par pour tous au même moment. » Anne ajoute : « la dimension collective joue, il y a toujours restitution au groupe. Une culture commune qui se crée s’alimente, chacun progresse à son rythme, mais pas les uns à côté des autres. Il y a des échanges, des restitutions. C’est le partage. » Claude résume : « Il y a deux niveaux, l’ individuel et le collectif. Par exemple au cycle 3 en début d’année on peut faire la liste de tout ce qu’il faut savoir pour aller en 6ème, on coche ce que l’on sait. On a pas de progression mais la possibilité de montrer ce qui est fait au fil du temps. Et puis il y a les bienfaits du multiâge. D’une année à l’autre, on observe la permanence de ce qui avait été vu, il n’y a pas d’oubli de notions. Les apprentissages sont partis d’un vécu personnel, avec une implication personnelle qui a subi une transformation, source de découvertes. »

Oui mais… Comment ça se passe quand on est enseignant Freinet dans une école « normale » ? « C’est pas facile, faut être honnête. » Olivier : « On travaille à l’envers, dans l’autre sens. On s’implique, c’est vrai, on prépare pas avant la journée. On déplace la charge de travail à la fin de la journée. J’ai mon emploi du temps, ma feuille de route, mais pas le contenu. Dans nos classes, les enfants travaillent, pas seulement nous. Au début de ma carrière, j’étais le seul à travailler. » Dans la salle émergent encore questions sur questions, le but de l’atelier n’est pas de pouvoir répondre à chacune qui est un cas particulier, mais bien d’inviter à faire ensemble, à rejoindre le collectif, ne pas rester seul avec ses doutes, parce que au final sans doute tout le monde en a…

Lucie Gillet