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Et si on apprenait le français comme on apprend la musique ou les mathématiques, c’est-à-dire aussi par la pratique ? Les ateliers d’écriture favorisent l’immersion linguistique et littéraire : ils sont le lieu d’un apprentissage, sensible et vivant, des mots, des phrases, des formes. En témoignent ici les expériences menées par Amélie Charcosset, qui soutient et démontre même qu’« apprendre une langue, c’est aussi apprendre une manière d’être ». Etudiante en FLE, elle parcourt l’Europe pour enseigner le français, occasion pour elle de proposer des ateliers d’écriture à ses apprenants, expériences linguistiques mais surtout humaines. Cela suppose une désacralisation : la langue française n’est pas forcément « la plus belle langue du monde » et la littérature n’est pas réservée à quelques-uns qui en seraient les maîtres. Chacun est alors autorisé à se l’approprier, à découvrir les vertus pédagogiques de la créativité et de l’émotion.

Amélie Charcosset a travaillé en Slovénie, dans le cadre d’un assistanat Comenius, un programme qui permet à des étudiants d’être assistants de langue à l’étranger, puis à l’École française et à l’Institut français. Ensuite, elle est repartie pour quelques mois en Belgique pour son stage de fin d’études (Master 2). Elle a ainsi travaillé dans une association qui accueille les personnes migrantes et leur propose, entre autres, des cours de français, et beaucoup d’activités autour de l’objet-livre. Elle est actuellement au Kirghizstan (à Och, dans le sud du pays) pour un stage long proposé par le Ministère des Affaires Etrangères et travaille dans des lycées, à l’université et en bibliothèque, pour développer la francophonie.

Vous avez proposé à vos apprenants belges de constituer un abécédaire : pouvez-vous raconter ce que cette expérience a apporté ?

L’abécédaire, c’était un projet d’écriture, mais pas seulement. Parce que chacun a dessiné les lettres pour réaliser les illustrations, et a ensuite fabriqué son propre livre. L’idée, c’était vraiment de réaliser un objet, parce que j’ai compris en travaillant avec des personnes migrantes qu’il y avait cette demande-là, ce besoin de pouvoir montrer un résultat. J’aime beaucoup l’idée de l’abécédaire, parce qu’il est accessible à tous niveaux, j’avais des apprenants débutants et d’autres avec un niveau intermédiaire, mais chacun a pu écrire des textes. C’était un abécédaire du dépaysement, tous les mots choisis étaient en lien avec ce thème-là, le dépaysement intime et le dépaysement de la langue, la découverte d’un pays, le voyage, l’exil. Je commençais chaque séance par la lecture d’un album de jeunesse sur ce sujet – j’ai adoré voir comment la littérature de jeunesse, si souvent décriée, avait sa place dans un tel cadre, comment les apprenants étaient absorbés par l’histoire, les images, la mélodie d’une langue qu’ils essaient de s’approprier… Ce que ça m’a apporté à moi, sans doute, beaucoup de confiance dans la légitimité de l’atelier d’écriture, j’en suis ressortie avec l’intime conviction que oui, ça fonctionnait, avec des niveaux différents, avec des gens un peu déroutés au début. Mais que ça en valait la peine… Pour les apprenants, c’était aussi une histoire de confiance ; il y a eu un épanouissement visible de jour en jour, un apprenant qui est arrivé, accroché à ses tableaux de conjugaisons, et qui est reparti, son livre sous le bras, tout émerveillé de découvrir qu’il pouvait le garder et le rapporter chez lui.

Comment faites-vous pour donner le goût de la littérature via les ateliers d’écriture que vous avez pu animer ?

Je ne sais pas si je parviens à donner goût de la littérature, mais j’essaie en tout cas de la désacraliser. L’idée que le français est « la plus belle langue du monde » ressort très régulièrement dans le discours des apprenants que je rencontre, et ceux-ci peuvent complètement paniquer par l’idée d’écrire autre chose que des « courriels d’invitation », des « lettres de refus », qui sont souvent ce qu’on leur demande en production écrite.

On part de textes au vocabulaire simple, et on cherche à voir comment l’émotion fonctionne, malgré le dépouillement apparent… J’ai eu des poèmes écrits à la façon de « Déjeuner du matin », de Prévert, qui, lus dans la classe par les apprenants eux-mêmes, provoquent une émotion palpable chez tous.

Le but, c’est surtout d’inviter les apprenants à manipuler cette langue, à la malaxer, les autoriser à inventer des mots, à tester des phrases ; parce qu’apprendre une langue, c’est aussi apprendre une manière d’être, de faire, de se comporter, et je suis convaincue que pour cela, il faut s’être imprégné de la langue, l’avoir faite sienne, une forme d’intériorisation pour ensuite mieux s’exprimer. Les ateliers d’écriture pour moi servent à ça…

Quels conseils donneriez-vous à des collègues de FLE/FLS/Lettres qui voudraient se lancer dans l’écriture ?

Je crois qu’il faut de la persévérance. Je parle surtout du FLE/FLS parce que c’est ce que je connais, mais j’imagine que c’est pareil en Lettres : les élèves/apprenants ont des attentes, et l’atelier d’écriture, à première vue, ne répond pas forcément à celles-ci. L’atelier questionne les apprenants dans leurs habitudes, il les interloque un peu. Je crois qu’il faut laisser du temps, être soi-même convaincu du bien-fondé de l’atelier, et proposer cette confiance-là, mais ne pas abandonner si les apprenants semblent tout d’abord sceptiques…

Et puis ne pas avoir peur de l’expérimentation, du mélange des disciplines… sortir, aller voir ce qui se passe ailleurs, utiliser des images, des musiques, des objets apportés par les apprenants… tout est matière à l’écriture… J’ai eu l’occasion de faire un atelier avec une artiste qui travaille avec des graines. J’aime beaucoup ce qu’elle fait, et j’étais curieuse de voir ce qui pourrait en découler. J’ai été incroyablement surprise de voir à quel point les apprenants avaient accroché, comme ils avaient débordé d’idées pour parler de ces graines, d’où elles venaient, où elles allaient, comment elles se transformaient…

Vous tenez un blog d’écriture et un blog collaboratif : pouvez-vous partager cette expérience particulière d’écriture ? Ce qu’elle vous apporte en tant qu’écrivaine ?

Les blogs, j’en tiens depuis que je suis ado, ça a été énormément de rencontres, et j’ai toujours aimé voir comment l’écriture pouvait relier les gens. Parce que pour moi, c’est ça, du partage, et de l’ancrage à la fois.

Les Eprises de réel, c’est un blog du quotidien, il s’inscrit dans une dynamique plus grande, il part d’une liste, les réels à prise rapide, que l’on trouve sur le net, et qui propose un déclencheur pour chaque jour de l’année. Il y a beaucoup de blogueurs qui l’utilisent. C’est comme un atelier d’écriture : chacun écrit à partir de la même amorce et on peut ensuite aller voir ce qu’ont écrit les autres. Ça a commencé quand j’étais en Belgique, avec mes colocs. On aimait cette idée d’habiter le même endroit et d’en tirer des choses différentes. Maintenant je suis bien plus loin, et l’expérience est aussi riche, autrement.

Les blogs aussi, pour moi, c’est un moyen de désacraliser l’écriture, de se mettre dans un mouvement, dans un geste quotidien, comme un rythme, une cadence… Ça m’aide à ouvrir des fichiers texte et à écrire d’autres histoires…

Jean-Michel Le Baut et Delphine Regnard

Le blog collaboratif Eprises de réel