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« La France a besoin de vous ! » C’est le message que Vincent Peillon est venu tenir, avec Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur, aux étudiants de Paris III le 10 décembre. Les ministres lancent une campagne de communication pour recruter pas moins de 43 000 nouveaux enseignants en deux ans. G Fioraso a présenté les bases de la réforme de la formation des enseignants. V Peillon a évoqué la grande dignité du métier d’enseignant, les hussards noirs de la République et le service de la patrie. Il s’est aventuré aussi sur le terrain de la revalorisation. La crise du recrutement est-elle si grave que cela ?

Le ministère annonce vouloir embaucher de 140 à 150 000 nouveaux enseignants sur 5 ans. Pour 2013 et 2014 ce sont 43 000 places qui vont être proposées à travers plusieurs concours. Une situation tout à fait exceptionnelle. En 2013, plusieurs concours vont se succéder. Le premier a vu ses épreuves d’admission il y a quelques semaines. 22 100 postes sont ouverts aux concours externes pour des étudiants en M2, 10 000 pour le premier degré et 12 200 pour le second. C’est 6 000 postes de plus qu’en 2012. Les stagiaires seront en poste en septembre 2013. Ils bénéficieront d’une décharge de 3 heures. Un second concours aura lieu en juin 2013. Il s’adresse à des étudiants de M1 qui pourront s’inscrire dès janvier. 21 350 postes sont proposés, 9 400 dans le premier degré et 11 950 dans le second. Les admis bénéficieront d’un tiers temps rémunéré à hauteur d’un mi temps tout au long d el’année 2013-2014 pour pouvoir suivre des stages de responsabilité. Parallèlement, le ministère propose en janvier 2013 4 000 « emplois avenir professeur » à des étudiants à partir de L2. Sélectionnés sur certaines conditions (disciplines rares, étudiants issus des ZUS), ces jeunes exerceront un emploi à temps partiel dans un établissement scolaire à raison de 12 heures par semaine. Ils toucheront de 617 à 1086 euros. Ce concours vise principalement à aider des jeunes de quartiers populaires à faire les études longues nécessaires pour devenir enseignant. En 2013-2014, le ministère vise donc particulièrement large : il va recruter des M2, comme du temps de L Chatel. Il va redonner une seconde chance aux M2. Il recrutera aussi au niveau M1. Enfin il aidera des jeunes qui n’auraient pu se l’offrir à aller jusqu’au master 2.

Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur, a plutôt vanté la qualité de la formation donnée dans les nouvelles écoles de formation, les ESPE qui seront ouvertes en septembre 2013. Vantant une nouvelle formation, appuyée sur une université numérique (FRance Université Numérique), alliant formation théorique et pratique, la ministre a précisé qu’elle devrait « développer dans le supérieur des méthodes pédagogiques plus actives et davantage personnalisées », « intégrer le numérique comme un autre manière de transmettre et d’apprendre et de travailler en réseau avec l’extérieur, proposer des stages en milieu scolaire ».

Vincent Peillon a appelé toutes les gloires de la République au secours du recrutement des enseignants.  » Face a tous ces discours du cynisme, du scepticisme je viens dire aux étudiants : la France a besoin de vous », a lancé le ministre. « Cette campagne est un appel profond à la jeunesse… Nous voulons rétablir la promesse républicaine », celle de la promotion sociale par l’Ecole. Il a présenté le métier d’enseignant comme « au coeur du redressement de la nation, économique mais aussi spirituel et moral ». Pour V Peillon la revalorisation morale du métier est déjà faite. S’appuyant sur un sondage auprès de 1007 personnes, le ministre souligne que 81% des français ont une image positive du métier d’enseignant. 76 % seraient fiers que leur enfant devienne enseignant. Les Français trouvent à plus de 80% que les enseignants aiment leur métier, qu’il est exigeant et qu’ils s’investissent dans leur travail. « Je lance un appel solennel à la jeunesse : nous avons besoin de nouveaux hussards noirs. Nous avons besoin de la jeunesse française pour redresser la France » a-t-il conclu.

Mais Vincent Peillon a aussi avancé l’idée de la revalorisation. Alors que certains syndicats, comme le Snuipp, pétitionnent pour demander une revalorisation, les propos du ministre ont surpris les syndicats. « S’il faut faire évoluer le métier, j’y suis prêt et s’il y a des questions salariales j’y suis pret aussi », a -t-il déclaré. Le matin sur RMC, il avait déclaré : « Vous prenez le modèle allemand… Les professeurs travaillent en moyenne 25 heures par semaine, 50 % de plus que notre temps de travail dans le secondaire. Ils enseignent souvent deux disciplines, les chefs d’établissement eux-mêmes enseignent. Alors pourquoi garde-t-on uniquement le salaire et pas tout ce qui justifie le salaire ? » Une argumentation liant revalorisation et augmentation du temps de travail. Cela rappelle curieusement les propos de N Sarkozy et L Chatel. Cela semble aussi contradictoire avec la politique de création de postes.

Les syndicats ont été surpris par cette annonce inattendue. « C’est vrai que le métier a changé et que la question de son devenir est posée », nous a dit C Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa. « Mais le statut on y tient aussi, il est protecteur ». Le syndicat est ouvert aux négociations. Pour le Snes, Frédérique Rolet, secrétaire générale, interrogée par le Café, se démarque nettement de la logique ministérielle. « L’absence de revalorisation est une des causes des difficultés de recrutement », nous confie-t-elle. « C’est une nécessité. Mais ce n’est pas avec du donnant-donnant qu’on doit imaginer la revalorisation ».

Tous ces efforts sont là pour venir à bout de la sévère crise du recrutement, avérée depuis la « masterisation », c’est-à-dire l’obligation faite aux candidats des concours de l’enseignement de posséder un master 2. Elle frappe prioritairement les concours du second degré. En 2011, 826 postes n’ont pas été pourvus au capes externe et 706 encore en 2012. Toutes les disciplines ne sont pas dans la même situation. La crise est particulièrement grave en maths, en lettres (et surtout lettres classiques) et en anglais. En lettres classiques 69% des candidats présents ont été admis. C’est le cas encore en éducation musicale ou en allemand, alors que le taux de réussite habituel tourne autour de 30%. Les raisons sont bien repérées. En élevant le niveau de recrutement, on a raréfié le nombre des candidats potentiels et on a mis l’enseignement en concurrence avec d’autres métiers. A l’évidence ni en terme de salaire, ni pour l’évolution de carrière, ni pour les conditions de travail, ni même maintenant pour l’autonomie dans le travail, le métier d’enseignant ne peut se comparer avec les postes d’encadrement proposés par des entreprises privées ou d’autres administrations. Ce 10 décembre, tout le travail des ministres et de la campagne de communication, vise à convaincre les étudiants que ces problèmes sont ou seront résolus.

Parmi les étudiants de Paris III venus écouter les ministres, Christelle et Violette hésitaient entre espoir et déception. Toutes deux veulent devenir professeur des écoles car « c’est là que tout se construit », explique Christelle. « La revalorisation on est prêt à s’en passer », précise Violette. « On sait ce qu’on veut faire et c’est ce métier là ». Mais en sortant de l’amphithéâtre toutes deux ne savaient pas quand auraient lieu les concours dont les ministres ont parlé, où et comment s’inscrire. Pas de chance : quand la vocation est là l’orientation professionnelle en université ne suit pas forcément. Le pari des 100 000 candidats reste à gagner.

François Jarraud

Sur la crise du recrutement