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Championne du monde du redoublement avec 38% d’élèves ayant au moins redoublé une fois, la France tient à une forme de gestions de la difficulté scolaire déjà abandonnée par la plupart des pays européens, et particulièrement par ceux qui ont de bonne performances scolaires. Si le redoublement se maintient c’est sans doute qu’il arrange beaucoup de monde…

Car la question de l’inefficacité scolaire du redoublement ne se pose plus. De nombreuses études l’attestent. Ainsi T. Troncin établit que  » à niveau initial égal, les élèves faibles qui passent en CE1 progressent mieux que les élèves faibles qui sont maintenus au CP. Les redoublants de CP vont progresser la deuxième année, certes, mais restent fragiles dans les domaines où ils étaient fragiles, et ne rattrapent pas la moyenne de la classe ». Pour D. Meuret, « en règle générale, à l’école et au collège, le redoublement s’avère peu équitable et inefficace du point de vue des progrès individuels des élèves. Il affecte négativement la motivation, le sentiment de performance et les comportements d’apprentissage de ceux-ci et les stigmatise : à niveau égal en fin de troisième, les élèves « en retard » obtiennent de moins bonnes notes que les élèves « à l’heure », sont moins ambitieux que ceux-ci et sont plus souvent orientés en filière professionnelle. En outre, les comparaisons internationales montrent que le redoublement est inefficace du point de vue des résultats d’ensemble des systèmes éducatifs ». Ainsi les pays en tête de PISA ignorent le redoublement. En France, l’écart de performance entre les élèves à l’heure et en retard est colossal. Les jeunes français en seconde générale à 15 ans ont un niveau supérieur à celui des Finlandais. Ceux qui ont redoublé une fois ont le niveau moyen dans PISA de certains pays en développement. Pour D Meuret, le redoublement ne peut se justifier qu’en classe d’examen ou dans le cas d’élève momentanément perturbé. En tous cas, les pays qui n’utilisent pas le redoublement ont souvent de meilleurs résultats scolaires.

Du coté des enseignants… Malgré tout le redoublement perdure. Il est très coûteux. Et depuis des années les académies et les établissements ont inscrit dans leurs objectifs officiels la réduction du taux de redoublement avec une certaine efficacité puisque le taux a effectivement beaucoup baissé. Par exemple on est passé depuis 2000 de 9 à% de redoublants en 6ème et de 7 à 5% en troisième. Hugues Drealants (Girsef) avance plusieurs hypothèses. Pour lui le redoublement serait défendu par les enseignants car il permettrait de « réguler l’ordre dans la classe ». Il serait un des derniers pouvoirs d’une profession qui revendique une certaine autonomie par rapport au monde extérieur. Il permettrait également d’exercer un tri social, parfois très tôt.

Mais le redoublement a des alliés aussi ailleurs. Le redoublement est défendu par les milieux conservateurs. Ainsi sous Darcos, avec les nouveaux programmes du primaire (2008) la notion de cycle a reculé, légitimant davantage le redoublement. Il fonctionne comme une sorte de filtre mis en place chaque année. Alors que l’Ecole est organisée en cycles, le redoublement permet de multiplier les obstacles à franchir et donc augmente les sanctions pour les difficultés scolaires. Comme les enfants des milieux populaires ont plus de probabilité d’avoir des difficultés scolaires. Ainsi le filtre du redoublement ne s’exerce pratiquement qu’à leurs dépens et favorise la progression scolaire et sociale des enfants des milieux plus favorisés. C’est un outil efficace de reproduction sociale. Ainsi en 2011, 95% des enfants de cadres avaient pu arriver au terme du collège sans redoubler à ce niveau contre 63% des enfants d’inactifs.

Bienheureux redoublement ! Tu es celui qui arrête le char du progrès éducatif. Tu es celui qui maintient les inégalités sociales qui fondent la société. Tu sépares les « de souche » des autres. Tu es la colonne qui soutient le système élitiste. Bref, tu es néfaste aux petits mais ô combien utile aux puissants…

François Jarraud