Par François Jarraud
La Cour des comptes est-elle en train de proposer une vraie refondation de l’Ecole ? Loin des timidités de la loi d’orientation, la Cour exige du système éducatif une vraie démocratisation et de l’Etat qu’il prenne au sérieux ses propres engagements. « Il n’y a pas de collège unique », affirme le rapport de la Cour des comptes sur « l’orientation en fin de collège et la diversité des destins scolaires selon les académies ». Ce titre souligne les inégalités de destin entre les élèves français. Il marque aussi le souci de la Cour d’affirmer des objectifs au système éducatif et de le soumettre à ces objectifs en repoussant « à la fin de la scolarité obligatoire » l’orientation qui a lieu actuellement en fin de troisième quand les élèves ont 15 ans. La spécialisation des filières se ferait seulement en première et terminale. Les bacheliers auraient des facilités pour passer un autre bac.
Plus osé tu meurs…
Une orientation injuste
La Cour n’a pas de mal à montrer que le système éducatif français continue à orienter les jeunes de façon précoce et inégale. L’orientation reste dépendante d’une offre de formation qui est inégale selon les académies et très peu évolutive. En contradiction avec les principes affichés du système, les filières de pré orientation y fleurissent : segpa, 3ème d’insertion, 3èmes DP 6, classes de niveau (dans un établissement sur deux). « Le collège unique n’existe pas ». Les élèves de la voie professionnelle voient leur destin scellé dès 15 ans tant les filières y sont spécialisées. Enfin les élèves reçoivent peu d’aide pour leur orientation qui reste uen sanction et non un « parcours ».
Vers le lycée unique
La Cour préconise de repousser « à la fin de l’acquisition du socle », « en fin de scolarité obligatoire » l’orientation. Celle-ci n’aurait plus lieu en fin de troisième mais en fin de seconde. La spécialisation des filières du lycée n’interviendrait plus qu’en première et terminale avec un enseignement modulaire permettant des passerelles. Après un bac on pourrait aisément préparer un autre bac en un an. Les familles auraient le dernier mot sur le choix de la filière, à charge pour l’Etat de proposer une affectation précise. Toutes ces propositions ont pour objectif de pousser davantage d’élèves vers l’enseignement général. Le blocage depuis plus de 10 ans du pourcentage d’élèves dans ces filières générales se répercute ensuite dans celui des diplômés du supérieur long.
Des objectifs simplistes ?
Comment adapter le système à cette évolution ? La Cour demande que le ministère fixe pour chaque académie des taux d’accès aux filières et que celles-ci attribuent les moyens en conséquence. Les établissements auraient la faculté d’adapter les programmes et les enseignements à la réalité des élèves , les examens restant nationaux. Les performances des collèges seraient évaluées. Enfin les enseignants auraient une obligation d’aider les élèves dans leur parcours d’orientation.
Très volontariste, le rapport minimise sans doute les difficultés et le fait que les inégalités se jouent bien avant le collège. Mais il fixe au système des objectifs quantitatifs clairs alors que la loi d’orientation semble ne pas porter de projet collectif clair.
François Jarraud
L’audition de P Lefas le 12 décembre
Caroline Saliou, présidente de l’association de parents d’élèves de l’enseignement privé, a demandé le 11 décembre la suppression du redoublement au primaire. Une revendication inattendue alors que la loi d’orientation commence son cycle de consultation. Mais appuyée davantage sur les travaux des spécialistes que sur les expériences pédagogiques des établissements privés.
La demande de l’APEL s’appuie-t-elle sur l’opinion générale ? Un sondage réalisé par Opinion Way montre surtout que le redoublement est un mythe national. Une majorité de français pensent qu’il y a d’autres solutions plus efficaces (77% des parents et 56% des professeurs). Mais 70% des parents et 64% des enseignants pensent que le redoublement permet de rattraper son retard. Une minorité le juge « mauvais » (41% des parents, 26% des enseignants) ou qu’il n’aide pas vraiment (43% et 42%).
Quel avenir pour cette demande ? La proposition pourrait séduire un ministère où la récupération de moyens pourrait permettre de financer la refondation. Resterait posée la question de l’aide devant la grande difficulté scolaire. Un domaine où le système éducatif reste désarmé. Il ne suffit pas de supprimer le redoublement, il faut que les enseignants puissent apporter des réponses aux difficultés des élèves. Ce qui repose la question de la formation continue et du développement des réseaux d’aide.
François Jarraud
Si le redoublement dure, c’est peut-être qu’il est utile. C’est la thèse défendue par Hugues Draelants, un chercheur belge, en 2006 à propos des enseignants. Pour lui, si les enseignants tiennent au redoublement c’est qu’il les arrange pour garder la main sur l’Ecole.
L’auteur ne cherche pas à démontrer l’efficacité pédagogique du redoublement. Son inefficacité est démontrée par de nombreux travaux. Ainsi, dans une publication de l’Iredu, Thierry Troncin jugeait le redoublement « une solution injuste, inefficace sur le plan pédagogique et coûteuse ». Il montrait que les redoublants de CP « resteront plus faibles que leurs pairs » tout au long de leur scolarité : seulement 1 sur 10 obtiendra un bac technologique ou général. D’ailleurs la plupart des pays européens l’ignorent. Mais chez ceux qui le pratiquent (la France, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne), parents et enseignants lui restent fortement attachés.
Pourquoi les enseignants résistent-ils à la suppression du redoublement ? H. Draelants étudie les réactions des enseignants belges face à une tentative de faire disparaître le redoublement au primaire. Pour lui, s’il se maintient contre vents et marées, c’est tout simplement parce qu’il a son utilité. « Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir. D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans l’efficacité de la fonction manifeste, on l’a vu. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge (là où il n’est pas interdit) à assumer une série de fonctions latentes ». Il en distingue quatre : « une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ». « En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent en effet du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler. Ce type de réaction… traduit ainsi le problème d’une relation de longue complicité entre le principe de la menace et le système scolaire qui a été observée en Belgique francophone. La remise en cause du redoublement, bouleverse donc les rôles jusque là établis et soutenus par ce dispositif et redistribue les cartes du pouvoir. Les enseignants ressentent en effet des problèmes d’autorité…, ce qui apparaît fortement déstabilisant ».
Cette déstabilisation rejoint d’autres exigences nouvelles qui touchent le métier d’enseignant. H. Draelants rejoint ici les travaux de Maroy qui analysent la résistance aux réformes comme une réaction à une forme de dépossession professionnelle. « L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures – instauration d’un droit de recours face aux décisions du conseil de classe ; complication de la procédure d’exclusion ; règles très précises aux refus d’inscription – à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire. Face à cette abolition des anciens repères, certains enseignants résistent afin de conserver la maîtrise de leur profession. Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être. Le redoublement apparaît en effet comme un des instruments de la sélection méritocratique qui, elle même, symbolise un certain pouvoir enseignant et modèle de fonctionnement du système scolaire aujourd’hui en crise ». La défense du redoublement par les enseignants est donc liée à la défense de l’ « autonomie relative » de l’Ecole par rapport au politique et par rapport aux chercheurs et experts qui inspirent celle-ci, voire par rapport aux parents ou au « marché » ».
Ce mouvement de réaction n’est pas sans rapport avec d’autres formes de résistance aux évolutions sociales voire technologiques. Il illustre la crise globale de certaines sociétés européennes. Pourtant seuls ses acteurs peuvent changer l’Ecole…
François Jarraud
Etude de H. Draelants
Championne du monde du redoublement avec 38% d’élèves ayant au moins redoublé une fois, la France tient à une forme de gestions de la difficulté scolaire déjà abandonnée par la plupart des pays européens, et particulièrement par ceux qui ont de bonne performances scolaires. Si le redoublement se maintient c’est sans doute qu’il arrange beaucoup de monde…
Mais le redoublement a des alliés aussi ailleurs. Le redoublement est défendu par les milieux conservateurs. Ainsi sous Darcos, avec les nouveaux programmes du primaire (2008) la notion de cycle a reculé, légitimant davantage le redoublement. Il fonctionne comme une sorte de filtre mis en place chaque année. Alors que l’Ecole est organisée en cycles, le redoublement permet de multiplier les obstacles à franchir et donc augmente les sanctions pour les difficultés scolaires. Comme les enfants des milieux populaires ont plus de probabilité d’avoir des difficultés scolaires. Ainsi le filtre du redoublement ne s’exerce pratiquement qu’à leurs dépens et favorise la progression scolaire et sociale des enfants des milieux plus favorisés. C’est un outil efficace de reproduction sociale. Ainsi en 2011, 95% des enfants de cadres avaient pu arriver au terme du collège sans redoubler à ce niveau contre 63% des enfants d’inactifs.
Bienheureux redoublement ! Tu es celui qui arrête le char du progrès éducatif. Tu es celui qui maintient les inégalités sociales qui fondent la société. Tu sépares les « de souche » des autres. Tu es la colonne qui soutient le système élitiste. Bref, tu es néfaste aux petits mais ô combien utile aux puissants…
François Jarraud
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