Print Friendly, PDF & Email

Pour les fidèles de France Culture, Adèle Van Reeth incarne désormais la voix quotidienne de la philosophie radiophonique. Ancienne élève de l’ENS de Lyon, agrégée de philosophie, elle a débuté en 2008 auprès de Raphaël Enthoven aux Nouveaux Nouveaux Chemins de la Connaissance, avant de se voir confier une chronique dans l’émission un an plus tard, et de prendre la succession du philosophe lors de son départ. Un parcours fulgurant dont elle avoue s’étonner elle-même. Ses auditeurs, qui connaissent l’élégante limpidité et l’aisance de son style, n’en seront pas surpris : son émission est désormais a plus téléchargée de Radio-France. Mais c’est en la voyant œuvrer, au studio 105 de la Maison de Radio-France, qu’on découvre ce qui ne s’entend pas : l’intensité d’une présence magnétique, une attention affûtée aux moindres détails du studio ou de la régie, un art de la reprise exactement accordé aux élans ou aux défaillances de l’interlocuteur, sans que soit jamais troublé le naturel de ses interventions. Pour elle, l’essentiel est d’alimenter au quotidien et de transmettre au public la passion de la philosophie.

Que représente la place de la philosophie scolaire dans les Nouveaux Chemins ?

A. Van Reeth : Disons que tous les autres jours de l’année, j’essaie de montrer que la philosophie n’est pas qu’une discipline universitaire et ne se réduit pas à l’exercice de la dissertation. Pendant les deux semaines de bac philo, je rappelle l’importance de la méthode et de la structuration de la pensée. Dans mes autres émissions, le canevas est plutôt d’improvisation ; j’ai beaucoup d’éléments, mais je ne sais jamais avant le direct ce que je vais diffuser. Je n’ai pas de questions préparées et tout dépend de ce qui se passe dans la discussion. Mais évidemment, pour pouvoir faire cela, il faut avoir de bonnes bases de contenu et de méthodes, qui permettent de ne s’occuper que du fond. D’autre part, la philosophie en France est enseignée en classe de Terminale – d’ailleurs, je souhaiterais qu’elle soit enseignée bien avant – je ne peux pas exclure du domaine des auditeurs ces élèves qui préparent le bac et ont besoin pour cela d’outils techniques et de données méthodologiques. C’est l’occasion de donner la parole à leurs professeurs et de rendre hommage à leur travail au lycée. C’est important : ce sont eux, pour une large part, qui vont déterminer le rapport des gens à la philosophie. Tout le monde a un souvenir de son prof de philo du lycée…

Retrouvez-vous la même vitalité que dans les échanges avec vos autres invités ?

Parfois, oui ; mais souvent, les professeurs viennent avec un plan et un un sujet déjà bien préparés, ce qui ne permet pas la même fluidité dans les échanges. Mais ce matin, par exemple, le travail sur le temps s’est déroulé aussi aisément que dans une émission en direct. C’est assez rare. Quand ce n’est pas le cas, l’enregistrement permet de reconstruire l’émission en mettant an valeur le meilleur de ce qui s’est passé, et en incluant les interventions des spectateurs. C’est une épreuve difficile pour les professeurs, qui ne sont pas habitués à cette situation face à un interlocuteur : je me mets à la place des élèves et j’émets des objections, ou je pose des questions en fonction de ce qu’ils pourraient penser, quand c’est trop compliqué ou que ça évoque une idée. Cela peut déstabiliser l’enseignant qui a beaucoup à dire sur un sujet en peu de temps, sans avoir les mêmes conditions que pendant un cours. Il se trouve en situation de se sentir jugé par leurs élèves, ou même par moi, qui ne suis pourtant pas une examinatrice, dans le cadre contraint d’un exercice précis. Nous avions aussi pensé proposer un sujet au dernier moment, pour préserver la vitalité de l’improvisation, mais… il n’y aurait sans doute pas beaucoup de candidats prêts à cela.

L’explication de texte est une nouveauté dans l’émission ?

Oui, nous pensions qu’il était difficile de le faire à la radio, puisque l’auditeur n’a pas le texte sous les yeux. Mais c’est aussi un exercice du bac, il n’y a pas de raison de ne pas le proposer. Nous mettrons le texte en ligne sur le site de l’émission lors de la diffusion. Mais c’est compliqué pour l’enseignant, qui a énormément de choses à dire sur le détail du texte en peu de temps, alors que l’exercice est souvent jugé plus facile par les élèves – les problèmes ne sont vraiment pas les mêmes pour l’enregistrement d’une émission de radio et la réalisation d’un exercice écrit en quatre heures, évidemment !

Pensez-vous pouvoir accorder plus de place à la philosophie scolaire dans vos émissions ?

Non, j’estime que les émissions que nous faisons tous les jours sont assez bien adaptées au public des élèves – nous avons d’ailleurs beaucoup de retours en ce sens. Ce serait réducteur et contraire à l’esprit des Chemins d’accorder trop d’importance à la méthodologie de la discipline. Au fond, ce qui importe, c’est la discussion qu’elle rend possible, et les élèves y sont sensibles : il s’agit plutôt de leur ouvrir des perspectives, leur dire : voilà ce que permettent la méthode et les connaissances en philosophie, ce dont elle sont le moyen, ce qu’est réellement la philo, au-delà des épreuves scolaires. Les Chemins sont l’émission la plus téléchargée de Radio-France : c’est sans doute le signe que cela correspond à une attente. Et c’est très rassurant, ça va à l’encontre de tout ce qu’on dit : des émissions exigeantes, dédiées à la culture et dont le but n’est pas d’avoir le plus d’auditeurs possibles, peuvent avoir un vrai succès. C’est plutôt réjouissant, non ?

Jeanne-Claire Fumet

Adèle Van Reeth, Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, du lundi au vendredi, de 10h à 11h sur France Culture. Programmes et podcasts sur le site de l’émission.

Le site des Nouveaux Chemins