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Ancien directeur d’IUFM, Jean-Louis Auduc réagit à la maquette des concours 2014 que nous avons publié le 18 janvier. Pour lui, la formation proposée n’est pas suffisamment intégrée. « A lire les principes et les compétences figurant dans le document, on voit s’esquisser un découpage dangereux pour une véritable Refondation de l’Ecole : en M1, validés par le concours, les savoirs académiques et la didactique; en M2, après réussite au concours, on découvrirait les élèves, les relations avec les familles »…

A la lecture du texte daté du 12 janvier 2013 de l’IGEN et de la DGRH du Ministère de l’Education Nationale intitulé « Maquette « générique –concours enseignants 2014 », on ne peut qu’être étonné de l’approche et de la tonalité du document par rapport à la concertation sur la Refondation de l’Ecole et aux différents discours du ministre.

Les principes et les compétences évoqués dans ce document donnent une vision quasiment « désincarnée » du métier enseignant qui pose question par rapport à ce qu’est l’exercice réel de ce métier. Où sont dans ce document, les approches concernant les élèves, leur développement personnel en tant que garçon et fille, la construction de leur citoyenneté, la scolarisation des enfants en situation de handicap, les relations famille-école, l’état des lieux du système éducatif et son fonctionnement, pas seulement au niveau où va exercer le futur enseignant, , les valeurs que portent la République et son école ( Laïcité, égalité, refus des discriminations….) et par rapport auxquelles que quelle soit sa discipline, l’enseignant aura à agir pour permettre aux jeunes de se les approprier …… Ne pas aborder ces questions dans le cadre des concours de recrutement enseignant, notamment lors des épreuves d’admission, est lourd de dangers, car chacun le sait, et en a vu les conséquences, c’est au travers des exigences du concours qu’on se projette d’abord dans le métier à exercer. Ignorer cet aspect et penser qu’il suffit d’inscrire ces compétences dans un cahier des charges peut conduire à de lourdes désillusions quand on connaît les logiques à l’œuvre chez les étudiants qui regarderont avant tout les rapports de jurys de concours pour avoir une idée de ce qui sera exigé d’eux.

Si « enseigner est un métier », alors, c’est dès les concours que l’enseignant doit connaître quelles seront les composantes, les gestes et les postures professionnels indispensables à l’accomplissement de ses missions.

Professionnaliser, ce n’est pas un simple mot, c’est se placer dans le cadre d’une formation intégrée , c’est se placer dans le cadre d’une acquisition progressive de ce qui définit le métier enseignant :

• L’enseignant est un concepteur, il n’est pas qu’un simple exécutant, il prend lors de chaque séquence, lors de l’articulation entre les séquences, des dizaines, des centaines de microdécisions. Il n’est pas un simple exécutant d’où l’enjeu d’une véritable démarche réflexive en formation au travers notamment des analyses de pratiques.

Les enseignants débutants prennent aussi quotidiennement de multiples décisions dans d’autres buts que celui de l’enseignement disciplinaire : pour obtenir le calme en classe, pour capter leur attention, pour entretenir leur motivation ou préserver ses propres forces.

• Il est également un passeur de savoirs et de savoir-faire.

• Quelle que soit sa discipline, il a aussi la mission de constructeur de responsabilisation du jeune dans une situation , par exemple, au collège, où le jeune sort de l’enfance en y entrant et va être à la sortie, proche de l’âge adulte.

• L’enseignant est aussi un aiguilleur. Dans le cas des élèves à besoins éducatifs spécifiques, il a à participer dans le cadre de son cœur de métier au diagnostic de la situation du jeune concerné, mais il n’a pas à donner au jeune et à sa famille l’impression qu’il est en capacité de traiter toutes les situations. Il doit les aiguiller vers les professionnels compétents dans les différents domaines concernés. Etre enseignant, c’est donc bien connaître ceux qui peuvent compléter son action. Le partenariat, ce n’est pas se concurrencer, c’est agir en complémentarité, donc bien connaître son cœur de métier et le cœur de métier des professionnels qui peuvent agir pour accompagner le jeune.

Les concours de recrutement d’enseignants doivent dès lors répondre à un triple défi :

– valider la connaissance des différents champs disciplinaires faisant partie des programmes d’enseignement ;

– déceler les qualités indispensables à l’exercice du métier enseignant

– commencer à travailler sur l’ensemble des compétences professionnelles nécessaires à l’enseignant

Le document IGEN/DGRH s’inscrit de fait non dans une perspective de formation intégrée, bien qu’il soit écrit à la huitième ligne « Le concours constitue un jalon déterminant du parcours intégré de formation », mais dans une perspective de formation successive clairement découpée selon les années. A lire les principes et les compétences figurant dans le document, on voit s’esquisser un découpage dangereux pour une véritable Refondation de l’Ecole :

– En M1, validés par le concours, les savoirs académiques et la didactique

-En M2, après réussite au concours, on découvrirait les élèves, les relations avec les familles, la partenariat, l’organisation du système éducatif, les valeurs de la République….

Cette logique est porteuse de risques, car le jeune enseignant en M2 se sentira « légitimé » par sa réussite au concours, sera « polarisé » par son stage en responsabilité , donc dans une démarche très pratique par rapport à ses réalités du moment et sera peu enclin à s’approprier des démarches de réflexion concernant l’éthique et le positionnement de son action dans une institution porteuse de valeurs comme la laïcité et travaillant en partenariat, notamment avec les familles. Le découpage existant dans les IUFM de 1992 à 2008 avec les difficultés de formation en commun pour tous les futurs enseignants autour de questions comme le développement psychologique de l’enfant et du jeune ou les pratiques de laïcité devrait pourtant inciter à la prudence par rapport à ce type de répartition qui transparait dans le document IGEN/DGRH.

Il m’apparaît indispensable que dans les compétences évaluées lors du concours, figure explicitement qu’enseigner en école, collège, lycée, général, technologique, professionnel , c’est appartenir à un système éducatif, service public, accueillant tous les jeunes dans leurs diversités, y compris leur situation de handicap, qui est aujourd’hui organisée selon un certain nombre de principes dont le partenariat et le travail avec les parents d’élèves, porteur de valeurs que le jeune aura à s’approprier tout au long de son cursus comme la laïcité, le refus des discriminations, l’égalité hommes-femmes…… Ne pas les aborder lors des concours de recrutement et ne les laisser que lors de l’année d’alternance, c’est alors que l’inverse est une nécessité absolue, risquer que le futur enseignant ainsi recruté se replie sur sa ou ses disciplines……

Professionnaliser, c’est permettre aux exigences des concours de recrutement de s’inscrire dans l’ensemble des composantes du métier enseignant. En oublier certaines, pourrait avoir des conséquences considérables dans une période où il est indispensable de réfléchir sur les composantes de ce métier.

Jean-Louis Auduc

La maquette des concours