Print Friendly, PDF & Email

Peut-on utiliser Facebook pour former les enseignants ? A en croire l’expérience de Géoconfluences, la réponse est positive. S’il est bien une discipline « pauvre » dans le système éducatif français c’est la géographie. Enseignée très majoritairement par des historiens, profondément renouvelée dans ses concepts ces dernières années, la géographie avait vraiment besoin d’un site national de ressources pour aider les enseignants à se l’approprier. C’est l’expérience de « Géoconfluences ». Sylviane Tabarly, responsable éditoriale du site de 2002 à 2012, revient sur ces années au service de la géographie et des professeurs.

Quel est le contexte dans lequel est né Géoconfluences ? Qui a piloté le projet et pourquoi la mise en place s’est faite à l’ENS-Lyon ?

Le contexte général de développement du projet est celui de l’essor de l’informatique pour tous, de l’Internet et de sa galaxie. Au tournant des années 2000, les applications éducatives et de formation des enseignants se sont multipliées. Alors que la formation continue des professeurs, en mode présentiel, voyait souvent ses moyens réduits, une compensation sous forme « virtuelle » s’imposait. Tout d’abord à travers des sites gérés directement par le ministère ou par les rectorats. Géoconfluences s’est inscrit dans le cadre d’une convention passée entre le ministère de l’Education nationale et l’ensemble des Ecoles normales supérieures. Dans ce cadre, à partir de 2000, il y a des sites pionniers, tout d’abord dans les disciplines scientifiques. Les Sciences de la Vie et de la Terre connaissent à ce moment d’importantes évolutions de programme. La mise à disposition de moyens d’information et de formation en ligne apparaît alors, aux yeux de l’Inspection générale de SVT, comme un des dispositifs d’appui aux enseignants. Les ENS se chargent donc de publier des ressources scientifiques, conçues ou validées par leurs soins.

C’est alors que les enseignants – chercheurs en géographie de l’ENS Lettres et Sciences Humaines à Lyon ont manifesté leur intérêt pour un tel dispositif, en concertation avec l’Inspection générale d’Histoire – Géographie alors représentée par Gérard Dorel. La géographie était considérée comme prioritaire par rapport à l’histoire du fait du déficit de formation initiale des enseignants du secondaire très majoritairement de filière « histoire ».

Le choix du nom a été une préoccupation première au moment du démarrage du projet en 2002. Parmi une première sélection, le nom de Géoconfluences s’est imposé : il représentait bien à la fois la localisation du site, au sein de la nouvelle ENS implantée à Lyon, mais aussi la philosophie du projet, convergence de contributions d’origines diversifiées et des besoins en formation des enseignants. Dès qu’il fut arrêté, le nom a fait l’objet d’un dépôt auprès de l’INPI pour que l’identité du projet soit protégée et que le site soit facilement repérable sur la vaste toile.

Au cours de ces dix années, la conduite du site a été assurée par un comité de pilotage et une équipe réduite. Le comité de pilotage se réunit environ une fois par an et sa composition rassemble des universitaires et chercheurs d’une part, des représentants de l’éducation nationale d’autre part. L’Inspection générale, aujourd’hui représentée par Laurent Carroué, a toujours manifesté un intérêt actif pour la vie du projet. La composition du comité de pilotage se trouve sur le site. L’équipe réduite pour le travail éditorial au quotidien associe la responsable éditoriale (Sylviane Tabarly de 2002 à 2012, Marie-Christine Doceul à présent), le/la responsable scientifique représentant les enseignants chercheurs de l’ENS (Emmanuelle Boulineau au cours des six dernières années) et un IA-IPR représentant l’Inspection générale, chargé du cadrage pédagogique du projet (Jean-Louis Carnat pendant ces dix années, Pascal Boyries à présent). Ponctuellement, d’autres enseignants – chercheurs de l’ENS Lyon peuvent être sollicités pour des avis et des relectures selon leur domaine de compétences. Les moyens nécessaires au développement du site sont mis à disposition par l’ENS Lyon, la réalisation des pages web est à la charge de la responsable éditoriale.

Quels ont été les points forts de ces années à Geoconfluences ? Comment ont été faits les choix thématiques et quels ont été les auteurs?

Ces dix années consacrées au développement de la plate-forme ont été très riches et diversifiées. La conception de la plate-forme retenue par le premier comité de pilotage réuni à l’automne 2002 reposait sur une organisation thématique de contenus au sein de dossiers complets (articles scientifiques, corpus documentaire, glossaire, etc.) ou sur des articles indépendants des dossiers. Au fil des ans, les thèmes abordés ont eu une double origine :

– soit issue de la demande, voire de la commande, elle-même fonction des besoins identifiés : nouveaux programmes ; déficits constatés en formation initiale et continue, etc.

– soit issue de l’offre et des opportunités qui pouvaient se présenter de la part d’auteur(e)s : thèse récente dont l’adaptation pour Géoconfluences était possible ; articles proposés spontanément dans un souci de diffusion et de vulgarisation des travaux de recherche ; etc. Certains dossiers ont été coordonnés par un universitaire qui a mobilisé son réseau de recherche, par exemple : Hervé Théry pour le dossier « Le Brésil, ferme du monde ? » ; Raphaël Schirmer pour le dossier «Le vin entre sociétés, marchés et territoires » ; Rémy Knafou pour « Les nouvelles dynamiques du tourisme dans le monde ».

Dans la mesure du possible nous nous sommes efforcés d’alterner des thématiques généralistes (santé, tourisme, frontières, développement durable, risques, villes et métropoles, mobilités et transports) et des thématiques spatialisées (Brésil, Afrique sub-saharienne, Russie, Chine, Europe et évidemment France). Au bout de dix ans de développement, il est désormais assez rare qu’un article ne trouve pas sa place dans l’un des dossiers existant.

Depuis 2002, quelques 160 enseignants, chercheurs, experts ont apporté une ou des contributions à Géoconfluences (voir sur le site > pour en savoir plus > partenariats et coopérations, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/accueil/index.htm ). Les échanges (définition du projet de publication, navettes de réalisation et d’édition) ont été le plus souvent très constructifs et agréables, la publication donnant toute satisfaction aux deux parties. La chance de pouvoir s’inscrire dans la durée a permis de donner du temps au temps : le délai entre un premier contact auteur et la publication de l’article peut être rapide, de quelques mois, mais elle peut aussi s’étaler sur deux ou trois ans …

Naturellement, les contributions liées à l’ENS et aux laboratoires associés (UMR 5600) – enseignants, chercheurs, élèves en master ou doctorants – sont très représentées. Mais bien d’autres universités et laboratoires, partout en France et aussi à l’étranger, ont participé comme le montre l’inventaire sus-mentionné. Certains contacts ont pu être établis grâce à la participation régulière de Géoconfluences au FIG de Saint-Dié, ou à travers d’autres rencontres (séminaires, colloques, journées organisées par l’APHG, Cafés géographiques, etc.) et des contacts informels … de ce point de vue, le partage d’un bureau commun avec Paul Arnould, professeur des universités et enseignant à l’ENS, localisé au sein du bâtiment recherche et de la section de Géographie à l’ENS ont été déterminants.

Il convient de rappeler que les auteurs n’ont d’autre « intérêt » à publier avec Géoconfluences que celui de contribuer à la formation des enseignants. Mais des anecdotes concernant des « retombées » imprévues de leurs publications peuvent être évoquées. Ainsi, tel auteur, à la suite de sa publication sur Géoconfluences, a pu être convié par le Département d’Etat à Washington pour évoquer la crise ivoirienne à l’ambassadeur partant en poste à Abidjan … D’autres auteurs ont pu être les invités de l’émission Planète Terre de Sylvain Kahn ou d’autres émissions de radio (RFI par exemple) à la suite de leur publication pour Géoconfluences. Plusieurs auteurs ont vu des éléments de leur publication repris dans des manuels scolaires.

Notons enfin que pour les jeunes auteurs, en master ou doctorants (dans ces deux cas avec l’accompagnement de leur direction de recherche), post-doctorants, l’expérience de la publication sur Géoconfluences apparaît très formatrice du point de vue de l’écriture (concision, efficacité), de la présentation des travaux (attractivité), de l’adaptation à un lectorat et à un cahier des charges précis.

Que savez vous des utilisateurs et de leurs usages de Géoconfluences ?

Selon les termes de la convention, les destinataires de la plate-forme sont avant tout les enseignants en activité, au titre de leur formation continue, pour leurs connaissances personnelles (compléments, actualisations) et pour leurs activités pédagogiques. Précisons que les ressources ne sont pas des ressources pédagogiques « clé en main » : il leur faut sélectionner tel ou tel extrait de texte, tel ou tel document (photographie, carte, tableau, etc.) pour l’intégrer à leur préparation de cours ou à leur projet d’activité.

Pour le travail du responsable éditorial du site, la difficulté est de répondre à un large éventail de niveaux et de besoins : du collège au lycée en passant par la préparation aux concours internes de recrutement (agrégation). Et par extension, le niveau visé étant de type bac + 2 à +4 environ, il était naturel que les contenus de Géoconfluences intéressent l’ensemble de la formation universitaire. En conséquence, de nombreux usagers du site sont des universitaires et leurs étudiants, en particulier ceux qui souhaitent se destiner à l’enseignement donc les usagers du site relèvent aussi souvent de la formation initiale. Ce large éventail des usagers et des usages nécessite parfois quelques acrobaties éditoriales. Ainsi, à un article au sujet un peu ardu, utilisable pour la préparation scientifique aux concours de recrutement par exemple, on s’efforce, dans la mesure du possible, d’associer des encadrés, des compléments (pop-up, corpus documentaire) utilisables par des enseignants de collège.

De la même manière, les documents d’accompagnement sont nombreux et variés pour faciliter leur appropriation et leur utilisation dans des contextes diversifiés. On peut prendre un exemple concret avec cette publication récente « Savoirs, pratiques, innovations et changement de paradigme de l’agriculture dans la région du lac Alaotra (Madagascar) » : ses contenus sont assez « pointus » mais on trouvera de nombreux éléments permettant d’évoquer concrètement la vie des populations rurales en Afrique dans leur environnement : calendriers et activités agricoles, paysages, exemples d’exploitations … http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Afsubsah/AfsubsahScient6.htm

L’offre de Géoconfluences s’est développée au fil des années bien évidemment. La mise à disposition de modules de cartographie interactive originaux avec les Géoclips dont la réalisation, assurée par un assistant ingénieur, demande un investissement temps conséquent, est appréciée des usagers selon les retours que nous en avons. Lorsque les réseaux sociaux se sont développés, il nous est vite apparu qu’ils pouvaient être un nouveau support de diffusion et de valorisation de nos contenus et de l’importante veille scientifique et informationnelle réalisée au quotidien.

Le lancement en mars 2011 d’un mur Facebook ouvert à tous, dont la consultation ne nécessite pas de posséder un compte personnel, a vite rencontré son public, enseignants ou étudiants majoritairement, souvent jeunes, mais en provenance aussi du monde de la francophonie (Maghreb, Afrique sub-saharienne), très représentés parmi « ceux qui l’aiment ». C’est un bon exemple de la dynamique qui existe à l’ENS Lyon autour de Géoconfluences : la conception de ce mur Facebook intitulé « Géoconfluences une géographie pour tous » est venue d’une rencontre avec les élèves en L3 de la promotion 2010 à l’ENS. A présent, les informations de Facebook sont relayées par un compte twitter diversifiant ainsi la « galaxie » Géoconfluences. Ce dispositif répond bien aux demandes de meilleure réactivité à l’égard de l’actualité qui nous avaient été adressées : c’est effectivement indispensable pour assurer un enseignement de qualité et motivant pour les élèves. Pour accéder à ces informations : http://on.fb.me/VMARr7

Quels sont les retours perçus par l’équipe de Géoconfluences ? Les enseignants du secondaire ont-ils été actifs au sein de Géoconfluences ? Comment ?

Une enquête réalisée récemment peut être consultée directement sur le site, elle est accessible à partir de : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actus/index.htm . La plupart des retours sont très encourageants comme l’atteste le « livre d’or » réalisé à l’occasion. Au bout de dix années d’existence, la plate-forme des origines, conçue en mode statique, apparaît datée dans sa forme. Une nouvelle plate-forme, en mode dynamique, sera proposée dans le courant de 2013. Le comité de pilotage travaille à préciser les orientations du nouveau site et c’est une des missions de Marie-Christine Doceul et des équipes techniques de l’ENS d’assurer son développement et la migration sans pour autant faire disparaître les adresses URL des articles actuels.

Les enseignants du secondaire sont représentés au sein du comité de pilotage, actuellement par Martin Charlet, professeur agrégé en poste en collège. Certains, par ailleurs engagés dans des thèses, ont pu être contributeurs d’articles et c’est une situation qui a toujours été très positive. Il est vrai qu’un auteur ayant lui-même une expérience de l’enseignement peut cerner plus directement les besoins des usagers.

Quel bilan pour l’usage des TIC dans la formation des professeurs et des élèves ?

Depuis la deuxième moitié des années 1980 où j’ai commencé, personnellement, à m’intéresser aux TIC (à travers l’expérimentation des applications pédagogiques des images satellitales, à travers aussi l’utilisation de logiciels de cartographie notamment), j’ai pu assister à de très rapides évolutions que je me suis efforcée d’accompagner, d’utiliser. Vers le milieu des années 1990 l’accès au monde de l’Internet, facilité par les premiers moteurs de recherche efficaces, a marqué un tournant, ouvrant des perspectives dont certains enseignants ont commencé à s’emparer à titre individuel ou dans un cadre associatif et/ou institutionnel. Géoconfluences s’inscrit dans cette dynamique, à côté d’autres plate-formes également utiles pour la formation initiale et continue. L’accès à la connaissance prend aujourd’hui des voies de plus en plus diversifiées qui obligent l’enseignant à se repositionner et la « pédagogie de projet » doit pouvoir s’en trouver renforcée. La généralisation des modes d’accès nomades à l’information (mobiles performants, tablettes) va certainement conduire à de nouvelles évolutions dans la relation enseignants – enseignés, posant de nouveaux défis. Pour ce qui concerne plus précisément la géographie, le potentiel est considérable : ouverture sur le monde, richesse des données (images, cartes, localisations, statistiques, etc.), réactivité. La modernisation des concours de recrutement des enseignants, actuellement engagée, devrait permettre une meilleure appropriation par les enseignants de ce potentiel et Géoconfluences s’efforce d’y contribuer.

En somme, vous avez fait un travail pionnier. Quelles sont les perspectives de Géoconfluences ?

Les logiques qui ont amené à la création du site Géoconfluences en 2002 sont toujours valides, et même renforcées en 2012 : Plan numérique du ministère, nouveaux professeurs en nombre, évolutions de la géographie universitaire, inflation des données en ligne. Géoconfluences, plus que jamais, doit assurer sa mission de passerelle entre la recherche et l’enseignement et doit accompagner les évolutions à venir du triptyque : enseignants / connaissances, savoir faire et savoir être à transmettre / élèves.

Propos recueillis par Gilles Fumey

Géoconfluences

Et sur Facebook