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Faut-il intervenir contre les sites « spotted », ces sites Facebook où les lycéens postent des messages d’amour, souvent des poèmes ? Pour certains enseignants c’est l’image des établissements qui est en jeu et quelquefois celle des enseignants. Il y a effectivement des dérapages. Il y a aussi de l’amour, de l’humour, de la littérature ?

En quelques mois les sites spotted se sont multipliés sur Facebook. Il y en a probablement un pour chaque lycée, parfois deux. Ils sont plus rares en lycée professionnel et la vague arrive maintenant en collège. Ils sont très faciles à trouver : dans Google il suffit d’inscrire les mots clés « spotted » et le nom du lycée ou du collège.

Le plus grand recueil de lettres d’amour

Le principe est partout le même. On envoie un message privé au gestionnaire du site qui le publie anonymement. On peut ainsi dire sa flamme en tout anonymat à la belle brune de 1ère 3 ou au mignon petit blond de la terminale 2. Les commentaires accrochés aux messages ne sont pas anonymes et parfois les identités se dévoilent ce qui alimente aussi la fréquentation de ces sites.

Le plus grand recueil de lettres d’amour a été fortement stimulé par la Saint Valentin. Tous les styles sont permis. Cela va du plus classique dans un lycée parisien plutôt chic :

« M on coeur en te voyant s’arrêta dans l’instant

A près plus de trois ans je t’aime éperdument

T ous ces rires partagés, toutes ces bouteilles vidées…

T u m’as ensorcelé avec tes folles idées!

H âte toi, vite dis moi, que ton coeur bat pour moi!

I ntimement crois moi, je n’ai d’yeux que pour toi

E fface mes tourments, j’oublie mes prétendants :

U nissons nous gaiement, loin de leurs sentiments ! »

Au haïku (surtout porté sur la dernière syllabe) dans un lycée plus populaire :

« Oh que tu es beau,

Wallah je veux que toi,

Emmène moi au Sahara,

Ne t’inquiète pas je serais toujours là,

Sexy boy de la verrerie,

Kekette jolie fourre moi ».

Le site spotted transmet aussi les conseils d’amis : « Pourquoi Mélanie F tu ne recommence pas avec J.C vous vous aimer. Un gars du lycée pro »….

Mais Cupidon vise aussi les professeurs…

Les pages spotted reflètent toute la vie des établissements. Alors les enseignants en font involontairement partie. Dans les bons lycées de centre ville, elles rendent plutôt des hommages. Parfois il y a un petit coup de griffe :

« Avec tes terribles commentaires,

De futurs littéraires tu as su faire.

Mais d’autre élèves en perdent la raison,

De la tu tient ton nom: T……

Prendre des notes dans ton cours relève du défi,

Autant rattraper un TGV en courant,

Car de paroles tu possèdes un gros débit,

Et de nombreuses soirées tu rend déprimant,

Avec ta liste de lecture digne de Science Po », écrit un(e) élève d’un des meilleurs lycées parisiens.

Ailleurs ce sont carrément des déclarations d’amour. « Suis-je la seule à fondre pas qu’un poco devant un sublime professeur de management », demande une élève d’un lycée catholique ? Dans un autre établissement, c’est plus direct :

« Ton nom rime avec pénis

J’aimerai que tu lèches mon pubis

Tu m’enseignes les mathématiques

Je préférerai que tu me niques ».

Danger verglas

Peu de responsables de ces pages ont pris la précaution de préciser qu’ils ne sont pas un site officiel de l’établissement. La plupart reprennent le logo de l’établissement.

Les grands dérapages existent quand le site est ouvert pour régler des comptes. Ainsi un grand lycée du centre-est a connu une semaine d’enfer du 7 au 15 février, avec une page spotted détournée pour alimenter des rumeurs et du harcèlement. Des jeunes filles étaient insultées, certaines menacées. Les commentaires, nominatifs, permettaient d’identifier les auteurs et se terminaient par des annonces de règlements de compte. Dans cet établissement une professeure facilement identifiable était aussi menacée. L’académie a du réagir car le site n’est plus alimenté depuis le 15 février. Mais il reste encore visible sur Internet.

Inversement ces sites sont utilisés pour faire passer des messages d’assistance. Ainsi sur la page spotted d’un lycée du sud-est des parents demandent de l’aide pour retrouver leur fille qui a disparu.

Censurer ou pas ?

Si des interventions sont parfois nécessaires, faut-il préventivement solliciter l’intervention de l’administration ? C’est ce que demande un responsable d’une association d’enseignants. « La déferlante des pages spotted qui envahissent Internet rend indispensable une réaction des adultes », écrit Franck Gombaud dans un éditorial sur le site des Clionautes. « Il serait bon d’agir vite et avec efficacité. Le rectorat de Montpellier a publié une circulaire qui invite les chefs d’établissement à réagir en cas d’attaques contre les personnels. Mais rien sur l’image des établissements ou la pornographie associée au nom des lycées et des élèves… Est ce une capitulation en rase campagne devant certains de nos enfants ? » En Belgique, le chef d’établissement de l’Institut de la Providence à Champion s’est carrément invité sur le site spotted pour menacer de sanctions disciplinaires toute moquerie ou tout dénigrement. Le message a été transmis par voie classique aux parents…

 » L’écrasante majorité de ces échanges ne dérange personne », explique Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, le premier syndicat de chefs d’établissement.  » Ca fait partie des nouveaux risques. Souvent on ne les aborde que sous l’angle répressif ou par l’interdiction ce qui, avec les adolescents, renforce plutôt l’envie de transgresser. Il est temps de passer à l’étape éducatrice et de former les jeunes à ce qui se fait, aux règles de civilité ». Le SNPDEN n’a pas reçu de plaintes particulières envers les pages spotted.

Coté enseignants, au SNES, premier syndicat des enseignants du secondaire, on n’observe pas plus de plaintes particulières sur les sites « spotted ». « On n’a pas attendu Internet pour que les lycéens s’envoient des messages d’amour », explique Roland Hubert, co-secrétaire général du Snes. « Le problème c’est que c’est ouvert à tout le monde. L’école doit former aux usages. Elle le fait d’ailleurs davantage ».

Des textes utilisables pour les cours ?

Peut-on au moins utiliser ce corpus pour des cours de français ? « Ce qui me frappe, dans ce « jeu de l’amour et du hasard » 2.0 (et bien peu marivaudien), c’est le mélange de « préciosité » (messages souvent maladroitement versifiés, reprenant des clichés de la poésie amoureuse) et d’obscénité (en particulier dans certains commentaires, salaces) », explique Jean-Michel Le Baut, professeur de français à Brest. « Se mêlent étonnamment deux langues, l’une qui se veut noble et raffinée, l’autre qui sombre dans la vulgarité, comme s’il y avait le surmoi et le çà, mais qu’on avait perdu le moi en route. Autant dire que l’adolescence s’y montre travaillée par les hormones à même la langue, dans une sorte d’acné lexicale et orthographique ». Pour lui, c’est « un spectacle assez désolant, d’un point de vue adulte et d’un point de vue littéraire, mais il me semble qu’on est là dans un esprit « potache » qui n’a rien de nouveau (les blasons médiévaux, certains poèmes pornographiques de Verlaine ou Rimbaud …). C’est peut-être d’ailleurs un territoire éducatif intéressant tant il montre de façon caricaturale certains mauvais usages des réseaux sociaux ». Les pages spotted sont aussi les exercices de style libre, des devoirs sans correcteurs…

François Jarraud