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Vincent Chaboy exerce en lycée pro (avec CFA public intégré) dans l’académie de Toulouse. Ces élèves de CAP sont issus de troisième « prépa-pro » dédiées à des élèves issus de SEGPA et d’institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique. C’est un professeur caméléon. Il enseigne les lettres, l’histoire, la géographie, l’éducation civique. Il assure aussi de l’aide et du soutien et des remises à niveau en orthographe à des candidats policiers. Par ailleurs, Vincent Chaboy a un complément de service en CDI.

Sur votre blog on sent un engagement profond, une sorte de flamme… Comment vous définissez votre manière d’être prof ?

Prof, c’est pour moi un mélange entre redonner confiance, transmettre des savoirs, des méthodes et faire des jeunes des citoyens. Etre prof, c’est préparer ses cours, accumuler des connaissances, réfléchir à un scénario pédagogique et s’en éloigner parce que les élèves sont peu concentrés, fatigués… J’essaye donc pour chaque cours d’avoir plusieurs choix possibles : une séance « classique » autour de questions sur des documents, une vidéo, un sujet d’écriture, et je mets en avant ce qui me semble le plus adapté. Ensuite, j’accompagne les élèves vers la réussite, je réponds à leurs questions – y compris en évaluation -, je reformule les consignes, je leur propose de retravailler leurs productions écrites après une première correction, je prépare des évaluations de rattrapage pour les absents et ceux qui souhaitent améliorer leurs notes. Toutes ces questions me permettent d’entretenir une flamme qui peut vaciller.

Un rapport du Haut Conseil de l’Éducation précise en substance : C’est à l’enseignement professionnel qu’on demande de prendre en charge tous ceux à qui l’École n’est pas parvenue à donner les bases indispensables pour avoir les meilleures chances de réussir dans la vie…

Cette citation me paraît lucide, réductrice et inquiétante. Lucide, car la voie professionnelle s’adresse toujours majoritairement à des élèves exclus de l’enseignement général. Réductrice en éludant la question du rapport entre enseignements général et professionnel, bien souvent les lacunes en français, en mathématiques ne sont pas dépassées par les enseignements pratiques. Inquiétante, elle fait du Lycée Pro la dernière chance pour les jeunes en difficulté, alors même que nous produisons notre propre hiérarchie entre des élèves en réussite et d’autres qui sortent sans diplôme, amenuisant leurs chances de réussite.

L’enseignement professionnel ne doit plus être traité en voie de garage, des passerelles doivent être multipliées avec l’enseignement général et professionnel.

Sur votre blog vous faites référence à un sociologue qui pensait que tout professeur pouvait devenir un cancre et que tout cancre pouvait devenir enseignant… Comment un prof peut-il devenir un cancre ?

Tout prof a été, à un moment ou à un autre, un « cancre ». En effet, l’une des définitions de ce mot est le fait de « n’arriver à rien ». Ce n’est donc pas un problème en soi, à condition d’en tirer des leçons !

Le deuxième sens du mot renvoie à la « nullité ». Des profs « nuls », ça existe, comme dans toutes les autres professions et dans les mêmes proportions. J’en ai rencontré qui ne préparaient plus leurs cours, d’autres avec un relationnel exécrable envers leurs élèves et enfin les derniers qui transmettaient des valeurs de citoyenneté qu’ils ne s’appliquaient pas à eux-mêmes… Mes propos pourraient être vus comme une charge au vitriol si ce n’est que je suis conscient que tout le monde peut basculer, à la suite d’accidents de la vie, à cause de la routine, ou en l’absence d’outils pour faire face aux évolutions des élèves.

La réponse de ceux qui y voient une « inaptitude professionnelle » est inacceptable. Il faut plus de formation continue, des conseils délivrés par nos pairs et par les Inspecteurs.

Nombre des vos élèves sont issus de l’immigration. Quel regard portez-vous sur leur situation ?

En dix ans, j’ai vu la situation se dégrader. Les élèves étudiaient, avaient des espoirs. Aujourd’hui, comment se fait-il que des élèves de 2° ou 3° génération se construisent à travers une grille d’analyse religieuse ? C’est un échec de la République. Mais, les élèves ne sont pas coupables, ce sont des victimes, condamnés au chômage, à leurs HLM « blêmes ». Je suis donc fier que dans mon Lycée Pro, les profs et l’équipe de direction aient, par le dialogue, amené des jeunes filles à un compromis sur le port de la tunique (djelbeb). Ce doit être l’occasion pour elles de travailler, de s’émanciper. À condition que la société accepte leurs identités multiples, et ce n’est malheureusement pas assuré.

Propos recueillis par Gilbert Longhi