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Prix de l’innovation pédagogique à Lyon en 2011, le projet de médiation par les pairs de l’Aroéven de Rouen poursuit sa diffusion dans les établissements scolaires de l’Académie de Rouen. Corinne Nonin, psychologue de formation, continue de former et d’accompagner les équipes pédagogiques, les élèves et les parents pour que les petits conflits, apaisés par la médiation ne deviennent pas grands. Corinne témoigne aussi de la chambre d’écho née du prix remporté au forum, prémices à d’autres reconnaissances officielles et médiatiques, à de nouveaux développements.

Corinne Nonin a découvert la médiation par les pairs au travers de la recherche action menée par Jean-Pierre Bonaffé Schmitt dans les régions de Lyon et de Rouen. L’idée de mettre en place dans les établissements des groupes d’élèves médiateurs accompagnés par des adultes l’intrigue, la séduit. Elle suit une formation à la méthode avec le chercheur et démarre une première expérimentation au collège Georges Braque de Dieppe en 1998 avec l’Aroéven qu’elle a intégré deux ans plus tôt. Elle table au départ sur une quinzaine d’établissements par an qui entrerait dans la démarche. Quinze ans plus tard, le succès se lit sur les engagements successifs et les résultats obtenus avec une amélioration sensible du climat scolaire dans les écoles, collèges, lycées impliqués.

La médiation par les pairs vise à responsabiliser les élèves par la gestion des conflits entre eux, elle renforce ainsi les compétences sociales et de communication du socle commun. Les élèves sont accompagnés par un groupe d’adultes composés de personnels de l’établissement et de parents afin de veiller au bon déroulement des actions de formation. Le projet se met en place à la demande de l’établissement, souvent par l’intermédiaire du chef d’établissement ou du conseiller principal d’éducation. Une réunion d’information est organisée auprès de la communauté éducative, y compris les parents et les personnels administratifs, techniques et de service. L’implication de la direction et de la communauté éducative, leur adhésion constituent l’ingrédient de base de la démarche. Une équipe pluri-catégorielle, composée de six à vingt personnes selon la taille de l’établissement, est ensuite constituée. Là encore, c’est l’ensemble de la communauté éducative qui est représentée. Le groupe d’adultes accompagnateurs suit une formation d’une journée sur la médiation, ses représentations et ses principes. Par exemple, la médiation par les pairs ne se fait pas à chaud, sur le vif mais lorsque les émotions sont suffisamment apaisées pour analyser le conflit. Les techniques de communication sont également au programme avec des exercices de simulation. La formation est importante car ensuite, les adultes accompagnateurs vont dans les classes pour sensibiliser pendant une heure les élèves, expliquer la démarche et susciter les candidatures.

Car si ce sont les adultes accompagnateurs qui construisent le projet avec l’Aroéven, ce sont ensuite les élèves qui deviendront médiateurs. Pour présenter leur candidature, ils écrivent une lettre de motivation et observent une situation de conflit dans la cour à l’aide d’une grille. Des entretiens sont organisés devant un binôme d’accompagnateurs. A l’appui de ces éléments, le groupe d’adultes choisit les élèves qui deviendront médiateurs. La mixité est de mise, mixité des âges, mixité sociale mais aussi mixité sur le vécu scolaire intégrant ceux qui rencontrent des difficultés de comportement ou d’apprentissage. Douze élèves composent au final le groupe des médiateurs. A leur tour, ils suivent une formation. Leurs parents sont informés parfois sous la forme d’un café des parents où l’explication de la démarche ouvre à d’autres dialogues, une fenêtre sur l’école. La médiation par les pairs peut réunir aussi des établissements de niveau différent, école, collège d’un même secteur. Les échanges explorent alors les liaisons, les différences, les univers scolaires qui se côtoient sans toujours se comprendre.

Tout au long de l’année, ponctuée par des points réguliers, le dispositif est régulé, supervisé par le groupe d’adultes accompagnateurs Un pilote et un co-pilote assurent le suivi au quotidien, y compris au niveau administratif. Les médiations s’effectuent aux heures de récréation ou le midi dans un espace dédié. Pour chaque médiation, un adulte est convié, non pas pour y assister, mais pour être présent de l’autre côté de la porte au cas où. Au milieu de l’année, une réunion est organisée avec les élèves médiateurs et l’Aroéven pour échanger sur les conflits, leur nature, leur résolution avec à l’appui statistiques et témoignages. En fin d’année, un bilan est réalisé ensemble pour affiner le dispositif en vue de l’année suivante. L’engagement de l’établissement est au minimum de trois ans laissant ainsi le temps à la médiation par pairs de s’inscrire dans les pratiques, de progresser, d’évoluer. La stabilité de l’équipe est un gage pour que l’expérience perdure et s’enrichisse. La supervision par un organisme externe s’avère indispensable pour veiller et accompagner la co-construction en mouvement du dispositif. Corinne Nonin exerce ce rôle dans une quinzaine d’établissements, surprise à chaque coup par les effets secondaires que l’on escomptait peu ou pas au départ.

En quinze ans, elle a observé le changement de climat dans les établissements scolaires, l’émergence depuis quatre ans des réseaux sociaux avec les insultes déposées sur un mur Facebook qui se transforment dans la cour de récréation en agressions verbales ou physiques. Elle a vu des parents pour qui l’école était terre étrangère y entrer par le café des parents, par l’engagement de leurs enfants en tant que médiateurs. Elle a vu des enseignants réfléchir en équipe et s’interroger individuellement sur leurs propres comportements, leurs attitudes en cours et dans la salle des profs, appliquant les techniques de la médiation dans leur sphère professionnelle. Elle a vu naitre des projets pédagogiques, un atelier théâtre par exemple et constaté une cohésion dans les équipes renforcée. Elle a vu des élèves transformés, des timides prendre la parole, des indisciplinés calmer leur éclats, des désintéressés reprendre goût aux apprentissages. « J’arrête pas l’année prochaine sinon je vais faire des bêtises, ça me cadre » lui a dit l’un d’eux. Leur rôle les implique dans la vie de l’école, les amène à porter un autre regard sur l’autre, à mieux vivre ensemble. Pour ceux qui auparavant se trouvaient en difficultés, la fonction de médiateur leur a donné une place dans le système jusque là inaccessible. Un élève de Segpa s’est révélé doué pour le dialogue, une élève handicapée partage désormais les instants quotidiens que lui interdisait son sentiment d’être à l’écart. Ce sont quelques uns des témoignages qui contribuent à éclairer les évaluations de la démarche lors des séminaires de fin d’année réunissant tous les deux ans des adultes accompagnateurs et des médiateurs venus de tous les établissements engagés.

La démarche est évaluée. Elle a été suivie pendant deux ans par Sylvie Condette, enseignante-chercheuse à Lille 3 qui a conclu à l’apaisement du climat scolaire amené par la médiation par les pairs. La baisse du nombre des conflits est visible dans les statistiques et ressentie par la communauté éducative. Les retours des conseillers principaux d’éducation, particulièrement investis dans les dispositifs, sont positifs et convainquent souvent d’autres établissements de s’engager à leur tour. Le prix de l’innovation éducative ramené de Lyon par Yves Nonin, Secrétaire Général de l’Aroéven de Rouen a marqué une nouvelle étape et renforcé les adhésions et les soutiens, à commencer par celui de l’Inspecteur d’académie – Inspecteur Pédagogique Régional à la vie scolaire, Alain Picquenot. A la reconnaissance par les pairs a répondu une reconnaissance institutionnelle qui s’est traduite rapidement dans les faits et les projets. Un film a été tourné et mis en ligne sur le site de la DGESCO au collège Croix Maître Renault de Beaumont-le-Roger dans l’Eure, pionnier dans la médiation par pairs. Le Délégué Académique aux relations européennes et internationales et à la coopération (DAREIC), Alain Rossignol, a contacté Corinne Nonin pour élargir le projet à d’autres pays européens. Un dossier Comenius a été élaboré avec des établissements roumains, italiens et hongrois. Côté français, le collège de Beaumont-le-Roger le lycée Pierre et Marie Curie de Bolbec, ont répondu présents. Une première délégation des partenaires a été reçue pour échanger sur les pratiques et voir comment la médiation par pairs peut s’appliquer dans les différents pays. En Roumanie, par exemple, ce type de médiation est répandu et les parents sont très associés. Du 13 au 18 mai, un voyage est organisé en Hongrie. La médiation par les pairs se vit désormais à la dimension européenne et le prochain séminaire réunissant les établissements en portera l’empreinte avec une ouverture nouvelle.

Né presque par hasard, à l’écoute d’une conférence de Jean-Pierre Bonaffé Schmitt, le projet de Corinne Nonin, désormais directrice de l’Aroéven de Rouen, a grandi et prouvé au fil des ans que le climat scolaire était avant tout l’affaire de tous. Faire confiance aux élèves, leur donner les moyens et les méthodes pour résoudre les conflits, impliquer la communauté éducative dans sa totalité, le point de vue est celui de la confiance et la pierre angulaire celle de l’implication bienveillante des adultes.

Monique Royer

Le site de l’Aroéven de Rouen

Le clip sur la médiation par les pairs sur le site de la DGESCO