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François Dubet analyse la situation actuelle de l’Ecole à l’occasion de la sortie de  » L’Ecole, une utopie à reconstruire ». Pour lui les pesanteurs l’emportent de loin dans l’Ecole sur la personnalité du ministre. Vincent Peillon fait face aux mêmes difficultés que ses prédécesseurs. La refondation est-elle possible ?

Vous publiez un article décapant dans « L’école une utopie à construire ». Pensez-vous que l’école française ait perdu de vue ses valeurs ?

Ce n’est pas une affaire de valeurs. Les gens ont toujours dans la tête l’école de l’égalité. Ce qui a changé ce sont les pratiques. Parce que l’école joue un rôle central dans le destin social des jeunes. Les parents ont compris cela. Le diplôme devient un facteur essentiel d’intégration sociale. Ce n’était pas le cas auparavant. Cela a des conséquences.

La première c’est que la fonction éducative et libératrice de l’école est loin derrière celle de sélection sociale. La culture devient moins importante. Les parents choisissent la meilleure formation pour que leur enfant s’en sorte le mieux possible. Tout le monde est pour l’école de la fraternité mais veut la réussite de ses enfants avant les autres. Comme la fonction d’intégration a perdu en importance, beaucoup d’élèves n’y croient plus. Ces élèves savent qu’ils vont perdre et décrochent. L’école n’a pas perdu ses valeurs. Elle a changé de nature.

Aujourd’hui un diplôme est plus important qu’un carnet d’adresses ?

Il faut le diplôme. Si, en plus , j’ai le carnet d’adresses c’est mieux. En fait l’inquiétude crée la compétition et à terme la dévaluation relative du diplôme. Pour avoir la même position sociale que ses parents il faut à l’enfant un diplôme plus élevé. Nombreux sont les gens qui ot le sentiment d’être pris dans ce paradoxe : le diplôme est indispensable mais moins rentable.

Pourtant les travaux d’Agnès Van Zanten dans l’ouest parisien montrent que les membres des classes moyennes supérieures ne cherchent pas que les établissements les plus performants. Ils choisissent aussi en fonction de l’entre soi ou du projet d’établissement.

Cela fait partie du package. Dans un grand lycée parisien on a tout cela ensemble.C’est le cas aussi à Sciences Po par exemple où l’on trouve une bonne formation et le carnet d’adresses. Dans beaucoup de grandes écoles le principal c’est l’association des anciens élèves.

La solution c’est de rendre plus rigide la carte scolaire ?

Je ne crois pas car ce serait vécu comme une injustice épouvantable. La seule solution c’est d’améliorer l’offre scolaire dans les écoles populaires et donc de changer le fonctionnement du système. Que les équipes éducatives n’y soient pas le fruit du hasard et que les enseignants y soient mieux payés. Que ces écoles aient plus de moyens quitte à en retirer ailleurs. Si on veut donner la priorité au primaire et rapprocher l’école et le collège, il faut transférer des moyens des lycées vers les écoles. Mais faire cela c’est porter atteinte aux bénéficiaires du système !

Dans cette école de la sélection sociale, comment voyez-vous les enseignants ?

Je les trouve ambivalents. Ils conservent l’imaginaire de la scolarité équitable avec la compétition par le mérite. Mais ils savent que ce n’est pas vrai, que l’école fait un tri social. Ca les rend malheureux. Ils enseignant pour l’amour de leur discipline. Or les élèves ne partagent pas cet amour. Ils sont là pour être sélectionnés. Regardez par exemple ces classes de série S où la majorité des élèves n’aiment pas les sciences. Mais dès qu’il y a une réforme visant à être moins sélectif, à casser la hiérarchie des filières, ils défendent cette hiérarchie. Leur culture est sélective : c’est la note, le classement, l’évaluation. Les enseignants sont progressistes socialement mais conservateurs scolairement. Leurs enfants sont les premiers bénéficiaires du système. Ils sont un peu coincés.

Durant le débat sur la loi d’orientation, on a vu la droite et la gauche modifier le texte pour retirer l’article donnant le droit de choisir l’orientation des élèves aux parents. Cela vous surprend ?

La clivage droite – gauche n’est pas profond sur les matières scolaires. On voit plutôt une continuité sur les 30 dernières années. Par exemple, sur le collège unique on voit bien l’ambiguité des politiques. Sur el socle aussi. Il y a quand même eu une rupture sous Sarkozy. Ca a donné l’idée au PS qu’il suffit de défaire ce que Sarkozy avait fait. Mais les problèmes de l’école ne datent pas de Sarkozy. Mais globalement on a aujourd’hui un consensus conservateur qui domine en éducation. On le voit sur la formation des enseignants où on revient aux IUFM. On considère que le niveau académique du futur enseignant est essentiel. Alors que dans les autres pays on recrute les enseignants comme les ingénieurs, à bac +1 ou +2 avec une formation professionnelle jusqu’à bac +5. On le voit aussi dans l’affectation des enseignants quand on met les plus nouveaux dans les postes les plus difficiles. On admet donc qu’on sacrifie les enfants des milieux populaire. Si Vincent Peillon changeait cela, quel torrent d’insultes ! Il y a une certaine désillusion dans la manière dont la refondation est exécutée. Le mot refondation est un peu fort…

Aujourd’hui le climat politique est tel qu’on ne peut pas être optimiste. Le système est verrouillé. Je ne suis pas critique à l’égard de V. Peillon. Il se heurte aux mêmes difficultés que ses prédécesseurs. Ce n’est pas le style du ministre qui explique les difficultés. Tous ses prédécesseurs, fort différents, se sont heurtés aux mêmes oppositions.

Propos recueillis par François Jarraud

L’Ecole, une utopie à reconstruire, Regards croisés sur l’économie, La Découverte, 264 p., 16 €

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