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Comment enseignait-on la morale dans la République des Jules ? Claude Lelièvre montre que ce n’était pas forcément an ânonnant des maximes… Toute ressemblance avec des pratiques recommandées aujourd’hui n’est sans doute pas fortuite…

Elles sont issues directement d’une thèse ( « L’inspection primaire, l’enseignement de l’histoire et de l’instruction morale et civique ( 1880-1914 ) » soutenue par Delphine Mercier à Paris IV- Sorbonne en 2002, et dirigée par Françoise Mayeur ( Antoine Prost et moi-même faisant partie du jury ). Extraits.

Développer le jugement des enfants en s’appuyant sur leur intuition morale, conduit certains instituteurs à faire des élèves les juges de leur propre conduite. Certains enseignants proposent ainsi aux élèves des auto-évaluations sur « leurs progrès de la semaine ou de la quinzaine » ; d’autres les engagent à des « résolutions prises à la première personne du singulier » et qui établissent une sorte de contrat moral entre le maître et chaque élève. Quelques instituteurs poussent la pratique jusqu’à faire juger les actes commis par des pairs, voire par des personnages historiques ou de fiction. L’inspection reste circonspecte sur la portée de tels procédés qui suscitent plus souvent des mots que des actes. Elle met en garde les enseignants sur la valeur et l’impartialité des verdicts émis par l’enfant. Recourir à ce procédé, c’est prendre le risque, en outre, de développer, chez l’élève, un manichéisme et une intransigeance peu compatibles avec les plus hautes vertus morales. Cette méthode ne vaut donc que par l’honnêteté et la franchise des propos magistraux : le maître doit toujours « avertir l’enfant des circonstances probables où il devra rester maître de soi » et lui faire sentir la difficulté du devoir moral, la complexité de sa pratique.

Les inspecteurs préfèrent développer des méthodes où l’élève est l’acteur de l’enseignement qu’il reçoit car il faut guider sa pensée pour ramener toutes les obligations particulières à des principes généraux. User de cette méthode conduit, pratiquement, « à faire trouver par les élèves eux-mêmes les vérités morales, les règles de conduite qu’on veut leur enseigner ». Exercice conjoint de la conscience et de l’intelligence, cette démarche permet aux enfants de comprendre qu’ils sont libres de faire le bien ou le mal, c’est-à-dire qu’ils sont responsables de leurs actes. La résolution de petits problèmes moraux, qui « affinent » et « affirment les consciences » devient, à partir de 1900, le symbole de cette préoccupation pédagogique. Soumis la veille aux plus grands des élèves, ces problèmes moraux doivent provoquer une discussion entre les élèves et le maître et se closent par une correction magistrale. Ils engagent les enfants à discuter un point de morale pratique qu’ils « sont invités à […] méditer en dehors des heures de classe pour chercher la solution de façon à pouvoir apporter leur réponse orale au jour fixé ».

Éducation de chaque instant, la morale doit être enfin le sujet de toutes les matières qui concourent à son enrichissement : dictées, récitations, chants, modèles d’écriture, problèmes de mathématiques, sujets d’histoire et lectures constituent, pour tous les pédagogues, les axes complémentaires des leçons de morale. Cette discipline crée alors « une atmosphère vivifiante d’honnêteté, d’activité et de bonté agissant comme l’air, sans que l’élève s’en doute » et fait de l’école un lieu « où la morale […] se respire encore plus qu’elle ne s’enseigne ». De ces conseils naissent des initiatives étonnantes, parfois vaines et excessives, mais qui témoignent de la recherche incessante des instituteurs pour répondre aux exigences de leur hiérarchie. Dans le département de la Seine, on crée ainsi des « tribunaux d’arbitrage », des « sociétés de bon exemple » pour lutter contre les mots déplacés et les actes violents, et « dont chaque membre s’engage à proscrire de sa conversation et de ses manières tout ce qui pourrait blesser la bienséance ».

Claude Lelièvre