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Principale nouveauté du programme de recrutement d’enseignants, les emplois avenir professeur (EAP) doivent à la fois élargir socialement le recrutement des enseignants et en accroitre le vivier. Ils proposent aussi une entrée nouvelle dans le métier par un apprentissage progressif sur le terrain. Mais qu’en est-il en vrai ? Qui sont ces futurs enseignants chargés de démocratiser l’Ecole ? Quelles missions leur sont confiées sur le terrain ? Entre discours officiel et réalités de terrain, la relève enseignante se construit dans une certaine improvisation.

« Face a tous ces discours du cynisme, du scepticisme je viens dire aux étudiants : la France a besoin de vous. Cette campagne est un appel profond à la jeunesse… Nous voulons rétablir la promesse républicaine ». Le 10 décembre 2012, au Centre Censier à Paris, Vincent Peillon a présenté son programme de recrutement des enseignants en mettant l’accent sur la promotion sociale par l’enseignement. C’est que, sur les 60 000 postes d’enseignants promis par F Hollande lors de la campagne électorale, 18 000 doivent venir des « emplois avenir enseignant » (EAP) ouverts aux étudiants boursiers. 4 000 sont prévus pour l’année 2013. La moitié seraient déjà recrutés murmure-t-on au ministère.

Une vision de gauche du métier d’enseignant ?

Les EAP doivent répondre à deux difficultés majeures du recrutement des enseignants. D’abord le déficit dans certaines disciplines comme les maths, le français et les langues vivantes et certaines académies. Ainsi sur les 2 333 recrutements attendus durant cette année scolaire 701 sont dévolus à Créteil et 677 à Versailles, Paris et Lille venant ensuite. Les EAP bénéficient d’une aide financière de l’Etat qui leur permet de financer des études trop longues pour les jeunes issus des milieux populaires. En cumulant cette aide avec leur bourse, les étudiants peuvent toucher environ 900 euros (de 617 à 1086 euros en fait) mensuellement. En échange ils doivent s’engager à passer les concours de recrutement d’enseignant et ils doivent 12 heures hebdomadaires dans un établissement d »enseignement (école, collège ou lycée). L’autre objectif c’est l’ouverture sociale du métier d’enseignant. « En élevant le niveau de recrutement des enseignants à bac + 5, la réforme de la masterisation a détourné de ces carrières les étudiants issus des milieux les moins favorisés. Or l’adéquation entre la composition sociologique du corps enseignant et la physionomie de l’ensemble de la société française a toujours été une clé de la réussite de notre système scolaire », dit-on au ministère. Les EAP doivent être boursiers et les jeunes vivant en ZUS ou ayant étudié en ZUS sont prioritaires.

Enfin les EAP sont aussi un mode particulier d’entrée dans le métier. Amenés à faire 12 heures en établissement, les étudiants se frottent petit à petit au métier d’enseignant dont ils découvrent sur le terrain avec un tuteur les réalités. C’est presque une entrée par apprentissage. Le ministère annonce même une formation spécifique au sein des IUFM.

Recrutement : Où en est-on ?

« C’est un peu rapide mais tout se passe bien », nous a déclaré Benoît Verschaeve, directeur des relations humaines de l’académie de Paris. La capitale bénéficie de 233 postes et 180 candidats sont déjà retenus. 36% ont été recrutés en L2, 47% en L3 et 17% en M1. Une centaine est en poste, répartis à peu près moitié dans le premier degré, moitié dans le second. Le rectorat n’a pas réussi à limiter le recrutement aux disciplines déficitaires : celles-ci concernent 83% des EAP, dont 41% en français et seulement 21% en maths. Visiblement ce ne sont pas les EAP qui répondront au manque de professeurs de maths. Des accomodements sont aussi apportés à l’objectif social. Tous les EAP sont boursiers mais l’exigence d’avoir suivi ses études en ZUS ou de vivre en ZUS est devenue secondaire. L’académie s’est focalisée sur l’accompagnement des EAP. Tous les EAP bénéficient d’un tuteur dans de bonnes conditions : deux EAP par tuteur dans le secondaire, un seul au primaire. Tous les tuteurs sont volontaires. « On s’est attaché à vérifier l’intérêt des étudiants pour le métier d’enseignant », nous dit B Verschaeve. Le recrutement s’appuie sur les universités qui proposent des candidats et les chefs d’établissement qui signent les contrats.

Un véritable enthousiasme pour l’Ecole

J SchwabLe premier trait des EAP c’est bien cet intérêt pour l’Ecole. « Depuis tout petit je veux être enseignant », nous a dit Nabil-Bey Baroudi, un jeune EAP en poste au collège Beaumarchais à Paris. « Mais mon emploi en établissement me donne encore une meilleure image du métier d’enseignant. Je me rends compte que le contact avec les élèves est très intéressant. Le travail est plaisant ». Nabil-Bey vient d’une des cités les plus sensibles de Paris. Mais c’est un ancien bon élève, passé par une terminale S maths. Il se sent privilégié de bénéficier d’une tutrice formidable et s’estime bien accueilli par l’équipe pédagogique. « Je vois devant moi un avenir radieux. Je veux devenir professeur », affirme-t-il. Il reconnait aussi que, quand il aura son master de sciences, il aura d’autres propositions financièrement plus intéressantes, mais « soit on veut être enseignant soit on choisit un métier rémunérateur ». Même amour du métier pour Jordan Schwab, lui aussi en L2. Pourtant il est en poste dans un lycée professionnel (Truffaut, Paris 3eme) où les tensions sont sensibles. Mais sa tutrice est là aussi un modèle. Et Jonathan a eu le déclic avant de devenir EAP. Il est passé par l’animation pendant plusieurs années et veut devenir enseignant en Afrique.

Que font-ils ?

En principe les étudiants doivent encadrer de façon graduellement plus étroite les élèves, les étudiants de M1 pouvant aller jusqu’à faire des cours. De fait sur le terrain, une grande liberté règne. Jordan et Nabil-Bey participent aux cours de leur tutrice où ils aident les élèves et observent comment l’enseignante fait passer des connaissances et gère la classe. « Moi j’irais droit au résultat », explique Nabil-Bey. « Je vois la tutrice passer par des étapes pour expliquer aux élèves. C’est très formateurs ». Tous deux trouvent du plaisir dans une articulation qu’ils jugent très bonne entre ce qu’ils apprennent en université, ce qu’ils reçoivent de leur tuteur et ce qu’ils font en classe. Tous deux ont aussi en charge un atelier de soutien hebdomadaire qui leur apporte beaucoup. Enfin tous deux débordent d’un enthousiasme capable de réchauffer n’importe quelle salle des profs…

Ce lien avec le métier on le retrouve aussi sur le site Facebook des emplois avenir professeur. Ce groupe compte déjà plus d’une centaine d’EAP et on verra que c’est une précieuse source d’informations. « Je suis en L2 aussi, en primaire. Au début, je regardais vraiment comment ça se passait, enfin au bout d’une semaine quoi. Et après, j’me suis vite intégrée au sein des classes. J’aide les élèves qui en ont besoin. Quand c’est une classe à double niveau, par exemple CP/CE1, la prof est avec les CE1 et moi je gère les CP. C’est hyper intéressant ! », dit une jeune EAP. « Pour ma part je suis essentiellement dans une CLIN (classe qui accueille les élèves étrangers). Il m’arrive de prendre en charge un petit groupe quand il y a plusieurs ateliers. Le reste du temps je bouge dans toutes les classes et j’observe, j’aide les élèves en difficultés… », témoigne un garçon. « J’observe, j’aide, je corrige, je donne des cours de français à un petit coréen (seule 1h par semaine), je râle aussi. C’est top J’adore ! », dit Justine. Nombreux sont ceux qui témoignent de leur premier jour. Certains sont déjà à critiquer les fautes d’orthographe de leurs collègues…

Une administration qui a du mal à suivre

Mais ce que montre ce groupe Facebook c’est aussi les difficultés dans lesquelles l’Education nationale plonge les étudiants. L’essentiel des débats portent sur la paye et chaque salaire versé est acclamé. Car dans de nombreuses académies, mais pas toutes, les EAP n’ont toujours rien perçu même s’ils sont en poste depuis 2 ou 3 mois. Certaines académies ont réussi à payer les étudiants à l’heure (Lyon par exemple). Mais la plupart accumulent des retards. «  »Je coule financièrement », signale un EAP parisien. Plusieurs regrettent les petits boulots qu’ils faisaient qui prenaient du temps mais apportaient la paye à l’heure.  » Je travaillais a Mcdo jusqu’à fin janvier puis j’ai décidé d’arrêter pour l’EAP sauf que je savais pas que j’attendrais 3 mois pour avoir de nouveau un salaire », témoigne un autre.

L’articulation entre les heures dues à l’Etat et les cours et les partiels en fac est un autre problème. On avait promis aux EAP des ajustements par rapport aux 12 heures dues. De fait, sur le terrain, il n’y en a pas. Ce n’est actuellement supportable que parce que l’administration n’est pas encore en mesure de contrôler étroitement le travail sur le terrain. Mais déjà ça coince pour les M1 qui ne peuvent à la fois faire 35 heures en IUFM et 12 heures en établissement. Pour le moment ce sont les cours en IUFM qui en souffrent. D’après les remontées du groupe Facebook, un seul IUFM semble préparer une formation spéciale pour les EAP. Toutes les universités n’adaptent pas leurs cours aux horaires de salariés.

Reste l’enthousiasme de ces jeunes étudiants pour un métier dont ils observent pourtant sur le terrain les difficultés. La méfiance et le scepticisme observés chez les jeunes stagiaires sont absents chez les EAP. Il y a là une belle relève. Il ne faudrait pas la gacher…

François Jarraud

Une politique de gauche

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