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L’expression « Matrice disciplinaire » est de nos jours, de plus en plus évoquée au sein de l’EPS. Pour quelles raisons ? Tel est l’enjeu de ces deux rencontres que nous vous proposons. La première rencontre interroge le CEDREPS de l’AEEPS (Collectif d’étude disciplinaire pour le renouvellement de l’Enseignement de l’EPS) avec qui nous avions « réouvert » le débat de la construction disciplinaire de l’EPS. La deuxième rencontre interroge Christian Couturier, secrétaire national et responsable de la question des programmes au SNEP.

Questions autour de la « matrice disciplinaire » en EPS

Que faut-il entendre et comprendre par la notion de « matrice disciplinaire » ? N’est-elle pas un révélateur de ce qu’il se joue au sein de notre discipline ? Le CEDREPS par l’intermédiaire de Georges Bonnefoy, Raymond Dhellemmes, et Thierry Tribalat, évoquent la face visible de « la matrice disciplinaire », mais aussi sa face cachée, autour de la question des savoirs à enseigner et pour enseigner en EPS ?

Dans le premier entretien une des questions était : « Pouvez vous allez plus loin sur la question de la « matrice disciplinaire ». Vous avez souhaité revenir sur cette question à l’issue de vos trois entretiens. Pourquoi ?

D’abord nous acceptons par avance le reproche d’approximation qui pourrait nous être renvoyé sur la façon dont nous concevons et utilisons l’expression « Matrice disciplinaire » (1). Comme précisé par Michel Develay récemment au cours d’un séminaire organisé par le SNEP (mai 2012), les termes de matrice, de paradigme et de principe d’intelligibilité pour n’être pas équivalents, sont relativement proches. On se limitera ici à une réflexion sur la matrice vue comme ensemble de points de vue qui surplombent, voire qui organisent une discipline scolaire. Dans l’entretien précédent nous exprimions cette idée qu’un cadre d’écriture comme celui de l’EPS aujourd’hui, traduit certes une matrice disciplinaire mais pour identifier celle-ci, il faut aller dénicher ce qui « se trame » en arrière-plan de ce cadre, de ces programmes. Et nous ajoutions : « Ce qui se trame, au double sens de l’expression : la trame d’un tissu, et le verbe qui exprime l’intrigue qui s’organise sans que cela soit public ». Ce « dé-tricotage » illustre ce propos du philosophe François Julien : « Ce que l’on pense est la conséquence de ce avec quoi on pense ».

Ce dont il s’agit ici, ce sont des conceptions organisées (en principe) de façon cohérente, constituant une idéologie sans que ce terme ait pour nous une connotation négative. Ainsi, comme nous l’indiquions dans notre cahier 11 (le système de l’EPS, p 159), notre matrice disciplinaire présente deux faces. Une face visible au travers d’un ensemble articulant les visées de la discipline, les formes de pratiques préconisées, les contenus d’enseignement, les dispositifs d’évaluation des acquis. Une face cachée laquelle, pour peu qu’on la soumette à l’étude, révèle les fondements des différents éléments énoncés ici. Ces fondements évoluent évidement en fonction des contextes social et politique, des connaissances, des pratiques sociales, des conceptions, des idéologies. Ces évolutions impactent la face visible de la matrice, ponctuellement ou plus globalement lors de changements structurels.

Un retour sur les évolutions des dispositifs retenus pour la certification au Baccalauréat en EPS, lors de l’instauration du Contrôle en Cours de Formation (1983), peut être éclairant. On se souvient que l’abandon de la référence aux “activités de bases en EPS” (Athlétisme, Gymnastique, natation représentaient les sports de base) ne s’est pas fait sans quelques résistances. On peut voir là un exemple de l’influence de représentations divergentes, d’affrontement de conceptions de l’EPS, de l’élève physiquement éduqué, qui à l’époque, ont influencé l’écriture des textes organisant la discipline. Aujourd’hui, la notion de sport de base n’est même plus évoquée. L’utilisation du concept de matrice disciplinaire offre ainsi un cadre d’échange et peut conduire à un consensus relatif face aux débats disciplinaire. En travaillant sur les « principes d’intelligibilité » qui organisent les positions de chacun, elle peut avoir une valeur régulatrice.

Plusieurs entrées sont possibles pour tenter de réaliser un tel « détricotage ». Nous en retenons deux qui nous conduisent à nous appuyer sur deux corpus différents. La première concerne les discours tenus par les acteurs sur leur discipline, sa formalisation, ses pratiques. Les diverses réactions du SNEP par exemple à la succession des publications officielles de l’EPS sont de ce point de vue significatives. La seconde rencontre les propositions d’AMADE ESCOT C. sur l’épistémologie pratique des professeurs en relation avec la dimension interactionnelle de leur activité avec leurs élèves (voir pages 172 et 173 cahier 11) qui ajoutait « comme condition d’un re-centrage sur l’étude des savoirs ». Cette épistémologie pratique transparait pour nous dans les propositions d’innovations contenues dans les cahiers du CEDREPS par exemple, ou dans les revues de l’AE EPS, de « Contrepied » lorsque les propositions pratiques sont explicitées. Elle transparait également dans les documents d’accompagnement des textes officiels trop souvent passés sous silence. Voilà qui explique notre intérêt pour l’usage de la notion de matrice disciplinaire : elle correspond aux orientations de travail de notre collectif d’étude.

Quel peut-être l’intérêt de réfléchir sur les programmes de cette façon ?

Ce qui peut être appelé également et peut-être plus simplement « les visions disciplinaires », est étayé par un ensemble de conceptions. Il peut être utile, malgré les risques que cela comporte, de tenter de les mettre à jour. Une préoccupation de rationalisation doit alors s’exercer et pour que les débats puissent se développer sainement, il est indispensable de faire l’effort de « révéler » ces conceptions, au sens photographique (au temps de l’argentique, il fallait un révélateur pour que l’image s’offre au regard). La plupart des « disputes » entre professionnels, porte sur des oppositions de surface sans que le débat puisse toujours avoir lieu sur le fond. L’exemple récent sur les Activités Scolaires de Développement Physique est éclairant. Certains parviennent à démontrer que les pratiques de formes traduisent un narcissisme exacerbé en recueillant des propos d’adultes dans les vestiaires. Des pratiques mauvaises donc pour « éduquer ».(2) Avec une telle argumentation on n’ose imaginer ce que donnerait une étude des propos dans un vestiaire de footballeurs professionnels. En fait le problème est ailleurs. Il traduit un affrontement entre des conceptions de la culture appliquée aux APSA. D’un côté, on peut les considèrer comme des « œuvres » à étudier. De l’autre on peut les considérer comme des pratiques formalisées, rationnalisées évolutives voire instables malgré un noyau dur de règles constitutives. Il est important pour notre discipline de mener une réflexion sérieuse sur ce qui fait culture dans les pratiques sociales dites « de référence », et qui mérite d’être transmis à nos élèves. Peut-on discuter de cela avec des arguments contradictoires, issus de champs pluriels de connaissances ?

Autre exemple, la « dispute » entre les responsables de la revue contrepied et le CEDREPS à propos de l’expression « développement personnel » opposé au « développement de la personne ». Cela exprimait certes une question de fond, « matricielle » pourrions-nous dire concernant les conceptions de la personne, les conceptions éducatives. D’un côté une valorisation d’un sujet hors socialisation ; de l’autre une personne qui serait réduite à sa dimension sociale. Un tel raisonnement clot-il le débat ? Autre question « lourde » : d’un côté l’affirmation que seul un rapport à la compétition constitue le ressort unique de la production de réponses techniques intéressantes ; de l’autre un rapport à l’activité physique visant prioritairement des états de mieux-être comme ressort possible de la conduite humaine. Tout cela ne mérite-t-il pas d’être mis en débat par les divers acteurs pour mieux élucider des conceptions non immédiatement appréhendables ? Mais peut-être est-il plus simple de s’étriper sur des épiphénomènes ou sur des notions dont la signification est tellement extensible qu’elle en devient absonce, tel que le terme de compétence par exemple.

Selon l’historien A.Chervel, « Une discipline scolaire existe en fonction des besoins sociaux auxquels elle est censée répondre ». Par ailleurs, nous avons avancé, (Bonnefoy G. , Cahier 5, p. 5), cette idée que plus que d’autres peut être, la discipline EPS était sensible à ce processus. Plus que d’autres elle apparaît dépendante des pressions d’un contexte social et politique qui formule d’ailleurs sans cesse des demandes parfois contradictoires à une école censée pouvoir remédier à tous les maux d’une société. Et des instuctions officielles aux programmes, on peut constater que notre discipline affiche la poursuite d’enjeux éducatifs « généreux et généraux », (Responsabilité, Autonomie, Citoyenneté, Santé) dont l’évaluation est incertaine d’une part et d’autre part qui n’appartiennent pas en propre à l’EPS.

D’autres formulations, un choix restreint et ciblé des visées éducatives assignées à notre discipline pourraient constituer de véritables injonctions politiques vers l’EPS, comme le terme de « mission » que nous préférons au CEDREPS à celui de finalité. Nous y reviendrons à propos de l’éducation pour la santé. La même remarque vaut pour les buts les plus généraux de l’EPS, stabilisés depuis une vingtaine d’années.

Cette terminologie datée est un autre exemple frappant d’une espèce de socle, de tablette de la loi qui fondrait notre discipline sans qu’il paraisse possible de les soumettre à discussion. La trilogie inamovible : développement capacitaire/acquisitions culturelles/préparation à la vie physique variant l’ordre de ses éléments dans les textes a déclenché des débats assez vains sur des supposés changements de priorité de la discipline. L’éducation à la santé nous paraît relever de ces missions par exemple à la condition de la traduire en compétences.

Contrairement à une idée trop répandue, la matrice disciplinaire ne se superpose donc pas au cadre d’écriture des programmes. Le cadre d’écriture révèle sans aucun doute une matrice disciplinaire, mais pour identifier celle-ci, il faut aller dénicher ce qui est arrière-plan des propositions de programme. Et pour répondre à votre question l’intérêt serait de passer d’oppositions de principe à de véritables débats appuyés sur des analyses de pratique.

Pourquoi vous saisissez-vous de cette question aujourd’hui ?

Nous avons évoqué des réponses lors de la première question : pour pouvoir débattre autrement. Mais ici un retour sur l’histoire contemporaine de la construction et de l’écriture de nos programmes s’imposerait. Ce n’est ni dans les projets ni dans les compétences du Cedreps aujourd’hui, de s’exprimer de façon scientifique sur ce thème, même si nous nous risquons parfois à aller sur ce terrain, comme nous l’avons fait dans les Cahiers 11et 12. Mais il faut bien dire que cette question fait l’objet de peu de publications aujourd’hui. Nous pensons également que « la veille épistémologique » d’une discipline ne relève pas de l’unique responsabilité d’un syndicat mais d’experts issus des champs professionnels (légitimité sociale) et de l’université (légitimité scientifique).

L’enracinement social d’une discipline est d’abord à noter. Une société est constamment traversée par de nombreux paradigmes (métaphysiques, scientifiques, socioculturels…). On peut définir ce terme rapidement comme représentant un ensemble de croyances, de valeurs, de conceptions de la connaissance, du sujet, des relations sociales … qui structurent cette société, la dynamisent et la font évoluer (3). Certains sont dominants sur des périodes plus ou moins longues et organisent les transformations des pratiques sociales. Le champ politique fait évoluer ou non, ces orientations socioculturelles fortes et il rend ainsi légal et légitime ce qui ne l’était pas auparavant. Il le fait par le jeu des pressions multiples dont il est l’objet, et du pouvoir qu’il exerce au plan financier, législatif, symbolique, en produisant au travers des lois, des règles, des normes nouvelles.

Les grandes institutions de l’état (école, santé, justice, armée) sont également traversées par des forces exogènes, par des pratiques et des aspirations nouvelles que portent les différents acteurs (enseignants parents élèves…) et/ou les structures partenaires (associations, collectivités…) dont le CEDREPS fait partie. C‘est à ce titre que l’école est à la fois un lieu de reproduction et d’application, mais également un lieu de création, de transformation. D’application, car elle poursuit les finalités définies par la société représentée par ses institutions. De transformation, parce que le champ organisationnel de l’école par exemple, peut en retour par la pratique de ses acteurs, influencer le champ politique.

Le CEDREPS analyse la situation de l’institutionnalisation de l’EPS aujourd’hui comme étant en grande tension sur divers plans et il lui semble que les voies utilisées actuellement par l’institution ne peuvent pas répondre à la résolution de nombreuses difficultés. Nous considérons qu’il est nécessaire de « remettre à plat » certaines orientations qui ont fait leur temps. Par exemple la classification des APSAD qui sert de référence pour organiser l’enseignement est le produit d’une succession de réajustement à partir d’un modèle qui n’est plus adapté aux pratiques d’aujourd’hui, au regard des pratiques des activités physiques, qui sont « la matière » de la discipline. On assiste en effet aujourd’hui à de profondes transformations des pratiques, qui suffiraient à mettre en cause ce modèle.

Il nous paraît donc possible de contribuer à renouveler la réflexion sur la façon d’introduire dans l’école, des pratiques qui se renouvellent parce que se renouvelle dans notre société aujourd’hui, le rapport au corps, à l’activité corporelle, avec d’autres enjeux. Certes, le CEDREPS n’appartient pas à l’école, mais en tant que groupe attaché à une association de professionnels de l’enseignement de l’EPS (l’AE EPS), il appartient au champ socioculturel. En d’autres termes il est lui-même traversé par les paradigmes de la société et tente d’y opposer ou de mettre en débat les siens, ses options et ses choix, en terme de valeurs, d’évolution sociale, de conception du sujet et de la connaissance. Il entend modestement, peser sur le champ politique et institutionnel pour légitimer des approches alternatives relatives à la discipline. Il pense contribuer ainsi à permettre à l’école de jouer sa fonction de transformation et d’invention en se situant modestement à l’interface du pédagogique et du politique. Dans ce sens, il nous paraît pouvoir jouer un rôle de proposition, d’alimentation du débat concernant l’EPS au sein du système éducatif.

Mais en quoi le recours en EPS à la notion de matrice disciplinaire peut renouveler ces débats que vous souhaitez ?

Sur ce point et dans le cadre de cet entretien nous ne développerons qu’un seul point qui interroge nos finalités. Nous sommes aujourd’hui au sein de l’école, chacun le sait, piloté par un paradigme rationnel où le « scriptural », le « linguistique et le logicomathématique » dominent le projet scolaire. L’entendement prime sur le sensible et le geste. L’activité corporelle et ses propriétés, l’expérience sensori-motrice et la « lecture cognitive » qui peut en être faite, occupent une place qui demeure marginale. Si le corps est évoqué, étudié, il ne l’est la plupart du temps que sous l’angle instrumental au travers des Sciences de la Vie et de la Terre, du Français, et de la technologie par exemple. Certes, l’enseignement de la littérature laisse une place à cette question du sensible mais le paradigme dominant qui structure notre école demeure dans ses fondements, très académique et peu préoccupé d’une vision renouvellée de l’homme. L’élitisme, l’excellence, la compétition intellectuelle dominent. La culture artistique, physique et sportive est souvent perçue comme un supplément d’âme, nécessaire parce que compensatrice. Elle reste une préoccupation de populations favorisées qui permet à leurs enfants d’accéder à ce qui est considéré comme un facteur d’équilibre. Pour d’autres, cette culture demeure perçue comme non prioritaire, d’où cette tendance fréquente de l’institution à la repousser dans le périscolaire voire l’extra scolaire.

Dans ce cadre, les valeurs portées par les pratiques sportives et les activités physiques dans la société imprègnent les représentations des décideurs politiques relativement au rôle qu’elles devraient jouer au sein de l’école. Nous sommes toujours identifiés comme professeur de sport plutôt que comme enseignant d’EPS. Récemment dans un rapport remis au président de la République sur l’activité physique (Rapport du professeur Toussaint 2011), l’EPS apparaît essentiellement comme un espace-temps de pratiques sportives dans l’école et pas comme une discipline susceptible de transmettre des savoirs. Souvent, nos « disputes » sur nos contenus font sourire les « bonnes âmes ». C’est pour nous une une vision des choses qui constitue un obstacle à toute transformation de la vision de notre discipline. Nous sommes définis et caractérisés comme une discipline de vie scolaire au détriment d’une discipline qui se doit d’enseigner des contenus qui lui seraient propre. A ce titre elle n’aurait pas beaucoup de questions à se poser en dehors du « bien faire faire » pour permettre aux élèves se respirer un peu. Conscients de ces difficultés, il nous est peut-être possible de changer de stratégie de communication avec nos partenaires.

Ainsi, la nouvelle loi sur la refondation de l’école fait l’objet d’amendements à l’Assemblée Nationale sur les problématiques de santé sans que la référence à l’activité physique, au corps, soit prise en compte. Pire : sans que les enseignants d’EPS aient une quelconque mission à assurer sur ce thème ! Sur ce point particulier nous nous sommes déjà clairement exprimés (G. Bonnefoy, 2006, Cahier n°5, p. 10) :« Discipline stratégique placée au cœur de dispositifs interdisciplinaires, l’EPS devrait permettre aux élèves l’acquisition de compétences utiles à cette visée (Education pour la santé). Acquisition de savoirs pratiques et théoriques relatif au bon usage du corps et de l’activité physique dans une perspective de développement et/ou d’entretien. Possibilité de mettre en relation le temps que l’on se donne pour pratiquer une activité physique, avec la connaissance de soi, ses ressources, ses limites, dans le respect de son intégrité physique. Cet enjeu éducatif, l’éducation pour la santé en et par l’EPS redeviendrait une priorité clairement affichée. La discipline, tout en se préservant de toute dérive hygiénique retrouverait une mission qui la fonde historiquement. »

Constatons que savoirs et pouvoirs d’intervention sur le corps ont profondément évolué au XXème siècle. Les normes sur ces champs ont été déplacées et sont devenues un enjeu pour l’EPS d’autant plus qu’il est probable que le temps que l’on accorde à soi ne fera que croître. La transformation de ces normes a-t-elle impacté la matrice de l’EPS ? Il ne nous semble pas ! Pour le CEDREPS, réinterroger les normes qui pèsent sur la corporéité aujourd’hui, libérer l’homme d’une certaine dépendance du souci du corps – cible publicitaire majeure – est pourtant un enjeu disciplinaire. Les questions éthiques liées aux notions de sensibilité, de propriété, de singularité, d’identité, d’efficacité traversent certains des choix didactiques que le CEDREPS propose aujourd’hui, parce que la question de la norme est au cœur de l’intervention de l’enseignant en EPS. Bien entendu, le corps a toujours été au centre des préoccupations humaines (beauté, soins, parures, connaissances…), mais aujourd’hui ce n’est plus seulement la manière d’être qui est au cœur de ses préoccupations, mais la manière d’être par le pouvoir d’intervention que l’homme a sur lui même.

Certes disions-nous dans le premier entretien, le corps des élèves n’appartient ni à l’EPS, ni à l’école. Rappelons ici nos propos : « au-delà des habitus familiaux qui traduisent pour chaque élève une culture technique du corps, des habitus corporels déjà là, l’école devrait, selon nous, avoir plusieurs missions sur cette question du corps. Certainement d’abord, celle d’ouvrir les élèves à des champs culturels nouveaux, diversifiés utilisant divers substrats pour favoriser l’épanouissement de chacun dans ses interactions avec autrui. Ensuite, permettre à chacun en tant que « personne » intégrée à des contextes sociaux et culturels, d’avoir un rapport d’émancipation avec sa culture corporelle d’origine au sens le plus large » (R. Dhellemmes, 2013)

Il y a donc en EPS des choix éthiques que le CEDREPS tente de mettre à jour et de promouvoir concernant par exemple le pouvoir d’intervention sur soi comme source de libération de ses déterminismes. Ou encore son apport à une contribution à la lutte contre l’assujettissement des personnes aux représentations sociales normatives d’un corps qui les rendraient dépendantes d’un usage mercantile de ces normes. Et enfin, une contribution à l’émancipation des stéréotypes sociaux et de sexes qui a fait l’objet de travaux de la part du CEDREPS (par exemple PATINET Cathy, cahier N°12, pp. 167 et suiv.)

Diriez-vous que le CEDREPS souhaiterait mettre en perspective des éléments renouvelés d’une matrice disciplinaire ? Une matrice qui différerait de celles que proposent d’autres acteurs essentiels de l’EPS ?

Si nous prétendons contribuer au renouvellement de l’enseignement de l’EPS, comment peut-il en être autrement ? Ce n’est pas uniquement sur les procédés pédagogiques, des habiletés professionnelles à transmettre ou sur des situations pédagogiques que porte notre réflexion, encore que nous ne négligeons pas ces dimensions du métier. Mais pour répondre à votre question, nous n’avons pas la prétention d’apporter un nouveau modèle qui traiterait toutes les tensions que nous avons évoquées. Notre contribution est de mettre en perspective d’autres possibilités de lecture des pratiques innovantes considérées comme porteuses de réponses.

Il peut exister, du fait de la diversité des acteurs attachés à la culture physique artistique et sportive et des paradigmes qui traversent la société civile, une diversité des matrices disciplinaires de l’EPS chez ceux qui la défendent ou non. Une matrice disciplinaire est également l’expression par les acteurs et les spécialistes d’une discipline, de la reconnaissance et de l’acceptation des éléments constitutifs qui l’ordonnent et leur donnent sens. Dans un exposé récent lors du séminaire du SNEP sur la matrice en 2012, Michel DEVELAY exprimait l’idée que selon lui, l’EPS était traversée par divers paradigmes : le paradigme sportif, le paradigme psycho-motricien, le paradigme de la théorie de l’action motrice et le paradigme de l’approche phénomènologique (où la question de l’expérience vécue devient centrale). Nous ne sommes pas en accord avec cette « lecture » classique de l’EPS qui habille autrement cette guerre des courants que nous considérons ce jour comme relevant de controverses obsolètes. Un regard attentif sur les pratiques de l’EPS « réelle », celle qui est enseignée tous les jours peut conforter notre point de vue.

Ne faut-il pas tourner cette page en mobilisant d’autres outils, d’autres démarches ? Certes, en EPS tout le monde ne se reconnait pas tant s’en faut sous les mêmes énoncés généraux. En ce sens les convictions, les valeurs dans lesquelles les membres du groupe du CEDREPS se reconnaissent, peuvent donner un sens à leur action militante. Elles se cristallisent dans plusieurs conceptions. Dans une conception de l’éducation et donc de la formation du sujet au sein de la société. Dans une conception de la connaissance « en acte » des propriétés de l’activité corporelle comme une des conditions d’accès à liberté et à la médiation lucide avec les mondes de l’activité physique. Dans une conception de la culture. Nous souhaitons partager ces conceptions dans la mesure ou elles organisent des pratiques novatrices. Ce n’est pas un mince travail. Mais cet « ouvrage » contribue à nous permettre d’élaborer une sorte d’identité créatrice au travers des innovations dont nos collègues rendent compte. Mais il est vrai que le CEDREPS par ses écrits, ses débats, affiche plus ou moins explicitement les éléments d’une matrice disciplinaire, qui apparait ainsi différente par certains côtés, de celle qui affleure dans les textes institutionnels ou chez les partenaires sociaux.

Pouvez-vous préciser même de façon sommaire ?

Une matrice disciplinaire est composite et se structure autour d’un ensemble de dimensions que nous ne pourrons pas approfondir ici. Six dimensions nous paraissent pouvoir être mises en débat actuellement : une dimension culturelle ; une dimension psycho-sociologique ; une dimension politique et économique . Nous ne ferons dans un premier temps que survoler ces trois premières dimensions. Nous développerons par contre les trois dimensions suivantes : la dimension axiologique ; la dimension épistémique incluant un rapport au corps et la dimension évaluative et curriculaire.

Survol des trois premières dimensions

La dimension culturelle traduit la conception de ce qui fait culture dans les pratiques sociales des activités physiques ludiques, gratuites, « non productives ». Les interrogations concernent les relations de l’école aux cultures techniques, sportives et artistiques. Que recouvre cette différenciation culture corporelle – culture sportive ? Nous défendons l’idée d’une culture scolaire des APSA alors qu’un sociologue du sport comme J.P. Callède (l’appréhension des cultures sportives : tout un programme. Publication ARIS. 2004) utilise le vocable de culture sportive scolaire? Rappelons que nous avions abordé la question de l’émergence d’une culture scolaire des APSA « encore à construire et légitimer » dans le Cahier 6, en 2006. (R. Dhellemmes p.4). A ce propos, les ASDEP, et leur introduction dans les programmes d’enseignement en EPS, (R. Dhellemmes, 2002, Cahier 3) et les très vifs débats qui se sont développés à cette occasion, constituent en quelque sorte un « cas d’école » pour travailler cette perspective : quelle culture solaire des APSAD pour les élèves demain ?

Quelles relations à la culture corporelle de notre temps ? Les choix de spécialités doivent-ils dépendre des modalités de pratique contemporaines, des spécialités d’aujourd’hui ou au contraire l’EPS doit-elle proposer des APSAD en voie de régression voire de disparition servant ainsi de « conservatoire des pratiques » ? Quelles conceptions de la technique se trouvent en arrière-plan des traitements des APSAD concernant le choix de ce qui doit être transmis ? L’EPS doit-elle suivre les problématiques du C.I.O. dans le choix et l’élimination des APS qui obéissent on le sait à des exigences de spectacularisation voire de marchandisation ? Comment prendre en compte les demandes des élèves sans être soumis à leurs attentes « dans l’air du temps » on le sait également (le Bike plutôt que l’enchainement gymnique à la poutre ?).

Nous souhaitons que l’élève qui a vécu une EPS réussie puisse faire des choix de pratique en conséquence et s’investir dans celles qu’il souhaite, car il en connaît les dimensions essentielles (techniques, réglementaires) mais également parce qu’il en a réglé les problèmes adaptatifs principaux. C’est ce qui correspond pour nous au terme d’une formation, à un pratiquant cultivé.

La dimension psychosociologique traite de la conception du développement social, de la conception du rapport à l’effort physique, à la santé, à la construction d’une personnalité autonome, responsable. Elle intègre des éléments comme le rapport à l’effort, la motivation, le vivre ensemble, l’apprentissage sociocognitif. Tous ces champs mériteraient d’être investigués de plus près. Les enseignants d’EPS paraissent les plus proches des pédagogues tenant des méthodes actives sans toutefois bien connaître les soubassements théoriques d’une Maria Montessori, d’un Decroly… Quels sens alors attribuer à la question par exemple de la « liberté de l’enfant » ? L’absence de contraintes ou la démarche de dépassement des contraintes ? Cette dimension de la matrice porte en grande partie sur les effets éducatifs attendus de nos enseignements et qui doivent les structurer. Le fait de pouvoir affirmer un point de vue dans un groupe et d’écouter celui des autres. Le fait que chacun puisse se poser et percevoir autrui comme sujet et non comme objet. Ce qui peut donc conduire au dialogue, à la coopération, à l’affrontement dans l’écoute et sans violence.

Cette dimension de la matrice porte également sur les soubassements théoriques relatifs aux élèves apprenant, aux savoirs théoriques professionnels concernant l’intervention, aux différentes dimensions de la relation enseignement – apprentissage en situation de classe. Ce vaste domaine, que nous ne pouvons pas aborder ici, pourrait faire l’objet d’un inventaire, à l’image de ce qui avait été fait il y plus de trente ans par la « commission verticale ». On rappelle que celle-ci avait travaillé sur un projet d’instructions officielles. Concernant ces questions, comme nous l’avons déjà évoqué, les perspectives ouvertes par les chercheurs de l’ARIS nous paraissent très prometteuses. (voir le Cahier 12. 2012, p. 188).

La dimension politique et économique tente de mettre à jour les représentations de l’« utilité sociale », du coût social, des retombées d’une EPS satisfaisante. Quel type de normes, de loi, de règles (programme) souhaitons-nous ? Quels gains notre société peut attendre du travail de ses 35 000 enseignants, des horaires affectés aux enseignements de l’EPS, dans ses diverses composantes ? Comment apprécier ces gains à court, moyen et long terme ? Concentrons-nous par exemple sur les finalités. Elles ne relèvent pas pour nous d’une sorte de discours éducatif général sur ce que doit apporter l’EPS. Elles doivent conduire notre discipline à des choix de contenus qui articulent les visées éducatives les plus générales, les formes de pratiques scolaires et les contenus à enseigner, comme nous l’exprimions dès le second cahier sous le titre explicite suivant : « Finalités, compétences, contenus, quelle articulation ? ».

Dans sa préface du Cahier 8, Portes M. soulignait la nécessité pour l’EPS comme pour toute discipline scolaire, d’afficher précisément ce qui relèverait de l’EXIGIBLE dans les programmes d’enseignement nouvellement définis. Ce qu’il convient de faire étudier précisément à tous les élèves à chaque niveau de cursus. Il précisait encore que cette rénovation – identification de l’exigible en EPS ne pouvait pas ce faire sans les praticiens. C’est toujours sur cette position que notre groupe développe ses réflexions et ses propositions.

Au regard des visées éducatives que nous venons d’évoquer, il nous semblerait réaliste que la discipline soit missionnée précisément sur des finalités particulières, ayant fait l’objet d’analyses critiques et déclinées de façon différenciée au cours du cursus de formation EPS, notamment dans des articulations pluridisciplinaires. Nous avions pris l’exemple de l’éducation pour la santé qui nous paraît particulièrement pertinent au regard de la spécificité de notre discipline, seule à mettre en jeu une activité physique réelle. Dans le Cahier 10, nous affirmions ainsi que « parmi les objets d’étude que l’EPS doit offrir, l’apprentissage de l’entraînement physique peut prendre place comme une contribution singulière à une éducation pour la santé». Ces finalités doivent être reconsidérées en fonction de valeurs rarement énoncées et en rapport avec les contextes idéologiques, économiques.

Par ailleurs, à la question : « quels gains notre société peut attendre du travail des enseignants d’EPS ? », il conviendrait pour répondre sérieusement, d’analyser ce que produit effectivement cet enseignement. Depuis longtemps, et très périodiquement, l’idée d’un observatoire des pratiques est avancée sans jamais se concrétiser. Cet observatoire pourrait contribuer à caractériser les conditions d’une appréciation de cette plus value éducative de l’EPS qui pour l’instant demeure implicite voire supposée. On se souvient peut être des propositions d’A. Hébrard, argumentant pour la mise en place de groupes de travail régionaux et nationaux, et dont une partie des missions pouvait contribuer à cette appréciation de l’enseignement de l’EPS. (A. Hébrard , l’EPS réflexion et perspectives. 1986. P 189-193 ). Cette proposition nous paraît plus que jamais d’actualité et notre collectif pourrait au besoin contribuer à cette mission.

Développons un peu plus, les trois dimensions suivantes qui nous paraissent déterminantes dans la perspectives de l’élaboration d’un programme

la dimension axiologique.

Attardons nous un peu sur cette dimension relative aux valeurs qui organisent les propositions de programme, dimension souvent négligée alors qu’elle nous paraît constitutive. Quelles valeurs en général et plus particulièrement celles qui concernent le corps souhaitons-nous transmettre ?

Le sport pour exister a besoin d’homogénéiser et d’équilibrer les affrontements. Il a besoin d’une égalité artificiellement construite pour lutter contre les inégalités naturelles et structurelles. La confrontation sportive ne fonctionne pleinement que lorsqu’il y égalité des chances et incertitude du résultat. L’EPS en revanche doit concevoir ses activités en tenant compte d’une diversité, d’une hétérogénéité de la population propre à l’école. Ses pratiques ont donc des formes qui mettent à distance selon les circonstances de celles du sport conventionnel. L’école doit en effet accompagner le développement physique de tous. Si le sport soumet la raison à la passion, l’école en revanche soumet les passions à la raison. D’où la nécessité de ce cadre laïque auquel l’EPS doit se soumettre. L’enseignement de l’EPS se doit donc, sous certaines conditions, de mettre à l’étude, les styles de vie qu’ils soient sportifs, artistiques, de développement ou de régénération, des styles répondant à des valeurs, offrant les vertus qu’apporte à certaines conditions, la pratique physique.

Elle ne peut donc imposer un style, un mobile plutôt qu’un autre. Le sport, par son mobile, la compétition, son but, le record, ne peut être le ressort exclusif de l’enseignement de l’EPS. Isabelle Queval (2005) nous interpelle très explicitement sur ce sujet. Citons-la : « Le sport appelle le dépassement de soi quand l’éducation physique projette l’épanouissement de soi. Tranchée de la sorte, la partition est évidemment simpliste. Elle supposerait notamment qu’on ne puisse ne s’épanouir en se dépassant, ce qui d’emblée est contestable. De même qu’est contestable l’idée selon laquelle un équilibre serait un état stable, de la sorte menacé par le dépassement de soi » (dans S’accomplir ou se dépasser, NRF Gallimard, p 190.). L’enseignement de l’EPS ne peut selon nous, imposer une seule activité physique et une seule forme de pratique physique et/ou sportive représentative d’un style de vie uniforme. Elle se doit d’en offrir un nombre suffisant pour que soient possible de larges choix ultérieurs. Ceci justifie une offre variée de pratiques pour les élèves et une indispensable polyvalence de l’enseignant.

Des valeurs plus générales nous organisent également. En premier lieu celles de l’école de la République « liberté, égalité, fraternité » et laïcité. Ces valeurs ne se superposent pas à celles du sport, même si elles peuvent parfois se croiser pour certaines d’entre-elles avec celles de l’EPS. Revenons donc sur les valeurs républicaines, la Liberté tout d’abord : l’école est là pour aider le jeune citoyen à se constituer comme sujet, à pouvoir accéder par la pensée à une position réflexive et critique sur son activité (corporelle) et celle des autres, à cette « façon que la pensée a de se penser. »(4) À celle d’Égalité ensuite : L’école est là pour permettre à chacun, quel qu’il soit, d’accéder au plus haut niveau de savoirs et de compétences, À celle de Fraternité enfin : L’école est là, non pas pour instaurer des rapports de domination, mais de partage, pour aider les élèves à se constituer comme sujet et reconnaître l’autre comme tel, qui est ici et là, maintenant, et que je n’ai pas choisi. La laïcité enfin, laquelle aujourd’hui nous semble une valeur essentielle, au sein d’une société ou la tolérance est parfois menacée, et où les enseignants de notre discipline se trouvent très concrètement confrontés à des situations remettant en cause cette valeur.

Nous valoriserons donc un engagement corporel dans les valeurs de la république, la réalisation et l’affirmation de soi, le goût de l’effort, à se construire une image positive du corps dans le respect de l’intégrité de soi, d’autrui. Ainsi, dès 2004 (Cahier 4), nous décrivions précisément les propriétés des formes de pratiques scolaires qui permettaient de faire de l’élève « un pratiquant cultivé ». (R. Dhellemmes, pp. 71-76, des situations de Ré(V)férences aux formes de pratiques scolaires). Cette perspective s’est prolongée, approfondie. Ainsi dans le bilan d’étape exprimé en 2010 dans le Cahier 9, G. Bonnefoy, R. Dhellemmes, N. Mascret, pp 4-8, nous promouvions « Une EPS dont les élèves ont besoin », une EPS ouverte de façon critique sur toutes les cultures relatives aux activités corporelles, mais pas toutes dans le même temps ni pour les mêmes raisons. » Et nous déclinions alors les questions sur lesquelles il convenait de travailler : « Quels sont les enjeux de notre discipline ? En quoi le citoyen a besoin des contenus de notre discipline ? Quels sont les besoins sociétaux que notre discipline est censée couvrir ? ». Ces questions relèvent bien de cette préoccupation de mettre à jour la face cachée de notre matrice disciplinaire évoquée au début de notre propos.

La dimension épistémique, incluant celle du rapport au corps.

Cette dimension incluant la question du rapport au corps, fonde le type et les modes de connaissance que l’on souhaite transmettre. A ce niveau, il s’agit pour nous en EPS, de re-questionner les « présupposés », les « allants de soi » d’une expérience corporelle vécue, par la pratique d’activités physiques, sportives, artistiques pour construire de nouvelles modalités d’adaptation. Le sujet en mouvement est ici à la fois objet et sujet de ce re-questionnement, Il peut et sait donc intervenir de manière autonome sur sa propre activité corporelle et connaît les effets de ses actions, sur lui-même et sur autrui. Il sait qu’il dispose de ressources variées (physiques, morales, intellectuelles …) qu’il a identifiées et il connaît les conditions d’exploration lucide de ses ressources dans des milieux différents. Il différencie par exemple « milieux à risque » et « comportements à risque ». Il connaît les facteurs facilitants, limitants, inhibants, de certaines propriétés du corps dans l’action et en respecte les usages.

Comment organiser alors de façon efficace dans une scolarité, des ensembles de savoir (faire ; être ; vivre) en correspondance avec les stades de développement bio fonctionnels des élèves ? Comment ces propositions correspondent aux motivations des élèves pratiquants avec le plaisir que suppose le moment d’un pratique en EPS ? Nous avions par exemple fait des propositions d’organisation de l’EPS pour le lycée en 2009 dans le Cahier n°8. Propositions qui différenciaient au sein d’un lycée rénové, des temps d’enseignement obligatoires, des temps de pratiques autonomes obligatoires en groupe classe et des temps de pratiques ouvertes, ou les élèves pratiquent de manière autonome et volontaire.

Par ailleurs, ne restons-nous pas prisonniers d’une conception dualiste d’un corps soumis uniquement à l’entendement ? Or les approches du sensible telles que proposées par la phénoménologie mais aussi dans le domaine de la neurophysiologie montrent que cela n’est pas si simple. Certaines salles obscures de la corporéité résistent à une approche calculée ; voire parfois le corps décide avant la « substance grise ». L’expérience vécue dans certaines circonstances peut suffire à elle-même, sans verbalisation, au stade du préréfléchi. La présence, le jeu tonique des relations avec le monde, les régulations posturales réalisées en fonction de l’environnement … autant d’éléments qui restent souvent énigmatiques et qui relèvent « des transformations silencieuses ». De ce point de vue, les propositions des programmes lycée concernant la relaxation constituent une réelle avancée. Nous sommes enclins à penser que l’approche cognitive a joué historiquement pour une reconnaissance scolaire de l’EPS avec l’intention de satisfaire au paradigme logicomathématique et linguistique. Mais cela a pu conduire à délaisser l’activité corporelle dans sa réalité sensible. Il ne s’agit pas ici de nier l’intérêt du recours au registre cognitif pour formuler certains des contenus de l’EPS mais de lui donner un autre statut comme nous avons tenté de le faire dans nombre d’articles …

La dimension évaluative et curriculaire.

La question est ici d’identifier la conception de la fonction et du rôle de l’évaluation dans la construction de la discipline. En principe, un « appareil docimologique » (CHERVEL) est censé apprécier les effets d’une formation disciplinaire, l’impact de la formation des élèves sur des compétences que nous appellerons en première approximation « corporelles ». Il s’agit de tenter de comprendre comment sont élaborés les contenus dans leurs rapports à la certification des acquisitions.

Aujourd’hui, l’EPS nous paraît confinée dans une démarche qui a été nécessaire il y a une vingtaine d’années lorsqu’il s’est agit de mieux circonscrire ce qui s’enseignait en EPS. L’institution a mis en place pour les examens, un système d’évaluation précis autour de notions qui ont été rapidement adoptées par notre communauté éducative : maitrise d’exécution, performance, zone de performance, etc. Il s’en est suivie une effervescence de productions novatrices « pour évaluer en EPS » sans que véritablement la question des contenus enseignés ne soit posée en parallèle. Cette approche nous paraît se poursuivre malgré la présence de programmes d’enseignement en lycée par exemple dès les années 2000. Les enseignants semblent avoir lu les référentiels d’évaluation avant les programmes alors que ceux-ci étaient conçus avant. Les contenus des épreuves d’évaluation sont devenus progressivement des contenus d’enseignement et il semble bien que les programmes proprement dits aient progressivement été délaissés. Cette pratique est probablement devenue habituelle à tel point qu’on nous rapporte ici et là que les compétences « sont enseignées » (voir l’entretien N°2), et qu’enseigner l’EPS dans les classes d’examen consiste à enseigner ce qui est évalué. On voit bien là l’inversion logique : on enseigne ce qui est évalué au lieu d’évaluer ce qui a été enseigné. Et la tendance ne fait que s’accroitre lorsque par exemple est proposé une épreuve de relais 4 x 50 mètres qui remplace une forme de pratique scolaire de 2 x 40 mètres, évaluant précisément un objet d’enseignement. Les heures d’enseignement suffisent à peine alors pour permettre aux élèves d’apprendre à réaliser l’épreuve (5) .

C’est bien là un élément de matrice disciplinaire, lorsque l’enseignement est piloté par l’évaluation alors que le rapport avec les objets ou les contenus à enseigner devient approximatif. Comme nous l’avons développé dans les entretiens précédents, nous pensons que ce sont les objets à enseigner qui devraient être au centre de l’attention des enseignants. Les référentiels de compétences devraient avoir pour fonction d’apprécier dans quelle mesure et dans quelles conditions les élèves ont intégré ces objets, ces éléments permettant de pondérer les notes dans des situations d’intégration (les conditions de pratique, la qualité et la stabilité de la prestation). Nous souhaitons que les enseignants puissent disposer de référentiels leur permettant d’apprécier au travers de situations d’intégration, dans quelle mesure ces savoirs (à la condition qu’ils soient explicites dans les programmes) sont effectivement mobilisables.

Que pouvez-vous conclure concernant votre point de vue sur une matrice disciplinaire en EPS ?

La notion de matrice disciplinaire ne nous paraît pas devoir être utilisée de façon prescriptive, pour imposer un ensemble de points de vue qui piloterait les pratiques des enseignants. Cette notion permet d’abord de tenter une approche descriptive et compréhensive des propositions des uns et des autres dans la mesure où elles portent sur des pratiques effectives, en usage ou innovantes. Elle peut conduire à une analyse des propositions officielles ou non : de quels points de vue – ici le pluriel est de mise – se situe le cadre d’écriture actuel de l’EPS, les oppositions à ce cadre ? Que disent les propos des uns et des autres de la façon de considérer la culture des activités physiques et sportives, la place du sujet dans la construction d’un rapport au corps à la fois plus sensible et raisonné ? Quels sens recouvre une stabilité de plus de 40 ans des finalités que l’EPS aurait à poursuivre ?

On voit que la question n’est pas de « défendre un point de vue » contre d’autre points de vue. Elle est bien de tenter de dépasser une terminologie qui, soit clôt le débat avec des formulations servant d’arguments d’autorité (épaisseur culturelle, approche anthropotechnique), soit l’enferme dans un cadre de présentation supposé définitif (compétences propres ou attendues).

Nous pensons indispensable aujourd’hui de revenir sur des blocs de signification qui semblent cohérents comme ce qu’il est convenu d’appeler « le culturalisme », notion qui sert selon l’utilisateur, de repoussoir ou d’argument définitif. Nous défendons principalement et cela traverse l’ensemble de notre engagement, l’idée que les arguments d’autorité d’où qu’ils viennent doivent être soumis à analyse, à débats voire lorsque cela est possible à étude approfondie. Nous sommes ainsi plutôt sur le registre de rendre plus lisible les options de chacun et en tout premier lieu les nôtres, en travaillant à partir d’une « épistémologie des savoirs scolaires » approche trop peu utilisée encore dans notre domaine, en dehors de quelques cas particuliers (voir les travaux récents de Cédric ROURE (6)). Cela est dommage quand on constate la fécondité des travaux utilisant l’outillage conceptuel de cette approche, en histoire géographie par exemple (Cf. notre référence de départ concernant Nicole Allieu Mary). Nulle recherche de polémique dans nos propos ni de volonté de remplacer quelque chose que nous considérerions « obsolète», par autre chose en quoi nous croyons. Nous sommes dans une posture interrogative sans volonté hégémonique, dans une sorte de démarche d’observation participante. Donc nous demeurons dans la nuance et dans l’incertitude que peut être, les pratiques innovantes que nous proposons permettent de réduire, ce qui justifie que nous travaillons à partir d’études de cas de ce que nous percevons comme des innovations.

Conception de la culture, du corps et … du reste : la plupart du temps cela forme un tout syncrétique ! Nous sommes ainsi face à des ensembles de conceptions « tricotées » pour répondre aux attentes de l’institution qui les propose ou qui en rejette d’autres. Tricotage issu de l’activité créatrice des enseignants avec leurs élèves (Chervel) ; des attentes des utilisateurs appuyées sur des représentations en rapport avec leur propre vécu … Tout cela fonctionne la plupart du temps à l’insu des acteurs eux-mêmes, quel que soit le niveau de décision qui est le leur. Le rôle d’un groupe comme le nôtre est peut-être de contribuer à l’avènement de lectures renouvelées des propositions de textes et/ou de pratiques, de favoriser l’explicitation « de ce qui se trame » en arrière plan de ces propositions et éventuellement de montrer qu’il en est d’autres aussi pertinentes dans le contexte d’aujourd’hui mais peut-être moins « confortables”. En cela nous nous appuyons sur des données issues des recherches ET sur des innovations que nous considérons comme « prometteuses » du point de vue d’une transformation de nos principes d’intelligibilité.

Nous souhaitons enfin que les enseignants d’EPS aient une marge de décision sur les activités qu’ils peuvent proposer aux élèves pour leur permettre d’acquérir les savoirs qui apparaîtraient clairement dans les programmes. Le trajet de formation des élèves en EPS ne devrait-il pas comporter une diversité de ces savoirs conçus en fonction des exigences de développement des élèves ? Il ne s’agirait plus de « former à tout, tout le temps » de façon illusoire, mais d’envisager un trajet de formation qui réduirait le nombre d’activités proposées praticables alors dans les meilleures conditions possibles – selon les contextes d’équipement – et dans une démarche d’enseignement permettant la recontextualisation des acquisitions. De ce point de vue, nous souhaitons que les enseignants puissent exercer plus encore de responsabilité dans la mise en scène des savoirs, responsabilité qui doit se fonder sur une formation à l’enseignement de l’EPS conçue dans cette perspective. On redonnerait ainsi une responsabilité majeure et des marges de décision importantes aux enseignants dans le cadre d’un renouvellement de leur formation continue.

Dans ces conditions, nous croyons possible le développement d’une EPS « à la française » que nous appelions de nos vœux dans une publication de l’AEEPS (sur internet dès 2007). Une EPS construite par recours et aux dépens des propositions antérieures issues de notre histoire, avec les professionnels de son enseignement, aujourd’hui. L’EPS n’existe dans l’école que par le jeu d’un ensemble de contraintes et de déterminismes … que les acteurs tentent de dépasser si la situation du moment ne convient plus, ce qui paraît être le cas aujourd’hui ! Nous faisons partie avec modestie et détermination, de ces acteurs qui souhaitent contribuer au renouvellement de l’enseignement de l’EPS.

Propos recueillis par Antoine Maurice

Le site de l’AEEPS

Entretien avec Christian Couturier autour de la matrice disciplinaire

A plusieurs reprises le SNEP (syndicat national de l’éducation physique) syndicat majoritaire de la discipline “EPS” s’est intéressé aux questions autour de la matrice disciplinaire. Un séminaire s’est déroulé en 2012 sur l’identité de l’EPS, la matrice disciplinaire, les compétences, les classifications. Christian Couturier, secrétaire national du SNEP a bien voulu répondre à nos questions.

Vous évoquez souvent les questions quotidiennes que se posent les collègues enseignants d’EPS ? Justement quelles sont-elles ?

Avant de répondre directement à la question je voudrais dire que peu de gens, à part quelques chercheurs, se soucient des enseignants et de leur travail. Je veux dire que peu de gens se soucient du travail tel qu’il se passe, de l’EPS telle qu’elle se déroule, concrètement, quotidiennement, des souffrances et des bonheurs quotidiens. Dès lors les « experts » qui travaillent sur l’éducation, souvent, méconnaissant les connaissances produites par la recherche abondante sur ce sujet, en viennent rapidement à faire des recommandations ou des prescriptions en décalage avec le quotidien de l’enseignement. C’est même parfois incompatible, inapplicable. Il y a donc à revoir de fond en comble la manière de concevoir les réformes et le pilotage de celles-ci si l’on a un peu le souci de l’efficacité. En France, on a juste la volonté de « faire passer les réformes », en renforçant les hiérarchies intermédiaires. La période Sarkozy a accéléré ce phénomène et l’a poussé à l’extrême. Cependant soyons optimistes : la loi Peillon doit instaurer un conseil supérieur des programmes, chargé de revoir socle et programmes. Ce sera un test. Un test pour l’ensemble de l’école bien sûr, mais aussi spécifique à l’EPS : va t-on être capable, par exemple, de remettre sur pied une dynamique de travail et de réflexion collective qui engage l’inspection, l’université, la profession et ses représentants, sur le contenu de la discipline ?

Les changements que l’on veut mettre en perspective, à savoir l’élévation globale du niveau culturel des jeunes, ne peuvent se faire sans prendre appui sur ce que font les enseignants tous les jours. Le temps est passé où l’on pouvait mettre en exergue quelques pratiques professionnelles remarquables et chercher à les populariser. Il faut permettre à chacune et chacun de pouvoir faire un pas en avant à partir de ses problèmes quotidiens : ici ce sont des problèmes d’installations, là des relations au travail, de gestion d’élèves en difficulté en trop grand nombre, d’horaires insuffisants, ou encore de contenus d’enseignement non maitrisés par manque de formation, etc.

Par conséquent, la notion de « matrice disciplinaire » répond-elle aux questions des collègues ?

Non. Mais c’est normal : elle ne peut pas. Il faut sur ce sujet lever le voile. Les programmes d’EPS depuis 2008 utilisent cette notion n’importe comment. On nous a dit qu’enfin l’EPS a une matrice : une finalité, 3 objectifs, et 4 ou 5 compétences propres. Cette matrice nous est présentée comme une clarification majeure de l’EPS. On est censé penser que cela va améliorer pas mal de choses. Et quoi donc ?

Rappelons d’abord que la notion de matrice disciplinaire est une notion qui a été inventée pour comprendre, en didactique, les soubassements idéologiques, politiques, scientifiques, pragmatiques…. à l’origine des choix disciplinaires. La matrice des programmes actuels n’est donc pas la finalité et les compétences… mais ce qui a produit cela. Expliquer par exemple ce qui a présidé à l’identification des « compétences propres » relève d’une mise en lumière de la matrice : d’où cela vient-il ? Comment expliquer que l’on affiche depuis plus de 20 ans que l’on veut former des citoyens critiques alors que l’on cherche plutôt à former des élèves dociles et sages ? Comment expliquer que les objectifs généraux, qui semblent-il font consensus, aient été réécrits dans un ordre différent des précédents programmes, tout en écrivant dans le texte que l’ordre de présentation n’a pas d’importance ? Comment se sont « fabriquées » les compétences attendues ? Voilà ce qui renvoie à la matrice : la recherche du pourquoi. Or vous remarquerez que tout ceci est bien masqué, jamais explicité. Autrement dit, contrairement à ce qui peut se dire, ce qui est écrit dans les programmes n’est pas la matrice, ce ne sont que des choix qui découlent d’une matrice non dévoilée par l’institution.

Pour répondre à la question posée, la fonction d’une matrice disciplinaire n’est pas de résoudre des problèmes d’enseignement, elle est là pour expliquer les fondements des contenus à enseigner. Par exemple notre hypothèse est que le choix des compétences propres en EPS a une double fonction, d’une part chercher à s’extraire des APSA comme « matière de l’EPS » (définition que donnait Alain Hébrard) pour surfer sur la mode des compétences générales, et d’autre part contraindre les programmations. Pourquoi modifier les programmations ? Parce que nos « penseurs » supposent que l’EPS s’en porterait bien mieux si, par exemple, on programmait moins de sports collectifs et de sports de raquettes. Ça c’est leur « matrice ». Une idéologie appuyée par des convictions ou des croyances. Les jeunes seront-ils vraiment plus cultivés en faisant plus de musculation ou de course en durée ? C’est cela discuter de la « matrice ». Mais on peut d’ors et déjà se donner rendez-vous dans quelques années et prendre les paris : ça ne changera rien parce que ce ne sont que des mesures technocratiques qui transforment l’organisation de l’EPS, mais pas son enseignement.

Est-il possible de faire également le même parallèle avec l’introduction de la notion de compétence, et de ce fait des classifications ?

La question des classifications, nous venons un peu de l’évoquer. Les collègues ont besoin d’une classification d’APSA fonctionnelle, permettant d’opérer des choix. Prétendre, comme c’est le cas aujourd’hui, que la gym et la danse sont dans le même groupe, donc de même nature, au prétexte que l’on se montre devant des spectateurs est une pure ineptie. Pas besoin d’être formé à bac+5 pour le comprendre. Les choix actuels de classification, verrouillés par les circulaires aux examens, ont heurté la profession et décrédibilisé les textes officiels. Ce n’est pas une bonne chose pour l’EPS : maintenant lorsqu’on évoque les programmes avec les collègues, ils lèvent les yeux au ciel, et lorsqu’on parle des référentiels d’évaluation, ils se mettent en colère ! Ce qui est très problématique parce que nous pensons qu’au contraire nous avons besoin de ces références nationales, nous avons besoin de bons programmes.

Pour les compétences, le sujet est plus compliqué, parce que les compétences sont devenues un objet politique qui sert d’étendard aux réformes scolaires. L’approche par compétence a été détournée de son sens pour masquer la faiblesse des propositions : sans aller très loin, l’exemple du socle commun est emblématique. Ce socle de compétences devait tout révolutionner. Instauré en 2005, il n’a rien produit à l’échelle de l’Ecole. La notion de compétence est au cœur de nos programmes depuis 1996, qu’est-ce que ça a changé fondamentalement dans l’enseignement de l’EPS ? On a maintenant des compétences partout : propres, méthodologiques, sociales, attendues… On peut tout appeler compétence si l’on veut, ce n’est pas ça qui donnera de meilleurs outils aux enseignants pour résoudre l’échec scolaire. La notion de compétence doit être réservée à l’identification de ce qu’il faut viser (les compétences attendues), sans exclure du vocabulaire scolaire d’autres notions : savoir, habiletés… On subit une sorte de terrorisme intellectuel sur le vocabulaire pédagogique. Il faut sortir de ce carcan. C’est aussi un enjeu pour l’avenir. Les compétences sont utiles pour tenter de mieux définir ce qu’il faut savoir faire au bout d’un cycle d’apprentissage, mais elles ne disent rien sur ce qu’il y a à apprendre, et encore moins, bien entendu, sur comment faire apprendre.

Justement que propose le SNEP sur ces questions ?

Qu’on se mette au travail collectivement ! Qu’on cesse de considérer la profession comme un mauvais élève qu’il faudrait faire rentrer dans le rang. Que l’on mette en débat la rénovation des contenus de l’EPS et des pratiques professionnelles. Que l’on cesse de faire fonctionner une sorte de « club House » de l’EPS de gens autorisés à penser la discipline à la place des autres. Que l’on lance un plan de reconstruction de la FPC. Que l’on redonne du temps à la formation initiale. Que l’on donne enfin des moyens pour un développement de la recherche sur les contenus de l’EPS. Que l’on construise partout où c’est nécessaire des équipements sportifs pour travailler et apprendre dans de bonnes conditions. Que l’on diminue le nombre d’élèves par classe… Voilà un beau programme en remplacement de celui qui consiste à nous faire croire que l’approche par compétences va transformer l’enseignement (que ce soit clair, nous ne rejetons pas cette notion, mais d’en faire le Graal pédagogique est un peu insensé).

Nous voyons à travers nos deux entretiens avec le CEDREPS et le SNEP que le chantier est ouvert, maintenant comment commencer les travaux ?

Non, le chantier n’est pas encore ouvert. Pour l’instant chacun fait des travaux plus ou moins importants dans son coin. Il faut sortir du cloisonnement, c’est par exemple ce que nous cherchons à faire avec l’opération « manifeste » (www.snepfsu.net/manifeste) qui invite chacune et chacun à se prononcer sur l’EPS. Si, comme j’ai pu le lire de la part du CEDREPS, il considère aussi que les programmes actuels ne répondent pas aux besoins et que nous sommes arrivés au bout d’un cycle, alors nous partageons la volonté d’entreprendre un nouveau chantier.

Certes c’est facile à dire. Mais nous pensons que nous en sommes capables. Il faut reprendre les choses dans l’ordre. On peut proposer une méthode :

1/ Établir en premier lieu un diagnostic partagé, un bilan de la situation actuelle, l’état des jeunes, la pratique scolaire et extra scolaire… Ce travail serait une première, à grande échelle. Cela n’a jamais été fait.

2/ Travailler ensuite à un projet, lui aussi partagé. A l’instar des propositions que nous faisons dans le manifeste, comme projet culturel et social. Quel est le sens de la discipline, quels objectifs retenir pour les années à venir ?

3/ Quelle traduction de tout cela dans de nouveaux textes officiels ?

4/ Quels accompagnements (formation initiale et continue, documents d’accompagnements, moyens…) pour instaurer une véritable dynamique professionnelle ?

Il faut être ambitieux, voir les choses en grand. La profession ne demande qu’à s’offrir un nouvel avenir et à travailler à la culture physique sportive et artistique des jeunes. Les propositions sont sur la table. Il faut maintenant un peu de courage politique et d’envie de faire progresser l’EPS. Par l’opération « Manifeste » dont un des points d’orgue sera la tenue d’Etats Généraux de l’EPS les 24 et 25 mai prochains (voir sur notre site le programme), le SNEP a montré qu’il était prêt à travailler, avec toutes et tous.

La question : tout le monde est-il dans le même état d’esprit ? Nous l’espérons pour l’avenir de l’EPS.

Propos recueillis par Antoine Maurice

Le manifeste

Notes

(1) Nous nous sommes appuyés pour réduire ces risques d’approximation d’une part sur le travail de Nicole Allieu-Mary tel que présenté dans un article récent : Grilles d’intelligibilité des disciplines scolaires : paradigme et/ou matrice disciplinaire ? INRP, (août 1993 novembre 2002 janvier 2010). Et d’autre part sur les propositions de E. Prairat. (1996), Revue Education

(2) Voir dans la revue contrepied consacrée au développement de la personne, l’article d’Anne Roger.

(3) Sur le plan philosophique, « est paradigme ce que l’on montre à titre d’exemple, ce à quoi on se réfère comme à ce qui exemplifie une règle et peut donc servir de modèle ». C’est un « modèle concret » qui guide l’action humaine, Jacobson, (1963), Essai de linguistique générale.

(4) Kintzler Catherine. Qu’est-ce que la laïcité ?, Vrin, coll. « Chemins philosophiques », 2007, 128 p [présentation en ligne]. À la différence de la tolérance, la laïcité n’a pas pour objet de faire coexister certaines libertés telles qu’elles sont dans une société donnée, mais de construire a priori la condition de possibilité de cette coexistence

(5) Voir les propos de deux de nos collègues de l’AE EPS (Lavie François et Colas Didier) dans la revue de l’AE EPS « enseigner l’EPS » N° 260 d’avril 2013

(6) ROURE C., épistémologie des savoirs scolaires et sens culturel des APS, carrefour de l’éducation N°35, Mai 2013