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Pour former les enseignants au numérique il faut du soutien de proximité, dit Bruno Devauchelle. Or on en est loin. L’institution est loin aussi d’avoir clarifié ses intentions par rapport au numérique. L’abandon de l’exigence du C2i2e alors même qu’on initie un discours volontariste sur le numérique éducatif en est un bel exemple…

La formation des enseignants est un refrain, une litanie, un leitmotiv rappelé à chaque plan, projet, stratégie d’introduction du numérique en éducation. Mais rarement on n’entre dans le détail, les définitions, les précisions sur ce que l’on nomme formation, surtout à un moment où les fonds affectés à celles-ci (en particulier) semblent en diminution, une fois de plus. Comme toute catégorie générale, la formation recouvre des réalités multiples qui vont de l’autodidaxie au stage long (jusqu’à l’année entière il n’y a pas encore si longtemps), quand ce n’est pas à la reprise d’étude pure et simple de type master. De plus avec les modalités nouvelles rendues possibles par le développement des outils numériques, former les enseignants au numérique, avec et par le numérique est désormais facilité.

La première dimension de la formation est celle du temps. Si suivre une formation (type stage) prend un temps défini, s’approprier les acquis de la formation, et les transférer à sa pratique professionnelle prend un temps indéfini, selon les personnes et les contextes. Dans de nombreux stages on a pu entendre en formateur déclarer : « deux jours de stages nécessitent six mois de travail après ! ». Dans le monde enseignant il y a une particularité qui est que l’on compte en temps d’enseignement et pas en temps d’apprentissage. Si le temps de formation est celui de l’enseignement, quel est le temps de l’apprentissage ? Se limite-t-il, pour les adultes au temps de stage ?

En termes d’apprentissage, le temps est élastique. Il suffit de suivre des enfants de la maternelle à l’université pour l’observer. Les règles posées par le temps de l’école et le découpage en classes et en niveaux ne correspondent pas au rythme de l’apprendre. Chacun avance à son rythme, les cycles proposés dès 1989 dans la loi d’orientation ont tenté d’y répondre, avec le succès partiel que l’on connait au primaire, et l’échec quasi total au collège. La formation des enseignants, si elle cherche l’efficacité, doit prendre en compte le temps d’apprentissage. Et ce d’autant plus pour des adultes lorsque l’objet de formation suppose un déplacement culturel important, comme c’est le cas avec le numérique. Si le geste technique peut s’acquérir relativement rapidement, sa répétition dans des contextes variés n’est pas toujours aussi rapide, comme le constatent nombre d’artisans face à leurs apprentis.

Après ce premier repère, celui du temps, il faut considérer le deuxième repère, celui de l’intention. Dans le monde de l’enseignement on devrait plutôt parler au pluriel, tant, pour chacun elle est différente selon les contextes : intention d’acquérir les compétences, intention d’utiliser, intention de faire utiliser, intention de partager ses compétences… Depuis près de dix années le développement important des usages privés des objets numériques a développé des savoir-faire (très variables selon les individus), mais surtout des représentations et des intentions d’usage. Face à l’injonction d’usage en contexte professionnel, les enseignants sont confrontés à des intentions multiples et parfois contradictoires. Ainsi lorsqu’un enseignant donne son adresse mail à un élève et ne passe pas (s’il en la possibilité) par l’adresse professionnelle, soit on est en présence d’une non maîtrise technique, soit d’une intention spécifique. La multiplication des injonctions ministérielles à utiliser les TICE, sans pour autant qu’il y ait de réelle contrainte au quotidien a laissé, le plus souvent, une place de choix à l’intention personnelle au détriment de l’intention institutionnelle.

Le troisième repère est celui du cadre de référence de la formation, en d’autres termes le référentiel de compétences. Les objets numériques, bien plus que d’autres objets d’apprentissage, ne permettent pas facilement la distinction entre connaissance, aptitude et attitude. En abordant la question par les compétences, nombre d’enseignants ont été impressionnés. Ainsi lors de la mise en place du B2i en 2000, dans de nombreux établissements, les enseignants se sont interrogés sur leur propre capacité à obtenir cette certification avant même de la faire obtenir à leurs élèves. Le développement, dès décembre 2004, du C2i enseignant (niveau 2), a encore renforcé ce sentiment d’écart chez la plupart d’entre eux. N’aurait-il pas été écrit par des spécialistes ambitieux, trop ambitieux ? Les multiples reports de l’obligation de l’obtention de ce certificat pour pouvoir enseigner en sont peut-être le signe, du fait d’une hésitation des décideurs au vu du niveau général de culture du numérique. Le bruit qui court, depuis février 2013, d’un abandon de l’obligation de la certification pour être titularisé semble se confirmer et le référentiel des enseignants qui se met en place pour les ESPE s’en fait écho en ne prenant pas en compte le C2i2e. Ainsi le cadre de référence a-t-il changé, ou plutôt est revenu à la case départ : pas de compétence numérique attestée obligatoire pour devenir enseignant en 2013.

Restent maintenant les contextes d’usage du numérique dans l’enseignement. Quatrième repère pour l’analyse, les lieux d’exercices et leurs organisations, ne sont pas vraiment adaptés au numérique, ou plutôt pas encore. Rappelons la difficulté de réservation de la salle informatique du collège ou de l’école, disputée âprement dans certains établissements, pas du tout dans d’autres (personne ne l’utilise, ou presque). Rappelons aussi l’impossibilité d’enseigner de manière souple dans les salles informatiques…. du fait de la taille et de la place donnée aux ordinateurs. Contexte matériel, certes, auquel il convient de rajouter infrastructure et maintenance, mais aussi auquel il faut ajouter la culture ambiante de l’établissement par rapport au numérique. Les retours de stages sont toujours délicats et nombre d’enseignants déclarent être « rattrapés » par le quotidien, oubliant peu à peu le stage. Le retour récent de la maintenance dans les préoccupations prioritaires en fait un coupable idéal pour les non usages, cela est confirmé dans la pratique. La stabilité et la robustesse des équipements supports de l’enseignement sont essentielles à la mise en place d’un projet. On a souvent accusé, déploré le manque de formation, mais l’analyser isolément du contexte est une erreur. L’effet système joue fortement ici. Des propositions intéressantes ont été faites et mises en place, sans pour autant être la panacée. La dernière en date est celle que l’on peut nommer du « photocopieur à un bouton ». En supprimant nombre de fonctionnalités plus ou moins utiles, on peut s’assurer que la fonctionnalité principale sera utilisée. Certains responsables informatiques pensent cela : guidons, encadrons, interdisons, limitons, si l’on veut être sûr de l’utilisation. C’est aussi la tendance actuelle des matériels récents, smartphone, tablettes. Il s’agit de rendre le numérique transparent… et ainsi se passer de formation. Y a-t-il de nombreux modes d’emploi dans les apps des différents magasins en ligne ? Cette évolution pourrait modifier radicalement la notion de formation dans les années à venir, surtout si les espaces collaboratifs apportent encore davantage d’aide des utilisateurs par les utilisateurs. Les contextes changent, il va falloir le prendre en compte

Former les enseignants au numérique c’est peut-être aller vers la réconciliation des cultures, ou plutôt le retour vers la culture dans un monde numérique. Autrement dit c’est tenter de faire du lien entre une situation de transmission et les moyens de médiation technique (appelée instrumentale), qu’on peut aussi nommer rapprochement des médiations (pour reprendre le cadre théorique proposé par Daniel Peraya). On est dans des temps longs et non pas dans des moments de transformation soudains, comme les nouvelles offres techniques tentent de nous l’imposer. La refonte de la formation initiale qui prend forme petit à petit ne peut se faire sans envisager la formation continue et l’accompagnement des pratiques. C’est sur ce dernier point que les dispositifs dits de formation devraient mettre l’accent en ce moment. Plutôt que de continuer d’initier aux réseaux sociaux, aux logiciels d’images et autres artefacts, il y a besoin de soutien aux pratiques. La forme de soutien qui peut être proposée peut être hybride, flexible et multimodale pour permettre à chacun de se sentir « soutenu ». Car finalement, ce que demande l’enseignant qui fait évoluer sa pratique, c’est de ressentir qu’il y a du soutien de proximité aussi bien que du soutien institutionnel. Les corps d’inspection devraient en partie s’en emparer de manière approfondie, car ils sont souvent les articulations entre les logiques qui traversent le quotidien des enseignants. Ils pourraient entrer aussi dans de nouvelles formes de partenariat avec les responsables des établissements pour que ce soutien soit relayé au quotidien. Malheureusement, il semble que dans ce domaine, il y ait encore beaucoup de chemin à parcourir.

Bruno Devauchelle

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