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Avec l’intensification de la lutte contre le décrochage, les microlycées sont sous les feux de la rampe. En Ile-de-France, le conseil régional souhaite voir leur nombre doubler. Partout ils apparaissent comme une réponse pour remettre sur les rails une partie des décrocheurs, principalement les « déçus de l’école », ceux que l’Ecole a blessé ou à qui elle refuse toute chance de retour à la normalité après un accident de vie. L’ouvrage d’Eric de Saint-Denis et Nathalie Broux fait découvrir la pédagogie et l’organisation qui font l’originalité de ces structures. Or toutes deux sont aisément transmissibles aux lycées ordinaires. Les microlycées sont-ils en passe de changer le lycée ?

Mis en avant avec la montée de la question du décrochage, les microlycées restent peu connus. D’abord parce qu’il s’agit de structures très petites qui ne scolarisent que quelques dizaines d’élèves chacune. Aussi parce que longtemps les microlycées n’ont été que tolérés. Durant la dernière décennie ils n’apparaissaient pas à l’institution comme porteurs de solution. Enfin leur création était liée à des personnalités exceptionnelles (G Cohn-Bendit, G Longhi…) mais qui échappaient au profil si lisse des fonctionnaires obéissants…

L’intérêt de ce livre c’est de donner la parole aux enseignants des microlycées. Eric de Saint-Denis a fondé le premier microlycée de Senart et Nathalie Broux est coordinatrice du microlycée de La Courneuve. Tous deux décrivent dans cet ouvrage leur conception pédagogique et la pédagogie mise en oeuvre.

Partant du récit de vie de trois élèves des microlycées, les auteurs mettent en avant ce qui fonde la pédagogie du raccrochage. Là il y a un mot fort, souvent disparu des lycées classiques : la pédagogie du raccrochage est une pédagogie de la bienveillance. Celle-ci s’exprime dans le tutorat, dans l’enrichissement des relations intergénérationnelles. Mais elle se lit dans toute la pédagogie mise en oeuvre : l’évaluation, les règles de vie en classe, la conception des cours avec souvent une pédagogie du détour, la gestion réparatrice de l’absentéisme etc. L’ouvrage donne des fiches pratiques pour définir ce qu’est un cours en microlycée, en quoi il diffère d’un cours traditionnel dans l’organisation de la salle, la construction du cours, l’attitude de l’enseignant et l’évaluation.

On entre dans le détail de la vie des microlycées avec les emplois du temps des élèves et ceux des enseignants. Disons tout de suite qu’avec 2 demi-journées de libre dans la semaine, celui-ci ressemble beaucoup à celui des enseignants des lycées ordinaires même si , en fait, les enseignants ont une présence beaucoup plus affirmée.

Le sous titre de l’ouvrage fait le lien entre « accueillir les décrocheurs » et « changer l’école ». C’est que la pédagogie mise en oeuvre dans les microlycées et leur organisation sont accessibles aisément à tous les enseignants. La différence entre le microlycée et le lycée ordinaire tient surtout aux valeurs sous jacentes. Ce sont celles-ci que le livre fait apparaitre. Elles appellent à revenir aux fondamentaux du métier. Et ça c’est vraiment révolutionnaire.

Entretien avec Nathalie Broux

Dans la préface, Patrick Rayou dit des microlycées qu’ils sont « une école qui n’a pas renoncé ». Vous retrouvez-vous dans cette description ?

On se rend compte que, dans la pratique du quotidien des établissements scolaires, on démissionne souvent d’un certain espoir et on renvoie l’élève à ses capacités en oubliant qu’elles sont conditionnées. On renonce pour l’élève avant lui. Les professeurs ont des catégories d’élèves qui sont autant de pratiques d’élimination. Au microlycée, on essaie de repenser le possible. L’éducabilité de tous n’est pas qu’un principe oratoire.

Quand on regarde les emplois du temps des microlycées , que vous publiez dans l’ouvrage, on voit des emplois du temps aussi chargés que dans els autres lycées mais avec des changements dans les disciplines.

Le nombre d’heures de cours varie selon les structures. A Vitry, ils ont fait le choix d’avoir un horaire aussi important que dans les autres lycées. Ailleurs c’est moins. Mais dans ces grilles c’est le désir de s élèves qui s’affirme : ils demandent un vrai lycée avec des horaires de lycée. Les modifications sont importantes : ce sont elles qui permettent l’interdisciplinarité des savoirs : la philosophie en première, l’heure de culture et méthode. Ce sont des moments où on peut faire autrement, de façon plus cohérente.

Le tutorat est un principe bien installé et très mis en avant. Suffit-il pour remettre les élèves sur les rails ?

Il faut d’abord dire qu’il y a une dimension élitaire dans le relation au savoir. On propose aux élèves des microlycées des cours solides. Les professeurs sont très chevronnés qui, souvent, sont là pour relever le défi de leur discipline. Donc le tutorat ne suffit pas. C’est dans l’articulation entre l’exigence intellectuelle des cours et leur périphérie qu’on arrive à aider les élèves.

Il y a lieu qui semble fondamental dans les microlycées c’est la salle commune. Est-ce une clé ?

Dans les lycées traditionnels, tout est extrêmement segmenté. Par exemple la salle des profs est souvent strictement fermée aux élèves. A la ségrégation de l’espace correspond une segrégation des rôles. Or je crois que, sans confondre les roles, il faut de la réconciliation. C’est ce que les enseignants des établissements traditionnels trouvent lors des projets ou des voyages scolaires. La salle commune est un espace de circulation symbolique où on sort des rôles. On discute, on mange ensemble. Cela rejaillit ensuite sur les relations dans les cours.

Dans l’ouvrage vous détaillez les pratiques pédagogiques qui sont mises en oeuvre dans les microlycées, les emplois du temps des enseignants. Tout cela semble à la portée de n’importe quel professeur. Qu’en pensez vous ?

On est d’accord avec cette remarque. La vraie différence entre le microlycée et une structure classique c’est le degré d’approfondissement de la relation avec l’élève qui tient aussi au fait qu’ils sont 10 à 15 par classe et non 30 à 35 comme dans les lycées. Cela nous permet de travailler une foule de choses transférables dans la pratique habituelle des enseignants. Par exemple sur l’évaluation des élèves.

Les microlycées proposent des cours de la filière générale. Ne seraient-ils pas plus utiles en lycée professionnel ?

On a un public d’élèves de lycéen professionnel. Un de nos combats, comme école qui n’a pas renoncé, c’est d’arrêter de considérer le lycée professionnel pour toute une partie des jeunes. On récupère ces jeunes et on a un rôle de passerelle entre le professionnel et le lycée général et technologique. Le décrochage de nos élèves les a souvent conduit en lycée professionnel puisque celui-ci est utilisé comme cela dans notre système éducatif. Or la plupart des élèves décrocheurs ne décrochent pas que de l’école mais aussi de leur famille ou d’eux-mêmes. Du coup le système les sanctionne et les envoie en L.P. Et en LP on accélère souvent le décrochage. Le microlycée permet de réinjecter du désir généraliste chez des élèves de L.P.

Socialement votre public n’est pas un public de L.P. On voit des pourcentages assez faibles d’enfants d’inactifs et d’ouvriers.

Cela dépend des structures. Globalement la mixité sociale est un point fort des microlycées. En fait, la vraie inégalité c’est que l’on n’a pas d’élèves qui aient décroché en 5ème. Nos élèves ont une culture scolaire de niveau 3ème.

Les micro lycées existent de puis des années. Pourquoi publiez vous ce livre maintenant ? Avec le discours officiel sur la lutte contre le décrochage, ce livre ne participe-t-il pas d’une institutionnalisation des microlycées ?

Eric de Saint-Denis avait envie de faire de ce livre un pavé dans la mare institutionnelle et un bilan. On considère que ça vaut la peine de poser les choses à ce moment précis. C’est ce que nous avons mis dans le titre : les microlycées « accueillir les décrocheurs, changer l’école ». On ne recherche pas l’institutionnalisation. Mais elle est en train de se faire. Avec ce livre on demande aussi pourquoi on ne vient pas davantage nous chercher pour partager notre expérience pour changer l’école.

Propos recueillis par François Jarraud

Nathalie Broux et Eric de Saint-Denis, Les Microlycées. Accueillir les décrocheurs, changer l’école. ESF Editeur.

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