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La réforme des rythmes scolaires en raccourcissant la journée de classe va laisser du temps libre, ou plutôt du temps à remplir, pour les élèves. Puisqu’il s’agit d’une réforme de la répartition des temps de classe et non une réduction des heures de travail des parents (en passant de 35 à 32h, par exemple), les enfants devront être « gardés».

Les uns, les optimistes, disent que cela donne l’occasion d’organiser de nombreuses activités pour les enfants, notamment ceux qui n’ont pas de réel accès aux loisirs. D’autres, les pessimistes, disent que cela finira par une garderie laissant prospérer un laisser-aller propre aux jeux de ballon, aux coups de poing et dents cassées et surtout riche en économie pour la commune. On le sait, la vérité absolue ne sera ni d’un côté ni de l’autre. Au milieu de tout cela où sera le choix de l’enfant, entre le désir des parents et la gestion des communes ?

Je me souviens, lors de ma première année de formation en IUFM, qu’un reportage sur France 5, suivait la vie « d’enfants à la clef ». Ces enfants, à la sortie de l’école, ou le mercredi, avec une clef autour du cou, allaient, vont, d’activité en activité : le piano parce que c’est noble, la natation parce que c’est bon pour tout le corps, l’anglais pour préparer l’avenir… sans compter les devoirs. On y voyait un enfant demander à sa mère de ne rien faire. Rester dans sa chambre, faire des Legos, tourner à vélo puis retourner dans sa chambre, bref, ne pas faire d’activités.

Et si l’une des clefs de la réussite de la réforme se cachait dans la capacité à organiser un temps libre pour les élèves, un temps où ils ne font rien, un droit à la paresse. Ce temps-là n’est pas un temps où l’on fait n’importe quoi, mais bien un temps organisé avec des lieux identifiés où l’on peut se perdre. Selon les âges et selon le temps que l’on a, on peut y faire ici un dessin, ici une construction avec des Legos ou des Kaplas, ici un puzzle, ici un jeu de société, ici lire un livre, ici s’asseoir et discuter avec un copain ou un adulte…

Et voilà que l’on ne manquera pas de me dire que défendre le droit à la paresse, c’est abaisser les ambitions affichées par la réforme. Mais regardons les choses d’un peu plus près. Que font les enseignants de maternelle quand ils organisent un accueil avec un coin déguisement, un coin garage et voiture, un coin ordi, un coin dessin, un coin pâte à modeler…? Que font les enseignants RASED rééducateurs (maître G) qui organisent leurs salles de cette manière pour voir comment l’enfant interagit avec son milieu, comment il se projette, comment il construit…?

Pourquoi ce que nous faisons, organiser des coins d’activités que les enfants choisissent librement, ne pourrait pas être fait hors du temps scolaire ? Garder les enfants ne s’improvise pas. Il faut du personnel et beaucoup de matériel, parfois très simple comme des feutres, du papier, une table et une chaise. Des billes, des scoubidous, un ballon pour un épervier, huit coussins pour lire une BD prise dans le bac de livre préparée par la bibliothèque de la ville… feront l’affaire. Ce personnel doit être attentif aux besoins de chaque enfant comme à la constitution d’un cadre rassurant lui permettant d’évoluer librement et de faire son miel de toutes fleurs. Laisser butiner et cultiver l’oisiveté chez l’enfant, c’est certainement les sortir du rythme d’une société dont les images, les musiques, les désirs…s’accélèrent. Dans un monde où chaque minute doit être rentable pour l’avenir des enfants, apprendre à ne rien faire, c’est peut-être reconstruire ce qui a été perdu de l’enfance des photos de Doisneau et faire goûter un peu du droit à la paresse de Paul Lafargue.

Sébastien Rome