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Un an après l’arrivée rue de Grenelle de Vincent Peillon, la nouvelle éducation prioritaire commence à prendre forme. Samedi 1er juin 2013, l’Observatoire des zones prioritaires (OZP) et le Centre Alain Savary de l’IFé organisaient un colloque sur « les acteurs de l’éducation prioritaire ». Centré sur les nouvelles professionnalités apparues dans l’éducation prioritaire, le colloque a donné la parole à Marc Bablet, chargé par le gouvernement du dossier de l’éducation prioritaire et à l’inspectrice générale Anne Armand. Une nouvelle cartographie de l’éducation prioritaire se dessine. Mais aucune décision n’entrera en application avant la rentrée 2014 ou 2015.

« Refonder l’éducation prioritaire passe par l’évaluation de ce qui est pratiqué, par l’analyse des politiques, mais aussi par la prise en compte de l’expérience des acteurs, la parole des équipes de terrain ». Interrogé par le Café pédagogique, Marc Douaire, président de l’OZP, situe l’ambition de la journée : échanger entre acteurs, faire entendre leurs voix au représentant de l’Etat au moment où se définit la refondation de l’éducation prioritaire.

Pour Marc Douaire, la refonte de l’éducation prioritaire doit avant tout être pédagogique. « L’ajout de moyens supplémentaires n’équivaut pas à une transformation des pratiques ». La professionnalité est donc la clé de la réussite de l’éducation prioritaire. De nouveaux métiers y sont apparus (préfet des études, coordinateurs etc.) qui se cherchent encore. Autre principe fort : la géographie de l’éducation prioritaire doit être cohérente avec celle de la politique de la ville.

Pas de décision avant la rentrée 2014

Pour Marc Bablet, chargé de mission éducation prioritaire à la Dgesco dans le cadre de la modernisation de l’action publique, il faut « prendre le temps » du diagnostic. Alors qu’une récente étude de la Depp montre la baisse des résultats scolaires dans l’éducation prioritaire, il faut évaluer ce qui marche et qui ce qui ne fonctionne pas.

Très discret jusque là, Marc Bablet est venu pour éclairer sur les intentions ministérielles. « Les ministres ont décidé du maintien d’une éducation prioritaire », dit-il. Lors de la concertation nationale, il avait été question de la suppression du label « éducation prioritaire » jugé stigmatisant. Depuis ils ont donné des gages comme la scolarisation avant 3 ans, le plus de maitres que de classes et la formation des enseignants. Mais comment seront déterminés les établissements de l’éducation prioritaire ? Ils sont situés dans des zones où il y a « corrélation entre les situations sociales et scolaires ». La Dgesco travaille sur ces territoires en interministériel. Un groupe de travail cherche ce qui fonctionne bien sur le plan pédagogique. Enfin Marc Bablet donne le timing. Un « diagnostic » sera rendu en juillet. Suivra un rapport en octobre et à la rentrée des assises académiques débouchant sur des assises nationales qui feront connaitre les décisions du ministre pour les rentrées 2014 et 2015. Il n’y aura donc aucune décision de prise pour la rentrée 2013.

Questions de pédagogie

Une table ronde accueille l’inspectrice générale Anne Armand, Jacques Bernardin, président du GFEN et Stéphane Kus du CAS IFé. Pour Anne Armand, la relance de l’éducation prioritaire ce n’est pas seulement que le national donne une impulsion forte. Il faut aussi que les acteurs de terrain s’en emparent. Jacques Bernardin rappelle les erreurs pédagogiques commises. Il invite à se méfier des pédagogies du détour qui se noient dans le détour, des enseignements insuffisamment explicites, des activités qui empêchent de réfléchir à ce qu’on fait. Pour lui il faut retrouver « la saveur des savoirs » et donc travailler sur les contenus. Anne Armand invite aussi à revoir les contenus mais pour les adapter.

Faut-il une pédagogie spécifique à l’éducation prioritaire ? Non, pense J Bernardin. Ce serait faire une pauvre école pour les pauvres. Oui, estime A Armand. Elle est marquée par des exigences particulières sur l’oral, la langue par exemple. Et il n’est pas nécessaire que tous les enseignants y soient formés. IL faut aussi revoir les contenus de l’enseignement. « Faut-il imposer du Baudelaire à tout le monde quand ce qu’on enseigne de Baudelaire n’a pas de sens ? » Elle invite à articuler davantage le socle commun et les programmes. Là débute un premier échange sur la professionnalité et la formation des enseignants. Un domaine où le Gfen et l’IFé présentent des solutions comme Néopass.

Faut-il des enseignants particuliers ?

Le Café pédagogique a interrogé Marc Douaire et Patrick Picard, directeur du Centre Alain Savary (IFé) sur cette question. Pour Marc Douaire, « il est indispensable de considérer que font partie des obligations de service de tous les enseignants des taches qui aujourd’hui ne sont effectuées que volontairement sauf en ZEP où elles sont indispensables. Il faut donc préparer tous les enseignants à une autre représentation du métier. On ne veut surtout pas que l’on considère les enseignants de l’éducation prioritaire comme un corps séparé ».

Pour Patrick Picard, « les dernières années ont montré le développement de nouveaux métiers (préfetd es études, coordinateur etc.). Ces métiers se cherchent. Pour dépasser le fait que chaque professionnel invente sa façon de travailler on a besoin d’un accompagnement. Il faut redéfinir ce qu’on attend et comprendre comment les personnels peuvent travailler ensemble ». Que faire pour arrêter d’envoyer en éducation prioritaire des débutants ? « La solution est dans les règles de mutation, » explique P Picard. « Mais aussi dans la capacité des établissements à devenir formateurs ».

Et la question des moyens ?

A trop focaliser sur les acteurs, l’éducation prioritaire ne risque-t-elle pas de passer à coté de la question des moyens ? « L’ajout de moyens supplémentaires n’implique pas de modification des pratiques professionnelles », estime M Douaire. Pour lui, les moyens supplémentaires doivent aller au réseau, à l’établissement quitte à ce qu’ils les utilisent pour une autre organisation pédagogique que le un prof une classe ». Pour P Picard, les demandes du terrain sont ailleurs. « La principale expression c’est le besoin de temps et d’accompagnement. La réorganisation de l’éducation prioritaire se fera de ce coté là ».

Faut-il labelliser ?

« Depuis 20 ans personne ne se retrouve dans l’enchevêtrement de dispositifs. Il y aura donc une nouvelle cartographie de l’éducation prioritaire », nous confie Marc Douaire. « Il semblerait que la labellisation continue mais sous quelle forme ? Le premier ministre tranchera ». Pour Patrick Picard, « il faut définir des territoires, les plus en difficultés et ce qui relève de l’académie qui doit avoir une capacité à identifier les territoires des priorités académiques ».

On comprend mieux alors que le retour de l’éducation prioritaire dans les priorités ministérielles soit si tardif. Ce qu’attendent les acteurs c’est davantage d’autonomie dans le système éducatif, une redéfinition du métier enseignant, une refonte des règles statutaires de mutation. Des questions chaudes qui ne commenceront à être interrogées que via des assises locales. La prudence est de mise.

François Jarraud