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Le « serpent de mer de l’éducation nationale » (Pochard) refait surface avec la publication du rapport de Brigitte Doriath, Reynald Montaigu, Yves Poncelet et Henri-Georges Richon sur l’évaluation des enseignants. Deux ans après la tentative de réforme de l’évaluation des enseignants propulsée par Luc Chatel, Vincent Peillon a confié à l’Inspection générale le soin d’un nouveau rapport. S’il recommande de ne pas donner au seul supérieur hiérarchique la totalité de l’évaluation, s’il envisage de remplacer la note par des appréciations, le rapport reste dans la logique de l’évaluation du mérite individuel. Et il invite à donner plus de poids aux directeurs d’école et au chef d’établissement dans l’évaluation des enseignants, le reste étant reconnu par l’inspection à l’inspection elle-même…

Le Trafalgar du 15 novembre 2011

Rappelons-nous le 15 novembre 2011 : le Café pédagogique dévoile un projet de décret donnant aux chefs d’établissement la responsabilité de l’évaluation des enseignants du second degré à l’image du régime ordinaire des fonctionnaires. S’ensuit un large tollé d’ailleurs en partie alimenté par les corps d’inspection qui se sentent marginalisés. Mais Luc Chatel s’obstine et signe le 6 mai 2012, après la défaite de N Sarkozy, un décret que Vincent Peillon annulera. On est donc revenu au système traditionnel qui fait l’unanimité contre lui. Le rapport de Brigitte Doriath, Reynald Montaigu, Yves Poncelet et Henri-Georges Richon, que le ministère dévoile un 25 juillet, ne cache rien de ces critiques quant à l’injustice et à l’inefficacité. Le régime actuel, qui déroge au principe d’évaluation par le supérieur hiérarchique dans la Fonction publique, aboutit à une notation des enseignants, par l’inspecteur dans le premier degré, par l’inspecteur (pour 60%) et le chef d’établissement dans le second degré. Cette notation règle l’avancement plus ou moins rapide de l’enseignant dans la grille indiciaire de son corps. L’inspection est donc la variable principale de l’évolution salariale de l’enseignant. Pour autant le système ne prévoit rien pour venir en aide à l’enseignant en difficulté. Aujourd’hui les rythmes d’inspection sont très variables d’une discipline à l’autre ou d’un lieu à un autre ce qui créé de grandes inégalités. Enfin les inspections se font sans grille nationale d’évaluation. Formel, injuste, le système actuel est largement décrié, génère des souffrances et un sentiment de rejet envers l’institution.

Quelles bases pour une nouvelle évaluation ?

Les inspecteurs continuent à croire possible l’évaluation individuelle. Ils ont un critère : celui de l’efficacité. « Un enseignant ou une pratique professionnelle sont efficaces lorsque les acquis scolaires des élèves concernés sont supérieurs à ceux d’élèves de classes comparables d’une part, et que cette supériorité est imputable à cet enseignant ou à cette pratique d’autre part… Même si l’« effet classe » n’est pas imputable en totalité à l’enseignant et/ou à ses pratiques, son poids reste prépondérant et probablement supérieur à l’« effet établissement ».

L’inspection définit d’ailleurs ce qu’est une séquence pédagogique efficace. « Une séquence d’enseignement efficace doit reposer sur des objectifs clairs : avant chaque séquence, les élèves doivent savoir le plus clairement possible ce qu’on attend d’eux et ce qu’ils devront être capables de faire à son issue ». Elle doit aussi « s’appuyer sur une structure explicite qui rende visible le coeur de l’apprentissage » ; débuter par une récapitulation des acquis antérieurs ; se poursuivre par une contextualisation : concrètement, c’est à travers une situation problème qu’une notion nouvelle sera introduite » ; « comporter un temps d’entraînement » ; « intégrer de nombreuses phases de régulation ».

Les 10 commandements de l’Inspection

Sans rompre avec la reconnaissance du mérite individuel « facteur de motivation » et l’évolution de carrière différenciée, l’inspection recommande de maintenir le système d’évaluation dérogatoire pour les enseignants. « Le cadre de l’exercice professionnel de l’enseignant constitue une particularité qui rend nécessaire une évaluation experte que, dans le second degré, le supérieur hiérarchique direct – en l’occurrence le chef d’établissement – ne peut assumer seul ».

L’inspection souhaite élaborer les critères nationaux de l’évaluation. « La qualité de l’enseignement peut être appréciée au regard de deux critères : sa conformité aux contenus et aux objectifs des programmes ; son efficacité en termes de résultats obtenus. »

L’inspection veut jouer sur les acteurs en demandant à l’enseignant lui-même de faire son propre bilan professionnel. Cela lui permet d’introduire le directeur d’école et le chef d’établissement dans l’évaluation. Dans le premier degré, « l’inspecteur de l’éducation nationale, étant à la fois l’expert pédagogique et le supérieur hiérarchique direct, est en mesure d’assurer seul l’appréciation de la valeur professionnelle des enseignants de sa circonscription. Cette appréciation pourrait être enrichie par une consultation du directeur d’école, pratique déjà répandue ».

Dans le second degré, « l’inspecteur en charge de la discipline de l’enseignant, dans son rôle d’expertise didactique et pédagogique, porte appréciation sur une base large qui inclut la préparation et l’organisation des enseignements dans le temps et l’ensemble des moyens mobilisés pour les rendre efficaces ; l’observation dans la classe d’une séquence d’enseignement, afin d’apprécier une dimension essentielle du métier : la conduite de la classe, l’interaction avec les élèves, les choix et les ajustements opérés en direct ; l’ensemble des activités de nature pédagogique exercées en dehors de la classe : actions de formation, tutorat, commissions de choix de sujets, etc. » Pour l’inspection, « le chef d’établissement doit être établi dans un vrai rôle d’évaluateur, par la conduite d’entretiens professionnels réguliers et en lui donnant des marges réelles de notation et/ou d’appréciation ». Il conviendrait « de donner une réelle latitude au chef d’établissement en mettant fin au cadrage excessif de l’usage de leurs grilles de notation ».

La notation pourrait alors être remplacée par des appréciations, certains items étant confiés au chef d’établissement, d’autres à l’inspecteur. « La mission préconise donc la mise à l’étude de la suppression de la notation en faveur d’une appréciation fondée sur la base de critères nationaux, qui permette une valorisation différenciée des mérites professionnels en termes d’avancement ou de parcours professionnels ». Deux écrits se substituraient à l’actuel rapport d’inspection et à l’appréciation par le chef d’établissement dans le second degré. « L’appréciation de la valeur professionnelle… porte sur la manière de servir du fonctionnaire au regard de critères nationaux d’évaluation. Dans le cadre du renforcement du caractère formatif de l’évaluation, les conseils et préconisations font l’objet d’un écrit spécifique qui s’adresse prioritairement à l’enseignant. Cet écrit est communiqué à la hiérarchie et est mis à la disposition des personnels chargés de la formation et de l’accompagnement de l’enseignant ».

Les rythmes d’évaluation varieraient selon l’ancienneté. Plus fréquente en début de carrière elle aboutirait à une valorisation de l’expérience.

Mais comment font-ils ailleurs ?

L’évaluation des enseignants est très variable d’un pays européen à l’autre. 3 pays ne connaissent pas d’évaluation des enseignants. Dans 5 autres, nous dit Eurydice, elle est faite par les pairs. Dans 14 pays européens il s’agit d’une auto évaluation de l’établissement. Enfin dans 16 pays européens l’évaluation de l’enseignant est faite par le chef d’établissement.

S’il reste encore très minoritaire, un modèle prend de plus en plus d’influence. Aux Etats-Unis et en Angleterre se mettent en place des évaluations individuelles des enseignants selon le mérite, appuyées sur des batteries de tests. C’est cette « culture d’évaluation » qui est portée dans le système français même si le mérite reste encore une notion ambigüe. Les effets néfastes du mérite sont bien connus. Ce mode d’évaluation tourne le dos à l’évaluation formative. Il mobilise en ce moment les enseignants anglais. Il a permis une régression des droits syndicaux des enseignants et une baisse de leur rémunération. Est-il à même d’améliorer le niveau des élèves ? Oui si l’on en croit les tests d’évaluation. Mais un des défauts de ce système c’est justement de ne plus enseigner que pour le test. Sous cette pression, l’évaluation collective, la rupture du lien entre évaluation et salaire, qui semblent à même d’avoir une effet formatif, semblent s’éloigner alors que leurs effets ne sont pas évalués. La bonne vieille tradition autoritaire du système éducatif français a de beaux jours devant elle…

François Jarraud

Le rapport

Dossier du Café

15 novembre 2011, un scoop du Café pédagogique

Quelle réforme pour l’évaluation des enseignants ?