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C’est un des grands livres de la rentrée. Journaliste au Monde en charge des questions d’éducation, Maryline Baumard interroge la capacité de la gauche revenue au pouvoir à « refonder » l’Ecole. En 200 pages alertes, appuyées sur une documentation incroyable, une chronologie et un lexique du jargon EdNat, elle nous fait découvrir les acteurs et les moments de la refondation. Avec une certitude : si la gauche échoue dans son projet, alors l’école libérale viendra balayer l’éducation nationale dès 2017.

Déjà bien introduite auprès du futur ministre durant la campagne des présidentielles, pour écrire ce livre, Maryline Baumard a longuement interrogé l’équipe de Vincent Peillon et le ministre lui-même. Elle a confronté les témoignages et réussi à renouer les fils des décisions. Elle trace aussi le portrait intime de cette équipe.

Car rien au départ ne semble unir le philosophe Peillon, son directeur de cabinet, un inspecteur des finances et son directeur de l’enseignement scolaire, un inspecteur général. Rien sauf une conception commune de l’école. Maryline Baumard nous fait découvrir l’enfance du patron de la Dgesco, pur produit de la communale monté au sommet du ministère.

A force de fréquenter le ministère, l’auteur aurait pu céder à la complaisance ou à l’admiration. Mais elle garde le cap de son questionnement : la gauche est-elle vraiment bien placée pour changer l’Ecole ? Alors que les difficultés de tous genres s’amassent autour de V. Peillon (que l’on pense aux rythmes par exemple !) elle se garde bien de conclure sur la victoire finale de la refondation. Mais elle en montre l’enjeu. En FRance, gauche et droite portent deux modèles opposés d’Ecole. Si Peillon échoue, l’école libérale tentera sa chance.

Maryline Baumard, L’école : le défi de la gauche, Plon, ISBN 9782259220354. Sortie le 29 août.

M Baumard : Peillon doit convaincre les enseignants que sa réforme leur sera profitable

Le livre fourmille d’anecdotes, de faits précis, de petites phrases sur ces 15 mois de Peillon à l’éducation nationale. On revit, dans le saint du saint, la prise en mains des dossiers par la nouvelle équipe. Comment fait-on atteindre ce niveau d’information ?

Je fais des interviews, des reportages pour Le Monde et je dispose de beaucoup de matière. Elle reste souvent inutilisée. C’est frustrant de ne pas publier toutes les informations que l’on reçoit ! Par exemple, Je me suis retrouvée à la première réunion des recteurs par V. Peillon et je n’ai pas pu traiter cet événement dans le journal. Et ce n’était pas la première fois ! C’est comme cela qu’est née l’idée de faire ce livre. C’est là que je me suis décidée à frapper aux portes de l’équipe ministérielle. Ensuite c’est des rendez-vous croisés, l’écoute attentive des plus bavards… Et puis des rendez-vous réguliers avec le ministre et le cœur de l’équipe, le directeur de cabinet et le Dgesco.

Justement vous présentez longuement les acteurs de la nouvelle équipe ministérielle, d’où ils parlent, quel a été leur parcours, leur enfance. On découvre des personnalités bien différentes dans l’attelage qui pilote le ministère. Entre le philosophe, le pédagogue et l’inspecteur des finances comment cela peut-il fonctionner (et durer !) ?

Ils ont un point commun qui est le goût de l’Ecole et d’un modèle d’école qui serait l’antithèse de l’école libérale vantée par les ministres précédents. Tous trois ils ont la volonté de lutter contre les inégalités à l’école tout en restant dans une école de structure classique. Ils veulent la changer mais en réformant la pédagogie. Pour eux, le changement doit se faire dans la classe, dans les rythmes, dans la formation des enseignants, au plus près de l’élève. Pas en créant une école commune du CP à la 3ème par exemple. Evidemment ils le font chacun à leur façon. Alexandre Siné, le directeur de cabinet, avec son tableur. Peillon avec sa philosophie. Et Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire, avec sa culture de l’institution. Ils ont ce trait d’union. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de heurts entre eux car ils sont trop différents.

Par exemple ?

Par exemple un projet de réduction du budget des bourses a été bloqué par Jean-Paul Delahaye, lui-même ancien boursier.

Qui pilote vraiment l’éducation ? Hollande ? Matignon ? Peillon ? Les bureaux du ministère ? Personne ?

Matignon a imposé une méthode, la concertation. Peillon et Hollande n’ont pas exactement la même philosophie de l’Ecole mais ils sont arrivés à un accord. Peillon a un peu le rôle de conseiller de Hollande en matière d’éducation, l’équipe de l’Elysée étant plus dans le structurel que dans le projet. Mais Hollande a aussi ses priorités. Rétablir l’histoire en terminale, par exemple, c’était son idée. Les rythmes c’était dans le programme du PS. De fait, le ministre pilote beaucoup, il a un rôle essentiel.

Dans les ratages de la nouvelle équipe, que vous expliquez dans le livre, le plus célèbre est la réforme des rythmes. Comment a-t-il été possible d’échouer dans un dossier qui avait été préparé depuis aussi longtemps (bien avant la présidentielle) ?

L’erreur de Peillon cela a été de penser que tout était prêt et que ce qui avait été discuté durant la campagne était acquis. Il n’a pas compris que quand on change de costume il faut tout recommencer et renégocier. Il a sans doute aussi tardé à aller sur le terrain convaincre. Du coup, très vite, les parents se sont retrouvés du coté des enseignants ce qui n’allait pas de soi…

C’est la première rentrée de V. Peillon. Le ministre veut être jugé sur ses avancées. Mais existent-elles vraiment en septembre 2013 ?

Le problème c’est que de nombreuses avancées sont peu visibles. C’est le cas de la réforme la plus importante, celle de la formation des enseignants. Le jour de la rentrée, même s’il y a plus de postes, les professeurs vont toujours se retrouver avec 27 élèves par classe. Le changement reste en gestation. Le mammouth continue sur son inertie apparemment impassible…

Finalement la gauche n’est-elle pas la plus mal placée, du fait de ses liens avec le monde enseignant, pour changer l’Ecole ?

Le député UMP Benoît Apparu pose la même question : le général est-il le mieux placé pour tordre le bras à ses troupes ? Ce qui est certain c’est que si elle échoue la droite aura un boulevard pour changer l’Ecole avec sa vision des choses en 2017. On ne retrouvera pas l’opportunité d’un président qui fait de l’Ecole sa priorité, d’un premier ministre qui a enseigné et d’un ministre qui a une vraie volonté de faire bouger les choses. Je ne sais pas si le ministre doit tordre le bras des enseignants. Mais il doit les convaincre que le changement leur sera profitable. C’est un message qui jusqu’à maintenant n’est pas vraiment passé.

Propos recueillis par F. Jarraud