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« Le métier tel qu’il est devenu au moins dans ma spécialité ne m’est plus acceptable en conscience ». Pierre Jaque, professeur d’électronique au lycée Antonin Artaud à Marseille, n’a pas fait la pré-rentrée. Il s’est donné la mort le 2 septembre. Il rejoint plusieurs enseignants de STI, une filière touchée par une réforme particulièrement brutale.

« L’enseignement des métiers est réduit à peu de choses dans le référentiel de 4 spécialités seulement qui constitue des « teintures » sur un tronc commun généraliste d’une section unique appelée STI2D. L’électronique disparaît purement et simplement. En lieu et place il apparaît la spécialité « Systèmes Informatiques et Numériques »… La mise en place de la réforme est faite à la hussarde dans un état d’affolement que l’inspection a du mal à dissimuler », écrit le professeur dans sa dernière lettre. Il met en cause la nouvelle façon d’enseigner, par projets, imposée sans formation par la réforme Chatel. Mais ajoute « entre temps le gouvernement a changé sans que les objectifs soient infléchis le moins du monde ou qu’un moratoire soit décidé ». Pierre Jaque interpelle aussi l’institution sur la nouvelle évaluation en cours de formation au bac. « Je considère que ceci est une infamie et je me refuse à recommencer. L’ensemble du corps inspectoral est criminel ou lâche ou les deux d’avoir laissé faire une chose pareille », écrit-il. Avant de conclure « Je suis tout seul à avoir des problèmes de conscience ».

Des enseignants déqualifiés

La réforme de la filière STI avait été lancée avec panache par Luc Chatel à la rentrée 2011. Luc Chatel lui-même s’était déplacé dans un des plus prestigieux lycées parisiens pour vanter une réforme qui devait sauver cette filière technologique. Mais elle supprime une quarantaine de spécialités dans lesquelles les enseignants sont de vraies « pointures » pour une filière unique avec des enseignements beaucoup moins spécialisés. En même temps les pratiques pédagogiques changent. On passe de la machine à l’ordinateur, de la fabrication à la simulation informatique, du bleu à la blouse blanche. L’enseignement transmissif est remplacé par une démarche d’investigation qui suppose chez les élèves une attitude active et des méthodes de travail. Il y a à la fois réforme des programmes et des méthodes.

Du jour au lendemain, des enseignants hyper spécialisés, qui arrivaient à asseoir leur autorité dans cette filière technologique par leur haut niveau de compétence technique se retrouvent totalement déqualifiés alors même que la nouvelle carte des formations fait valser les postes.  » Comment faire si nous devons enseigner des domaines que nous ne connaissons pas ? Comment être performant sans formation ? Comment maîtriser un autre domaine avec trois heures de formation bimensuelles durant deux ans !! Ceci n’est pas acceptable !! », écrivait déjà en mars 2013, un enseignant. « On demande à l’enseignant d’appliquer une réforme qui va modifier le contenu à enseigner d’une manière très importante, et l’institution prévoit logiquement en même temps de modifier les méthodes pédagogiques en installant de nouvelles notions telles la transversalité, la spécialité et la notion de projet », poursuivait un autre. « C’est pour cela que pour l’enseignant déjà bien affaibli, nous allons lui imposer avec violence un changement de statut pour l’obliger à s’adapter plus rapidement en augmentant sa précarité et son sentiment d’inadapté… L’argument du changement inévitable sous peine de disparaître nous est rappelé comme un message biblique pour nous motiver et justifie toutes les violences manageriales ».

La réforme oblige les professeurs de STI soit à se reconvertir vers STI2D soit à chercher un reclassement vers la technologie au collège ou une autre discipline. Dans le premier cas la formation à distance est jugée très insuffisante. Dans le second, le passage d’étudiants de BTS à des collégiens est souvent mal vécu.

En mars 2013, l’Inspection déclarait être à l’écoute des enseignants en difficulté. Il y avait déjà eu des cas de suicide, de nombreuses dépressions et des dérapages en classe. A Marseille, le geste de P. Jaque marque ses collègues. Le ministre de l’éducation nationale souligne qu’il faut « redonner aux enseignants toute la considération et le soutien qu’ils méritent ».

François Jarraud

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La lettre de P. Jaque