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La publication le 9 septembre de la charte de la laïcité est présentée comme un moment fort de l’action gouvernementale. Il s’agit, dans la continuité de la loi d’orientation, de donner une impulsion de gauche à une interrogation sur les valeurs qui traverse la société française. Pour autant, la charte a ses limites pédagogiques, sociales et politiques.

Les difficultés scolaires sont rarement solubles dans les règlements intérieurs. Cette loi vaut aussi pour les questions de laïcité. Ce n’est pas seulement en affichant la devise républicaine que l’on met de la fraternité dans les établissements. Ce n’est pas seulement en placardant une charte que l’on atteindra le niveau de vivre ensemble que vise la charte. Certains articles d’ailleurs interrogent. Si l’endoctrinement politique ou religieux sont évidemment à proscrire, l’absolue neutralité que promet la charte est une chimère. Comment l’enseignant pourrait-il totalement laisser à la porte de sa classe ses convictions ? Est-ce même souhaitable ? On ne peut pas à la fois exiger des enseignants qu’ils soient des modèles pour leurs élèves et les dépouiller de leur liberté. N’a-t-on pas vu récemment, en 2005, des enseignants enfreindre les programmes d’histoire quand ceux ci déraisonnaient ?

Mais redescendons vers des situations plus banales. Les enseignants sont mis face à des situations pour lesquels leur formation est très courte. Que faut-il dire à l’élève qui refuse de faire du sport en période de jeûne ? Comment réagir à telle ou telle remarque sur un moment du cours ? La question est d’ailleurs plus vive encore hors des cours dans les moments de vie scolaire. Comment gérer la diversité des attitudes à la cantine ? Qu’est ce qu’un signe ostensible d’appartenance religieuse et à qui appliquer la loi ? Sur tous ces points, des fiches pédagogiques seront bienvenues. Mais leur portée sera très limitée. Seule la formation continue pourrait aider les enseignants à apporter la bonne réponse au bon moment.

Il y a aussi une limite sociale. La question de la laïcité ne se pose pas partout dans les mêmes termes. L’Ecole elle-même n’échappe pas à la discrimination. On sait que les résultats du système éducatif sont fortement corrélés aux inégalités sociales, en France beaucoup plus que dans d’autres pays de l’OCDE. On sait aussi que les inégalités sociales ne sont pas sans rapport avec les différences ethniques. C’est en étudiant les collèges aquitains que Georges Felouzis a mis en évidence la ségrégation ethnique qui frappe l’école républicaine et le fait que l’Ecole soit elle-même productrice de ségrégation. En 2004, il nous disait  » On ne peut pas parler de xénophobie ou de racisme. Mais on observe en effet de la ségrégation au collège et certaines origines en sont plus victimes que d’autres : c’est plus net pour les personnes originaires du Maghreb, d’Afrique noire ou de Turquie. Peut-on parler de discrimination ? Oui et non. Oui car cela crée une situation sociale qui produit une identification de l’individu sur une base ethnique qu’il soit allochtone ou autochtone. Dans les collèges, on observe que ça incite à produire des identités centrées sur l’ethnicisation. Ca peut produire une lecture de la société en terme de relations raciales ». Comment mettre en action les valeurs de la laïcité dans des établissements ghettoïsés ?

Plus globalement, la Charte interroge aussi la conception française de la laïcité. Fruit de l’histoire, sa conception de la laïcité est plus antireligieuse que chez nos voisins. En même temps, l’Etat laïc subventionne des établissements religieux. Et personne n’ignore qu’ils sont à 90% catholiques. Ces particularités sont soutenues par une culture étatique très forte qui est très apparente dans le texte de la charte. L’Ecole invite tous les jeunes à l’intégrer et à s’y soumettre même si elle apparait singulière. Une singularité qui semble de plus en plus difficile à faire admettre dans un monde ouvert à toutes les cultures. « Aujourd’hui, la morale laïque doit tenir compte des différences culturelles et il n’est plus possible d’opposer le public universel et le privé singulier avec la même radicalité que naguère », nous disait F. Dubet en avril 2013. « Alors qu’il fallait réduire les différences de foi et de culture au privé, nous devons apprendre à vivre paisiblement avec ces différences. En ce sens, il ne nous suffit plus d’être républicain, il nous faut aussi devenir démocrate. La morale laïque ne peut plus surplomber les morales et les identités particulières, elle doit aussi nous apprendre à les reconnaître et à vivre ensemble. » Un travail auquel la charte semble tourner le dos.

François Jarraud

F Dubet

La cuisine d ela laïcité

La charte