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Utiliser des établissements pilotes pour changer le système éducatif est une vieille ambition. Fonctionne-t-elle réellement ? Chercheur au LabSic de Paris 13, Alain Chaptal observe depuis des années la place des technologies dans les systèmes éducatifs en France et à l’étranger et spécialement dans le monde anglo-saxon. Il tire avec nous le fil de cette histoire pédagogique des expérimentations.

A-t-on déjà connu des collèges expérimentaux ?

Oui.Indépendamment des établissements expérimentaux d’après 1968 comme celui de Saint-Nazaire, il y avait eu en 1967 les « 28 collèges » dont le plus fameux était celui de Marly-le-Roi déjà très orienté technologie. Annie Bireaud lui a consacré une thèse. C’était inspiré d’un exemple américain. On avait lancé un plan d’équipement des écoles normales en circuit de télévision interne de façon à encourager la vidéo formation avec des séquences courtes qui étaient montrées aux enseignants et qui servaient de supports de cours aux enseignants et aux élèves. Ces documents étaient ensuite diffusés dans des collèges satellites. Puis il y a eu, au début des années 1970, 17 collèges qui utilisaient les idées de team teaching, de centres d’auto documentation.

Et sur le plan informatique ?

Au niveau du lycée, il y a eu les « 58 lycées » au début des années 1970. On a implanté une formation lourde des enseignants à l’informatique avec de grosses machines. C’était le début des expérimentations informatiques avec une cellule expérimentale à la Direction des lycées et collèges du ministère. Ensuite, il y a eu une montée en puissance de l’informatique et de scientifiques avec le plan des « 10 000 micros » en 1979. Avec l’arrivée de la gauche en 1983 on étend le plan d’équipement pour passer de 10 000 micros à « 100 000 micros ». Puis c’est le plan Informatique pour tous en 1985. On était dans une logique de généralisation.

Ces stratégies d’établissements pilotes ont-elles été payantes ?

A ma connaissance jamais. Car on a toujours du mal à en tirer des leçons. Expérimenter semble de bon sens. Ca oblige les promoteurs à penser leur projet, ce qui n’est pas si fréquent que cela. Souvent on achète des tablettes ou des ordinateurs pour tous les établissements et en même temps on tient un discours où on demande aux élèves d’être producteurs sans se poser davantage de questions. Parmi les problèmes repérés, il y a d’abord le fait que l’expérimentation est un risque de rupture d’équité. Quand on expérimente on court le risque de défavoriser un groupe ce qui pédagogiquement est délicat. Le second problème c’est l’illusion techno déterministe. On attend d’une technologie qu’elle apporte un changement important voire une révolution pédagogique. C’est évidemment condamné d’avance. Le troisième problème c’est la temporalité. Il faut que les enseignants s’approprient l’expérience. Par exemple l’expérience d’Apple qui a duré 10 ans a montré que les pratiques des enseignants ont changé lentement dans la durée. A la fin, l’expérience est déjà en décalage avec la technologie de son époque. Si l’on prend les 3 ou 5 ans propres à une expérimentation on fait l’impasse sur une génération de matériel ce qui fait que les leçons ne sont plus valables quand elles apparaissent.

Dans la société actuelle où les technologies sont banalisées, expérimenter des collèges connectés est-ce utile ?

Il faut poser la question de la fonction de ce type d’établissement. Souvent c’est l’établissement vitrine. On met le paquet sur le matériel et on sélectionne de bons professeurs , de bons élèves et on fait quelque chose qu’on sait ne pas pouvoir être généralisable. C’est la différence avec l’établissement normal qui interroge. La révolution pédagogique ne peut pas être déclenchée par une technologie. L’appropriation ne peut qu’être progressive et donc rend injustifiée ces expérimentations.

A Marly-le Roi on a vu aussi que l’idée d’établissements modèles destinés à inspirer l’ensemble des enseignants heurte la culture du milieu enseignant. L’idée d’établissements dont il faut s’inspirer a été refusée par les collèges autour de Marly-le-Roi. Enfin, quand il y a des études très solides de faites après expérimentation, elles ne servent que quand les résultats sont conformes aux attentes des politiques.

Propos recueillis par François Jarraud