Print Friendly, PDF & Email

A l’heure où les outils et pratiques numériques sont appelés à transformer nos classes, David Hébert, professeur des écoles et maître spécialisé E, s’interroge sur leur apport pour les élèves handicapés qui lui sont confiés. La surface tactile et fluide des Ipads serait-elle un support privilégié des apprentissages pour les élèves en situation d’handicap, notamment praxique ?

Vous menez une recherche-action sur « apprendre à apprendre » dans votre classe. Quel cheminement pédagogique vous a convaincu d’adopter une tablette ?

J’ai commencé à intégrer les TICEs dans le cadre de ma recherche-action en tant que maître E au sein de l’équipe du RASED. Lorsque ce réseau a été démantelé, j’ai poursuivi ma recherche-action en maternelle et j’ai développé les premiers éléments de la théorie de la Zone de Renégociation Conceptuelle. Ce travail, représenté par les Petits Dictionnaires des P@reils a été présenté au Forum National des Enseignants Innovants et de l’Innovation Pédagogique en juin 2010 à Dax et a obtenu le Prix Spécial du Public. Projet qui a ensuite été choisi par Microsoft Education pour être présenté au Forum Mondial de l’Innovation en éducation à Cap Town en Afrique du Sud à l’automne 2010.

Ma rencontre avec M. Roosz président de École2demain, plateforme interactive et contributive dédiée à la résolution des problématiques Enfant/Handicap/Ecole, m’a poussé à postuler sur le poste de la CLIS4. C’est ainsi que s’est construit le projet Frank@sTICE (Frank en référence au nom de l’école, et @s des TICE) ainsi que l’idée de la ClisTICE. Mon hypothèse de travail était de m’appuyer sur les nouveaux outils pour favoriser l’autonomie des enfants dans leurs apprentissages. Projet concrétisé par la mise en place de l’Expérimentation Tablettes, pilotée par M. Liotard sociologue de l’université Lyon 1 et mise en place par Ecole2demain en partenariat avec la DUI (Délégation aux Usages de l’Internet).

Qu’apporte la tablette Ipad par rapport à d’autres supports traditionnels ou numériques ? En d’autres termes qu’est ce qui lui est propre et qui fait qu’elle réussit particulièrement avec ces enfants et qu’aucun autre support ne peut apporter ?

Un des points forts de cette expérimentation HandiTab est le concept d’ONAP. L’Objet Numérique d’Apprentissage et de Partage est l’outil idéal à ce jour pour répondre à plusieurs particularités de ces élèves, et à l’ensemble des élèves selon moi. En voilà une liste non exhaustive :

• Éclater l’espace-temps de l’apprendre : tous ces enfants sont également pris en charge par des professionnels de la santé sur le temps scolaire et ne sont donc pas autant disponibles que les autres élèves sur ce temps scolaire. De plus, une fatigue supplémentaire liée à leur handicap conditionne des rythmes particuliers à chacun, difficilement conciliables avec des « séquences ordinaires ».

• Permettre à chaque élève d’avoir le même outil technologique à l’école et à son domicile, quelle que soit sa catégorie socioprofessionnelle

• Puisque qu’il s’agit d’une tablette universelle (pas « scolaire ») elle crée du lien dans les familles, les fratries et joue donc un rôle de socialisation important.

• Pouvoir très facilement communiquer avec son enseignant à distance

• La tablette, du fait de sa mobilité permet d’être le compagnon idéal pour les temps d’inclusion dans les classes ordinaires (prise de notes, adaptation des supports, enregistrement des cours, disponibilité des ressources…)

• Avoir en permanence un ensemble d’aides à l’écriture qui sont autant d’aides à l’apprendre. Je suis partisan des outils de prédiction orthographique et correcteurs qui sont de fabuleux outils pour s’approprier les propriétés de la langue française !

• Pas de changement de plan entre l’écran et le clavier (gain cognitif pour les enfants avec troubles spacio-visuels) et quantité de texte à l’écran moindre donc plus facile à gérer pour ces élèves avec troubles.

• Du fait des mouvements variés demandés sur la surface tactile, beaucoup plus riches qu’avec clavier+souris, participe beaucoup plus efficacement au travail et aux exercices sur les « gestes » des enfants ayant des troubles des praxies.

• La possibilité grâce à des configurations de l’ipad ou applications adaptées ou détournées d’être autonome dans son acte d’écriture : « je n’ai plus besoin d’un autre qui va écrire à ma place! »

• Une grande autonomie de la batterie de l’iPad qui permet de se libérer des problèmes de charge électrique durant la journée.

• Une grande facilité de synchronisation à distance et de gestion du parc d’iPad

• Un cartable au poids et au volume réduit, les ressources, devoirs, exercices et notes étant accessibles dans la tablette.

• Un outil idéal pour apprendre et apprivoiser le numérique car facilement paramétrable selon les exigences et âges des élèves.

A la rentrée 2012, vous aviez une classe de CLIS4. 10 élèves de six à onze ans en situation de handicap moteur. Comment ces enfants se sont-ils approprié les tablettes?

L’expérimentation s’est déroulée en deux temps . Le premier temps, de septembre à décembre s’est déroulé avec un seul iPad, celui du maître, et Le TBI portable Smart en ma possession, l’installation du vidéo projecteur interactif et du tableau blanc initialement prévu pour la CLIS4 ayant été faite en cours d’année. La classe disposait également de trois PC dont un tactile. Cette première période a été fondamentale pour poser la démarche pédagogique, que j’ai construite autour de ma théorie de la ZRC et des P@reils, et nourrir petit à petit le désir d’apprendre et des stratégies cognitives autour de cet objet, les élèves sachant qu’en fin d’année civile il allait pouvoir en bénéficier individuellement avec la possibilité d’un disposer en famille, hors « temps scolaire ».

Dans un second temps, ayant décidé de pousser plus loin l’expérimentation, j’ai sélectionné des applications dans différents champs : les outils de production d’écrit et de prise de note (au clavier, graphique, avec aide audio…) de tracé géométrique et de traitement des fichiers, applications ludo-éducatives pour chaque champ du programme, des exercices scolaires, des outils de création et de production de contenu, sans oublier le courrier électronique. Viennent ensuite s’ajouter d’autres applications comme MineCraft, 4images1mot, Windosill, Echecs, Tangram, Piano, Google Earth, Atlas… Et assez tardivement dans l’année, Twitter (l’apprentissage se faisant au courant de l’année avec le compte classe sur l’iPad « maître »).

Quels effets avez-vous observé pour les enfants, notamment en matière d’écriture ?

Pour ces élèves pour qui l’écriture et le geste graphique sont souvent synonyme de souffrance, la qualité graphique et la fluidité se sont améliorées durant la période où l’écriture papier/crayon se cantonnait au mercredi à la maison et aux brouillons.

Comment s’opère concrètement le travail en classe ?

Paradoxalement, la classe numérique avec des tablettes permet beaucoup plus de temps de manipulation ! Les élèves ont recours constamment à des « manipulations » variées sur la surface tactile de l’iPad, et des manipulations concrètes (objets du sac à p@reils , cubes, objets mathématiques..). Par exemple avec le projet AbriCube le but est de construire, en papier, des AbriCubes créés dans MineCraft. Le papier est présent au début comme support aux brouillons et aux recherches initiales et à la fin pour la construction du cube à partir du patron imprimé du cube créé dans Minecraft. L’Ipad était présent à toutes les étapes dans des fonctionnalités différentes : recherches internet, construction sur Minecraft, productions écrites, notes de recherche, géométrie des formes, mesures, partages…

Quel a été le rôle de l’institution au niveau national et local ?

Au niveau national ma recherche et mon travail sont reconnus. En revanche, c’est loin d’être le cas au niveau local. Pour exemple, le projet « p@reils et tablettes en ClisTICE » dont l’Éducation Nationale est pourtant partenaire officiellement au sein d’un « comité de pilotage » et qui bénéficie d’un prêt de tablettes par l’Etat (la DUI), a été sélectionné pour participer au 6e forum des enseignants innovants qui s’est déroulé à Nantes. J’ai bien eu l’autorisation de mon administration locale pour m’y rendre, mais sans traitement ! Aujourd’hui, les inquiétudes de l’institution locale sont notamment démenties par les excellents résultats de certains de mes anciens élèves. L’un d’eux m’a annoncé avoir une moyenne de 17,2 sur 20 en sixième en ULIS.

Grâce au soutien de mes proches, du formidable réseau que j’ai développé sur Twitter et aux rencontres provoquées par les forums organisés par le Café pédagogique, j’ai réussi à continuer à avancer dans cette recherche. Par ailleurs, parents, élèves, collègues, AVS et de nombreux partenaires reconnaissent l’intérêt de mon travail. Les résultats de cette expérimentation seront rendus publics dans un livre blanc en 2014.

Propos recueillis par Ange Ansour

Pour mieux connaître le travail de David Hébert

Sur le Café pédagogique :

Au Forum de Dax

et celui de Lyon

Voir aussi son portrait