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A quels besoins éducatifs répondent les tablettes ? Peuvent-elles être utilisées à tous les niveaux et dans toutes les disciplines ? Sont-elles un facteur de transformation de la pédagogie des enseignants, de leur rapport aux élèves ? Le 21 novembre au salon Educatice, la conférence du Café pédagogique a fait le plein. Devant une salle comble, des enseignants innovants ont présenté des projets qui associent une grande efficacité pédagogique à une touchante dimension éducative. Les tablettes peuvent être utilisées, de la maternelle au lycée professionnel, pour s’instruire mais aussi pour s’éduquer.

Philippe Guillem, professeur des écoles en maternelle, utilise le numérique pour faire écrire ses 28 élèves de moyenne et grande section. La tablette s’est imposée pour produire des documents numériques : grâce à « book creator », elle rend facile la création de livres par les enfants eux-mêmes. Au départ, le maître a aidé 4 élèves pour la prise en main (mettre des photos avec les noms des enfants) puis les autres ont continué sans lui. D’autres images faites par les élèves, accompagnées d’écrits dictés et enrichis avec l’assistance du maître, ont été mises en ligne et les parents ont pu les consulter. Philippe Guillem souligne même la « qualité littéraire » obtenue pour certaines productions écrites en grande section, de bon augure pour le niveau de compétences requis dans ce domaine au collège. Tout en souhaitant développer davantage l’interactivité avec les parents, le professeur des écoles constate la supériorité de la tablette (multifonctionnelle et mobile) sur l’ordinateur PC en classe, sa capacité à favoriser l’autonomie des élèves et à garder la précieuse mémoire du travail réalisé en classe.

Gauthier Lechevalier, directeur d’école élémentaire à Paris, se sert des tablettes depuis 2011. Il dispose d’un encadrement propice à cet usage : le pilotage de la mission TICE de l’académie, un plan de formation et d’évaluation des enseignants et le contrat urbain de cohésion sociale dont son école bénéficie. Il a notamment mis au point un programme de parcours dans la capitale « Paris au bout des doigts », évocation des grandes périodes de l’histoire de la ville. Ce programme s’est enrichi en amont comme en aval de production de documents sonores, visuels, écrits. Les élèves, dans l’appropriation des usages des tablettes (Apple, Azur, Acer), ont bientôt dépassé le maître ! L’action des élèves s’est déployée de diverses façons : la consultation de documents historiques et topographiques (gravures, traces historiques, plans, productions réalisées en classe et autres apportées par l’enseignant), la réalisation de produits multimédias (photos, films, prises de notes), la nouvelle exploitation de l’ensemble dans la salle informatique de l’école, sur les tablettes directement, en classe…

La simplicité et la légèreté des tablettes répondent aux besoins des élèves : l’accès aux documents est facile, la confrontation des archives à la réalité observable dans la rue est fructueuse et la prise de notes permet la production d’outils complexes. Aujourd’hui Gautier Lechevalier tire un bilan très positif des transformations induites par l’usage des tablettes : changement de la pédagogie autour d’un objectif commun à l’enseignant et aux élèves, donc « collaborative »…Mais c’est dans le rapport au savoir que le bouleversement est le plus sensible : les « enfants construisent leur apprentissage », dans un plaisir d’apprendre communicatif d’autant que leurs travaux, visibles, valorisent l’image de l’école auprès de leur famille. Pour le maître, la tablette constitue un « levier » au service de la transmission, non l’unique solution même si le travail en groupe avec cet outil facilite le reste des apprentissages et n’est pas non plus dépourvu d’un effet d’entraînement auprès des collègues enseignants dans l’école.

Florian Colombat, professeur d’EPS en collège à Grenoble, a adopté avec satisfaction la tablette, mutifonctionnelle , mobile et « sans fil à la patte », idéale dans un gymnase ! Les usages en EPS sont multiples. Ainsi en acrosport, l’appareil photo de la tablette permet à un élève de fixer les figures à plusieurs réalisées par les élèves (pyramides) et d’annoter ou commenter les erreurs d’attitude en fonction des consignes données par le professeur. Les élèves trouvent ainsi leurs erreurs et pratiquent l’auto-correction. Chaque groupe disposant d’une tablette possède aussi une trace des exercices effectués. La dimension vidéo favorise la réactivité du professeur qui peut filmer un élève en train de sauter au trampoline et lui montrer immédiatement l’erreur commise pour qu’il la rectifie. La tablette en EPS amplifie l’autonomie des élèves, « acteurs de leur apprentissage, tout en constituant un outil supplémentaire d’enrichissement de la didactique du professeur ».

Mais Florian Colombat a surtout été touché, pendant l’année 2012-2013, par la réussite de son expérience d’enseignement de l’EPS avec des tablettes pour Théo et Corentin, atteints de myopathie. Ces deux élèves n’avaient jamais fait d’EPS et étaient réticents à pratiquer devant leurs camarades. En prenant des photos et des vidéos de leurs camarades en activité sportive, sur les conseils de leur professeur, ils leur ont montré leurs prestations. Bien plus, ils sont devenus « coachs » en cours de gymnastique : par leur arbitrage et leurs annotations, ils ont appris les règles, les critères de jugement aux autres et le professeur les a considérés comme des « personnes ressources ». La confiance installée, il a pu leur proposer des pratiques sportives compatibles avec le fait d’être en fauteuil roulant : sarbacane avec évaluation au brevet, danse, badminton. Leur intégration au groupe, du rôle social jusqu’à la pratique physique, a été d’une grande richesse, pour leur famille qui en était ravie, pour leur enseignant d’EPS aussi, dans la dimension éducative et civique de son enseignement.

Pierre Dumouchel et M Guisgand, professeurs en lycée professionnel à Saint-Germain-en-Laye, ont eu l’idée d’adopter les tablettes pour leurs élèves en terminale bac pro maintenance des équipements industriels. « Pour nos élèves qui sont un peu les apprentis médecins des systèmes automatisés puisqu’ils doivent corriger les pannes », les tablettes comportent de nombreux avantages, en particulier leur légèreté, leur mobilité, leur capacité à former une banque de données (très volumineuse en version papier) nécessaire à la prise de décision en cas de réparation. La mission « Creatice » du CRDP a permis aux deux enseignants de disposer de 10 tablettes, sur lesquelles ont été rassemblés tous les dossiers machine. Les élèves peuvent remplir, compléter les documents, prendre des photos, rendre compte et trace de leurs activités. Ils sont ainsi nécessairement amenés à travailler en équipe. Cette dimension globale du travail avec un outil moderne et familier les remplit de fierté : « avec la tablette à la main, on croirait qu’on est des ingénieurs ». Outre la valorisation de leur activité, l’approche stratégique et la dimension de recherche les incitent à produire un rendu de qualité. La démonstration de l’usage de la tablette en TP autour de la réparation d’une conditionneuse de produits pharmaceutiques (avec visualisation par l’élève des procédures de mise en sécurité de la machine, découverte du canevas adapté et photographie de l’élève en « réparateur ») fait comprendre la nouvelle relation ainsi créée entre l’élève (qui voit ses erreurs) et le maître (qui peut corriger « en live » ou enregistrer ses remarques pour chaque élève en particulier).

Le débat qui a suivi a permis aux intervenants de préciser les multiples avantages constatés : fluidité d’accès aux documents, facilité de la prise en main et renforcement de l’accès à l’autonomie, à l’estime de soi et au travail en groupe dans l’apprentissage pour les élèves, quel que soit le niveau d’enseignement ou la discipline ; enthousiasme et plaisir partagés des enseignants utilisateurs dans l’exercice de leur métier ; effet d’émulation de ces pratiques auprès des autres enseignants , sceptiques ou non utilisateurs…Tous ont insisté sur le pouvoir de séduction des usages des tablettes en classe auprès des parents avec des développements qu’ils n’avaient pas soupçonnés de prime abord : l’accès partagé aux travaux de leurs enfants valorise l’image de l’école aux yeux des familles, satisfait une curiosité souvent inquiète et ouvre à une relation inédite avec les enseignants. Ainsi les traditionnelles rencontres avec les professeurs durant l’année scolaire deviennent l’objet de regards croisés sur les productions des élèves visibles avec les tablettes. Une révolution, en somme.

Samra Bonvoisin