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Il y a bien des raisons pour le Café pédagogique d’être partenaire de La Marche. Certaines tiennent à l’actualité immédiate, au climat de violence, aux inquiétudes pour l’avenir. D’autres sont inscrites dans les invariables du métier d’enseignant. Un enfant est un trésor, une lueur d’espoir, un message lancé à l’avenir. Tous les enfants sont frères, tous les élèves, nos enfants quelques heures par jour. L’école est la route où nous cheminons ensemble cette marche de quelques années de l’enfance vers la maturité. Comme chaque enfant, cette marche est notre présent et notre idéal.

Renouer le fil de notre histoire commune

Qui se souvient aujourd’hui de la Marche pour l’égalité et contre le racisme organisée en 1983 sous la forme d’une traversée de la France de Marseille à Paris ? Qui sait quelles circonstances (des crimes racistes notamment) ont présidé à sa naissance et à l’éclosion d’un mouvement citoyen et pacifique, initié par des jeunes du quartier des Minguettes ? Pas grand monde, à l’exception des acteurs directs de l’événement ! Face à ce « trou noir » dans la mémoire de notre histoire récente, Nadia Lakhdar, scénariste, a bataillé pendant plus de dix ans contre tous les sceptiques et autres adversaires de sa démarche d’écriture jusqu’à sa rencontre avec deux jeunes allumés Nabil Ben Yadir, le cinéaste, et Hugo Selignac, le producteur. Tout comme l’auteur du script, les deux complices, trentenaires, n’ont pas connu la Marche mais ils sont convaincus de la nécessité de porter à l’écran les cinquante jours de cette aventure fraternelle, pour la première fois, trente ans après. L’engagement financier de France 3 cinéma, de Canal + et de Luc Besson producteur, le cocktail réussi d’un casting audacieux (avec Olivier Gourmet et Jamel Debbouze en figures de proue mais aussi M’Barek Belkouk, Vincent Rottier, Lubna Azabal, Hafsia Herzi, Charlotte le Bon, Tewfik Jallab, Philippe Nahon) ont finalement permis au rêve de devenir réalité.

Au bout du compte, un film « grand public de qualité » comme le définit son producteur enthousiaste. On peut regretter la naïveté et le manichéisme du propos, le simplisme des figures « héroïques » et les clichés d’un style flirtant avec l’esthétique publicitaire mais cette première fiction cinématographique a l’immense mérite de mettre au jour les fondements premiers d’une « marche pour l’égalité rassemblant les habitants de France de toutes les origines pour la constitution d’une société solidaire », selon une pancarte de l’époque. Le film renoue ainsi le fil de notre histoire commune, loin de l’instrumentalisation médiatique d’une « marche dite des beurs », avant la récupération politique opérée en 1984 à travers la création de « SOS Racisme ».

Inscrire l’événement dans la France d’aujourd’hui

Le film s’ouvre par une séquence emblématique et véridique : à la nuit tombée, Mohamed est touché par la balle d’un policier alors qu’il porte secours à un voisin attaqué par le chien du représentant de l’ordre. Après moult débats et discussions houleuses avec des amis du quartier, le recours à la violence vengeresse fait place à l’idée d’organiser une marche pacifique et non violente, à travers divers régions de France, de Marseille à Paris ; la forme choisie s’inspire d’un film, à l’affiche à l’époque, « Gandhi » de Richard Attenborough. Ce pari un peu fou va à l’encontre du climat d’intolérance et du développement de crimes « racistes » dont les personnes originaires du Maghreb sont le plus souvent la cible. En 1983, les blessures de la guerre d’Algérie ne sont pas refermées et la fiction de Nabil Ben Yadir restitue à sa façon le refoulé du passé colonial dans la société française, à travers les attaques touchant les marcheurs eux-mêmes ou le rappel de l’assassinat d’un jeune algérien massacré et jeté par la fenêtre d’un train par des futurs légionnaires, un meurtre survenu au cours de la marche, suscitant l’indignation et gonflant encore la mobilisation. Entre banderole indiquant « Vivre ensemble avec nos différences » et slogan affirmant « La France est comme une mobylette, pour avancer il lui faut du mélange », les manifestants, héros positifs du film, affichent l’innocence et la naïveté d’un engagement citoyen qui correspond à la réalité, complexe, du moment. Comme le souligne la chercheuse Marie Poinsot qui décrit ainsi le contexte contrasté de cette revendication d’égalité des droits : « accès de la Gauche au pouvoir, émergence des radios libres et des associations portées par les immigrés et leurs enfants sur fond de xénophobie croissante et de montée du Front national ».

Donner à voir le vrai visage de notre pays

En dépit des simplifications dans le traitement des personnages et des inexactitudes factuelles (les 100 000 marcheurs sautant de joie dans la rue à Paris à l’annonce de la réception d’une délégation par Mitterrand en personne !), « La Marche » atteste, sur grand écran, pour les jeunes générations, de la première apparition –il y a trente ans- dans l’espace public français d’enfants d’immigrés assoiffés de justice et d’égalité. « Dans une société [la nôtre aujourd’hui] qui n’arrive pas à prendre en compte son altérité, toutes ses altérités », Mohamed Ouddane, chercheur et délégué général du réseau Mémoires-Histoires en Ile-de-France, pointe la responsabilité de la communauté scientifique et éducative dans la construction d’un regard critique sur l’événement en question afin ne pas en rester à une « commémoration incantatoire » dans le « déni de l’histoire ». Puisse « La Marche », dans son geste premier, contribuer à cette entreprise salutaire.

Samra Bonvoisin

Le dossier pédagogique

Conçu par Nadia Meflah, il offre un foisonnement passionnant de pistes d’exploration autour du film : entretiens avec des acteurs directs de cette période sur leurs engagements, points de vue d’historiens et de sociologues sur les enjeux du combat d’alors, approches du film à travers les profils des personnages, le choix des comédiens et l’analyse de certaines séquences, repères bibliographiques et filmographiques prolongeant les enjeux de la marche de 1983.

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