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Le rapport de l’Inspection Générale sur la mise en œuvre des programmes analyse la façon dont les enseignants de primaire organisent le travail d’étude de la langue dans leur classe. Il affirme notamment que « la majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre domaines ». Ces reproches sont précisément ceux que beaucoup d »enseignants formulent à l’encontre de ces programmes de 2008 ! Les enseignants regrettent en effet : l’accumulation de notions à travailler, sans qu’elles soient mises en lien et la non présentation de la langue comme un système ; la non hiérarchisation des notions qu’il est demandé de faire travailler aux élèves ; l’absence de progression organisant les notions à étudier.

Des programmes sans cohérence…

J’ai commencé en 2007 l’écriture de deux ouvrages sur la didactique du français à l’école primaire, « Étudier la langue au cycle 3 » et « Étudier les textes au cycle 3 ». Chaque chapitre devait débuter par une analyse des programmes en vigueur pour le domaine concerné ; en 2007, de nouveaux programmes ont été publiés, puis à nouveau en 2008 et j’ai donc décidé de supprimer dans mes livres ces introductions liées aux textes officiels, puisqu’elles rendaient mon propos inactuel alors que je voulais précisément montrer que l’installation de liens entre les domaines du français traversait les textes officiels et était nécessaire quelles que soient les demandes des programmes. La façon dont les programmes étaient présentés rendait vaine toute tentative d’y trouver une mise en système des notions. Quelques mois plus tard, le Ministère a décidé la suppression de la formation initiale des enseignants et nous avons alors vu dans les IUFM qu’il devenait impossible pour les jeunes collègues de maitriser la construction d’une programmation d’année, pourtant indispensable puisque les programmes ne proposaient pas cette hiérarchisation et chronologisation des notions à travailler. La masterisation des études pour devenir professeur des écoles, dont le directeur de l’IUFM de Lorraine nous a dit à l’époque qu’elle était « une chance pour les IUFM », a supprimé pratiquement toute possibilité de travailler avec les futurs enseignants la capacité à construire ces liens dans le peu de temps qui restait en formation. Comment s’étonner en ce cas que certains enseignants aient le plus grand mal à construire une programmation à partir de programmes qui proposent de simples listes de notions ?

En effet, les programmes de 2008 ne fournissent ni chronologisation des notions ni hiérarchisation entre elles, mais, pire, la cohérence d’une rubrique à l’autre des programmes est souvent prise en défaut. Si on en fait une lecture transversale, sans se limiter à un seul niveau de classe, on constate en effet une étonnante organisation des notions, voire d’étranges incohérences ; or, cette lecture transversale est indispensable pour réfléchir par cycle, pour construire des programmations structurées, pour faire le lien entre les cycles et donc assurer la progressivité des apprentissages des élèves.

Je voudrais relever ici quelques-unes de ces incohérences :

– on demande en CE2 de reconnaître le complément d’objet (direct et indirect) du verbe, puis en CM1 d’écrire sans erreur les infinitifs de verbes du premier groupe après préposition mais on travaille la préposition… en CM2 ; comment peut-on identifier le COI et les verbes transitifs indirects sans connaitre la préposition ?

– les progressions par niveau demandent que soit travaillé l’accord des adjectifs épithètes, attributs et apposés en CM1… mais le programme du cycle 3 indique seulement accords de l’adjectif dans le GN.

– en CM2, on travaille les homophones d’on, dont, donc : passons sur la rareté de d’on, qu’on ne trouve guère que dans les constructions « il vient d’on ne sait où » ou « il parle d’on ne sait quoi », mais surtout… dont et donc ne sont pas homophones !

– en CP on doit repérer et justifier des marques du genre et du nombre : le s du pluriel des noms, le e du féminin de l’adjectif et commencer à utiliser de manière autonome les marques du genre et du nombre (pluriel du nom, féminin de l’adjectif) ; ensuite, en CE1, dans la rubrique Les classes de mots on demande de distinguer selon leur nature : les verbes, les noms, les articles, les pronoms personnels (formes sujet), les adjectifs qualificatifs ; comment peut-on repérer et justifier l’accord de l’adjectif en CP si on apprend cette classe grammaticale en CE1 ?

… ni progression

Les programmes montrent aussi d’étonnants problèmes de progressivité des notions proposées : ça rend bien compliquée la construction d’une programmation ; le rapport de l’Inspection Générale a beau jeu ensuite de reprocher aux enseignants de ne pas la maitriser :

– en vocabulaire il est demandé en CP de trouver un mot de sens opposé pour un adjectif qualificatif ou un verbe d’action, et en CE1 de trouver un mot de sens opposé pour un adjectif qualificatif, un verbe d’action ou pour un nom : pourquoi peut-on faire travailler le contraire d’un verbe et d’un adjectif à 6 ans et celui d’un nom seulement à 7 ? Si l’idée de contraire est acquise, elle peut être manipulée sur les trois classes grammaticales ; trouver méchanceté par rapport à gentillesse serait-il plus difficile que de trouver accepter par rapport à refuser ou long par rapport à court ?

– en littérature, les programmes disent qu’on lit un livre par an en CE2, un par trimestre au CM1 et au moins cinq en CM2 : ainsi, la progressivité de l’apprentissage littéraire est-elle liée au nombre d’oeuvres lues ; cela n’a aucun sens puisque la difficulté d’un programme de lecture ne dépend pas du nombre d’oeuvres lues mais de leur longueur, de leur difficulté, du genre littéraire, du degré d’approfondissement de la lecture, de la précision de l’accompagnement de l’enseignant… Dire qu’on va travailler une œuvre, trois oeuvres ou cinq œuvres dans l’année n’indique rien sur la difficulté du travail qui sera proposé aux élèves.

– en CP, il faut commencer à utiliser de manière autonome les marques du genre et du nombre (pluriel du nom, féminin de l’adjectif, terminaison -nt des verbes du 1er groupe) alors que tous les verbes, de tous les groupes, à tous les modes et à tous les temps se terminent par -nt avec le sujet ils ; pourquoi ne pas travailler cette régularité absolue au lieu de se limiter à la faire repérer dans le seul cas du présent et du premier groupe ?

Inquiétudes pour l’avenir

Remarquons que des erreurs et incohérences du même ordre se retrouvent dans certains manuels, ce qui ne facilite pas la tâche de construction de la programmation ; je citerai trois exemples :

– la méthode de lecture À tire d’ailes (2009, cahier d’activités pages 58 et 76) propose de travailler les marques nt muettes en fin de verbes avant de traiter le t.

– Le manuel L’Île aux mots CM1 (2009, page 190) explique que dans Le chien est parti, le mot chien est le sujet.

– Mot de passe CM2 (2011 page 28) explique que « le verbe s’accorde toujours en genre et en nombre avec son sujet », ce qui est bien sûr faux.

On apprend dans l’article du Café pédagogique du 25 novembre que le rapport « valide les programmes de 2008 »… et on s’en inquiète à l’heure où les programmes suivants sont en préparation : cette validation laisse penser que les problèmes majeurs posés par les programmes actuels ne sont pas identifiés par les auteurs de ce rapport.

Jean-Paul Vaubourg

Professeur de français à l’IUFM de Nancy

Primiare : l’Inspection met en cause les enseignants