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Marseille, ce jeudi 21 novembre, la journée organisée par l’UNAF s’annonçait complexe : arrivée sous les drapeaux et les chants des grévistes de la CAF des Bouches-du-Rhône victimes d’une mépris impressionnant, journée trop chargée et intervenants bousculés… et pourtant, les « survivants » ont eu le bonheur de vivre une journée passionnante, stimulante et qui appelle à des partenariats et des continuités.

Une première étude avait été menée par l’observatoire de la famille de l’UDAF en 2012 (documents 1 et 2) à partir de l’ensemble des absences injustifiées recensées par l’application « ABS » de l’Inspection Académique des Bouches-du-Rhône de 2004 à 2010 dans les établissements publics du second degré. Cette étude approfondie avait mis en exergue les caractéristiques des 7973 élèves absents par an, dont une majorité de collégiens (données géographique, par âge et sexe, type d’établissement).

La seconde étude, présentée en2013 est une étude qualitative : « Empruntant ses outils à la méthode ethnographique (entretiens individuels et collectifs, observation participante lors de réunions d’équipes éducatives, de cours dispensés dans le cadre de dispositifs spécifiques à destination d’élèves en décrochage ou de cafés de parents), l’Observatoire de la famille, avec l’accord de l’Inspection Académique des Bouches-du-Rhône (IA13), a mené son enquête de septembre 2012 à avril 2013 dans 5 collèges du département auprès de personnels d’établissements, d’élèves soumis à l’obligation scolaire, de parents et d’associatifs.

L’objectif: rendre compte de la façon dont ces derniers vivent et évoquent l’absentéisme scolaire, comprendre les différentes «stratégies » à l’œuvre et déterminer quel sens a l’Ecole, aujourd’hui, pour chacun d’eux.

Cette question du sens donné par chacun des acteurs est la question centrale de cette étude pour laquelle la difficulté a été de « trouver les absents »… Les deux chercheurs, Julia Hénin et Laurent Chillio, chargés d’étude à l’UDAF 13 appuie leur définition sur les travaux de Catherine Blaya (professeur en sciences de l’éducation à l’IUFM Célestin Freinet – Université de Nice Sophia Antipolis), pour qui l’absentéisme est l’aboutissement d’un processus de dés-adhésion au système scolaire, ou un accrochage manqué. Pour eux, l’absentéisme est la manifestation d’un processus de rupture. L’étude n’élude pas la question des absences « couvertes » et celle des absents dans leur tête/présents.

Le sujet abordé, celui de l’absentéisme, interroge les chercheurs sur le fonctionnement des établissements, la responsabilité des familles et aussi la stigmatisation des jeunes des quartiers populaires. Pour eux, cette question renvoie à deux missions de l’école :

– instruire (et réduire les inégalités sociales)

– socialiser (protéger les jeunes des dangers de la rue, protéger la rue des dangers des jeunes).


Les chercheurs s’interrogent aussi sur l’émergence et la généralisation du discours sur le lien entre absentéisme scolaire et délinquance, et sur les deux types de réponses apportées par les institutions:

soit resserrement du lien avec les familles (soutien à la parentalité)

soit sanctions (amendes, suspension des allocations familiales, stages parentaux)


Leur travail a consisté à croiser une multiplicité de facteurs :

· scolaires : difficultés d’apprentissage, climat scolaire, insécurité, stigmatisation, emplois du temps, sanctions, relations entre les enseignants et les élèves, etc.

· familiaux et sociaux : précarité, indisponibilité des parents, distances aux écoles, pratiques délinquantes, responsabilités précoces, etc.

· personnels et de santé : absence de motivations, addictions aux écrans, troubles de comportement, phobie, problèmes de santé non diagnostiqués, etc.

Ils témoignent de la lutte au quotidien mené dans les établissements, et en particulier dans les collèges, contre l’absentéisme, de la saisie des absences aux instances d’identification des absences préoccupantes, observatoires de prévention des rythmes scolaires, cellules de veille ou commissions assiduité. Ils font état des dispositifs mis en œuvre en interne dans les établissements (opération coup de pouce destinées à remobiliser des élèves, dispositifs de lutte contre le décrochage, mesures préventives , tutorat, mallette parents pour le passage CM2/6e, dispositions de classes facilitant la solidarité entre élèves, conseils de classe rapprochés ets.)

Ils citent encore, avant de présenter leur étude (documents 3 et 4) Laurent Mucchielli et sa remise en cause virulente de la notion de démission parentale et François Dubet et ses travaux sur la dualité comportementale des adolescents.

http://www.udaf13.fr/observatoire-famille.html


La journée se poursuit par la présentation de deux expériences qui ont en commun d’être menées depuis de longues années.


1 – Au collège Mistral de Port de Bouc, un groupe de parents relais intervient depuis 10 ans, il s’implique au collège avec l’appui de la municipalité et du centre social. Son action d’accompagnement revêt de multiples formes, par exemple l’accompagnement de la principale du collège dans les rencontres avec les familles des enfants de CM2 pour « déconstruire les rumeurs qui circulent dans le quartier », accompagnement des parents lors des conseils de discipline ou des rencontres avec la conseillère d’orientation, intervention rapide auprès des familles lors de difficultés d’un enfant.

http://www.clg-mistral-portdebouc.ac-aix-marseille[…]



2 – Au centre social Saint Gabriel à Marseille un travail d’accompagnement à la scolarité est inscrit depuis 1980 dans le projet éducatif du centre social. Deux ouvrages sont parus sur ce travail : « et si on poussait les murs, une démarche de coéducation dans des quartiers populaires de Marseille », ouvrage traitant de « Co – Éducation et Parentalité » paru en 2010 sous la coordination de Pierre ROCHE, sociologue clinicien au Céreq et « IRIS », recueil de textes suite à ces deux années de travail d’écriture avec Jacques BRODA.


http://www.centresocial-stgabriel.org/article.php3?id_article=124


3 –Dominique Glasman est ensuite intervenu dans la continuité de ses deux expériences.

Pour lui, la réussite des expériences présentées tiens à la « parité d’estime », ainsi au collège Mistral le chef d’établissement est impliqué et s’engage à toujours apporter des réponses aux questions des parents, quelles qu’elles soient. Ce groupe réussi parce qu’il échappe au risque d’instrumentalisation, malgré l’urgence à laquelle sont confrontés les professionnels du collège. Le groupe de parents « médiateurs », par sa proximité avec l’institution scolaire, permet de démystifier le jargon des professionnels (qui a pour effet de mettre les parents à distance, de les intimider).

L’absentéisme est un processus qui engage l’école, la famille, le quartier. Pour Dominique Glasman, il est inutile et faux d’essayer de désigner un coupable.

Après une série d’interrogations sur la fiabilité des données il propose d’inverser la question : pourquoi les élèves viennent majoritairement, parce que cela les intéresse d’apprendre ? Il propose alors de valoriser la présence de l’élève. Pour lui, les décrocheurs sont des analyseurs des insuffisances de l’institution, ils interrogent l’école. A partir des études menées par Escol (Education, Scolarisation), il souligne que les apprentissages ne font pas sens pour tous les élèves, ou qu’ils ne sont pas organisés pour faire sens, que les savoirs scolaires éloignent de la famille, que l’orientation se fait souvent par l’échec, « comme prophétie démobilisatrice », que les blessures infligées par les verdicts scolaires sont profondes…

Il propose trois pistes de travail :

· Celle de la place de l’élève. Il faut agir pour éviter que les élèves « ne soient pas à leur place », qu’ils soient mal à l’aise avec le système en place.

· Celle de l’identité. Agir pour éviter que l’école ne disqualifie symboliquement les élèves

· Celle du sens pour empêcher les élèves de subir.

La matinée s’est achevée sous le thème du traitement judiciaire de l’absentéisme scolaire par la présentation des « stages parentaux » organisés par le Tribunal de Grande Instance de Marseille.

Deux intervenants : Bruno Tanche, de la « cellule Justice Ville » et Maryvonne Azard, responsable du service social départemental de l’Education Nationale, ont présenté ce dispositif mis en œuvre depuis 3 ans, qui constitue la réponse pénale à l’infraction de « délaissement de mineur ». Ce dispositif a donné lieu à la création d’un comité de pilotage qui réunit des magistrats, des enseignants, responsables de CIO et chefs d’établissements).

Son mode d’emploi : le parquet est saisi par un signalement de l’Inspection Académique en cas d’absentéisme d’une durée comprise entre 40 et 80 demi-journées. Les dossiers pris en compte sont choisis par les deux partenaires, justice et éducation, sur des critères territoriaux, d’âge (enfants entre 11 et 13 ans) et concernent des familles non suivies par d’autres organismes. Celles-ci sont auditionnées par la police à partir d’une grille d’investigation. Le procès-verbal d’audition est transmis au Procureur qui convoque la famille pour lui expliquer le dispositif.

Le stage parental a lieu dans une salle du Tribunal de grande instance. Il réunit une vingtaine de familles, et a une durée comprise entre 3 et 4 heures. Le procureur y rappelle le cadre de la loi, chaque partenaire professionnel présente les enjeux de la scolarité ainsi que les possibilités d’aides. La règle adoptée «étant qu’aucune famille ne quitte l’audience sans avoir obtenu un rendez-vous avec au moins un des partenaires ».


L’après-midi débute par une intervention du nouveau Recteur de l’académie d’Aix Marseille, monsieur Ali Saïb.

Après avoir rappelé les chiffres de l’échec scolaire massif dans notre pays, et son parcours d’enfant de cité marseillaise, monsieur Ali Saib invite les partenaires à prendre à bras le corps les politiques éducatives issues de la loi du 8 juillet 2013 : « la loi doit être portée par la communauté des adultes », et ce dans sa priorité : « la lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaire ».

Pour lui, l’école doit être bienveillante et se doit de travailler avec les élèves les plus fragiles (« les autres, on arrive à les gérer »). L’école doit reconnaitre le droit à l’erreur des enfants (l’erreur qui doit faire partie des processus d’apprentissage) et l’erreur des familles.

L’école doit écouter (en particulier la souffrance des enfants et des familles), s’adosser à la recherche, former les enseignants à la réalité des territoires. L’école ne doit pas être déconnectée de la réalité, elle doit voir l’élève dans sa globalité. Si l’Education Nationale est la clé de voute du vivre ensemble, l’école est un écosystème ouvert qui a besoin d’être nourri par l’ensemble des partenaires.

Après avoir répondu aux questions de la salle sur les réformes en cours, Ali Saïb et terminé son intervention avec une citation d’Edouard Glissant : « rien n’est vrai, tout est vivant ».



Pour démarrer la table ronde suivante, Mickael Crovasa de l’Association Départementale pour le Développement des Actions de Prévention (ADDAP 13) présente le dispositif de stages de remobilisation mis en œuvre par l’association, petites plates-formes expérimentales pour prendre en charge les démobilisations des élèves. Elles s’appuient sur plusieurs principes : pour ne pas stigmatiser, travail d’une semaine avec une classe ou toutes les classes d’un niveau, en associant les équipes, en harmonisant la parole des acteurs, parents et partenaires avec l’objectif de « re-convoquer » autour du devenir d’un jeune ses principaux soutiens (enseignants, parents et élève lui-même).


Jean Luc Fauguet, sociologue à l’ESPE d’Aix Marseille et membre de l’Observatoire des Quartiers Sud de Marseille pr ône l’engagement de l’école dans son territoire. Il cite Vincent Peillon : « le collège est un acteur central de l’aménagement et du développement durable du territoire ». Après un détour par la IIIe République qui met l’école à l’abri de l’extérieur qui pollue les apprentissages, et au pire est dangereux, il réinterroge la période pendant laquelle Alain Savary a été ministre de l’Education et réinterroge les termes de « zone d’éducation prioritaire » et d’ « obligation scolaire ».Pour Jean Luc Fauguet, le succès de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) témoigne de l’engouement scolaire. Il cite les ouvrages « Le pain des rêves » de Louis Guilloux et « Requiem des innocents » de Louis Calaferte, ainsi que « la culture du pauvre », livre dans lequel Richard Hoggart écrit l’autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises.

Ensuite il décrit l’école Finlandaise où l’on décrète le droit à la réussite (tous les élèves doivent réussir) et où le redoublement est interdit. Il rappelle l’enquête auprès des lycéens réalisée pendant le ministère de Claude Allègre : alors que tous les chercheurs s’attendaient à plus de critiques sur l’éducation, la principale demande des lycéens était « du respect ».

Jean Luc Fauguet présente le travail d’ATD Quart Monde avec les familles les plus éloignées de l’école, ainsi que travail de son laboratoire de recherche l’ l’ADEF (Apprentissage, Didactique, Evaluation, Formation, Université de Provence – IUFM d’Aix-Marseille) sur les territoires ruraux. De même les politiques éducatives stigmatisent les territoires urbains : à Catégorie Socio-professionnelle égale, il vaut mieux être scolarisé hors ZEP, car « quand les politiques éducatives prennent en compte le territoire c’est pour mieux le déprécier ». Jean Luc Fauguet propose d’inverser le regard et de trouver tout ce qui est bénéfique.

Il présente l’action de l’Observatoire des Quartiers Sud de Marseille, collectif d’acteurs associatifs, enseignants, travailleurs sociaux, chercheurs et habitants des Quartiers Sud de Marseille : Cayolle, Soude, Roy d’Espagne, Verrerie, Bonneveine, … Créé fin juin 2008, l’Observatoire œuvre dans le champ éducatif sur les principes de l’intelligence territoriale et du développement durable, et ce … en l’absence des inspecteurs de l’Education nationale, refusant de rejoindre le collectif. (http://observatoiredesquartierssud.blogspot.fr)

La table ronde suivante réunit deux pédopsychiatres. En premier lieu, Guillaume Bronsard, directeur de la Maison Départementale de l‘Adolescent, présente une lecture de l’absentéisme à la lueur des difficultés sociales des familles et des phénomènes de recomposition à l’œuvre depuis 40 ans (cela ne fait qu’une génération que des enfants de divorcés, divorcent) d’où découle leur perte de confiance dans leur capacité parentale. Il dénonce la réponse « juge +médecin » .

« La guerre des boutons » ne donnait pas lieu à un tribunal pour enfant. Aujourd’hui les protagonistes seraient jugés pour « violence en réunion ou actes de barbarie », notre société vit une diminution de la tolérance aux désordres. L’ouverture de l’école à tous et la scolarisation des enfants porteurs de troubles psychiques ou comportementaux se réalise sans les moyens nécessaires.

L’absentéisme scolaire peut recouvrir des raisons différentes, d’une cause dérisoire à une cause très grave. Nous devons le lire à la lueur de notre faible tolérance à l’inconfort et au dérangement.

Djamel Bouriche, pédopsychiatre à l’hôpital Edouard Toulouse est spécialiste des questions transculturelles. Il observe que même si les couches populaires migrantes sont « intégrées », des enfants refuse de s’inscrire dans le processus éducatif parce qu’il l’éloigne de sa culture. Il a rencontré des échecs soudains en classe de terminal « pour ne pas quitter le quartier ».

Il intervient au sein du collège Jean Moulin à Marseille accueillant 80% d’enfants comoriens qui vivent un déchirement culturel entre le dedans et le dehors, qui fréquentent l’école coranique, dont les familles font confiance en l’école et les enseignants ignorent leur histoire, leur langue, leur culture. Ce système dual empêche les élèves de penser : « les élèves intègrent mais ne pensent pas, ils jouent le jeu pour sortir de là ».

Comme son collègue Guillaume Brossard, Djamel Bouriche fustige la demande massive de rééducation, et ce en particulier dans les quartiers qui sont dépourvus de tout spécialiste orthophonistes, psychologues et rééducateurs. Les services publics adressent les enfants dans des services privés du champ neurologique pour dépressions, troubles du comportement (alimentation, sommeil).

Bruno Mathieu, responsable d’un atelier relais au collège Quinet à Marseille présente cette structure d’accueil d’enfants en voie de décrochage, en place depuis 13 années pour des prises en charge d’une durée de 10 à 11 années. L’objectif est de réconcilier l’enfant avec lui-même à travers de remises à niveau, de construction de savoirs faire et de savoirs être, et de travail en ateliers. L’équipe mène son action en partenariat avec une association d’éducation populaire, la maison des apprentis, l’éducation spécialisée et les familles.

Depuis toutes ces années, la question la plus cruciale est celle de la santé fragile des parents. Les enfants qui se trouvent confrontés à la mort : « comment les aider à se projeter ? ».


La journée se termine par l’intervention de Sylvain Ladent, secrétaire général d’Education et Devenir. Lui aussi cite Alain Savary « faites confiance au terrain ». Il pense que des professeurs heureux rendent des élèves heureux, et dans la continuité de la journée, appelle les partenaires à se mobiliser pour que nos élèves puissent avoir des utopies.


Claire Britten