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« C’est quoi un pays qui est incapable d’assurer à un quart de sa jeunesse un avenir décent ? Si on laisse 150 000 jeunes dans cette situation, que va-t-il advenir de notre pays ? » En décembre 2012, ces mots de Vincent Peillon sonnaient l’alarme. Selon le ministre, la lutte contre le décrochage doit « mobiliser la Nation ». Mais, même si les causes du décrochage scolaire sont multiples, c’est bien d’abord l’Ecole qui est en cause. Le décrochage, c’est notre affaire.

Les jeunes qui décrochent ont souvent de bonnes raisons de le faire. Dans une partie des cas elles sont exogènes à l’Ecole. Ils partent travailler, par exemple, voire travailler pour leur famille. D’autres quittent l’Ecole pour des raisons psychologiques. Dans tous les cas , le décrochage est une rupture avec son environnement social, classe d’âge et/ou parents.

Mais l’Ecole y a aussi sa part. Les difficultés scolaires apparaissent tôt, souvent dès la grande section de maternelle. Les écarts se creusent nettement à l’école primaire où l’enfant apprend qu’il « n’est pas bon ». L’école a du mal à y remédier et quand l’enfant passe au collège ses chances de résoudre ses difficultés sont minces. Globalement chaque acteur, l’école puis le collège, fonctionne comme s’il creusait l’écart entre les élèves en difficulté et les autres au lieu de le refermer. Pour le jeune, c’est manifesté par de mauvaises notes et, on le sait, souvent par le sentiment d’être délaissé par l’enseignant qui, poussé par l’idée de faire avancer la classe, va moins souvent le solliciter. C’est ainsi que la difficulté se transforme en échec. Et quand celui-ci s’installe, à travers le redoublement par exemple, le décrochage « passif » ou actif s’annonce. Il est aussi parfois accéléré par une offre éducative inadaptée qui au moment de l’orientation fait craquer un tissu relationnel devenu bien mince.

La classe y participe. Il y a un style d’enseignement, une certaine efficacité, des routines d’enseignement qui poussent à la marginalisation et à la mise à l’écart des élèves faibles. Il y a aussi un style qui ne génère pas d’empathie et de sympathie et qui laisse flotter un relationnel amer dans les établissements. Il ne suffit pourtant pas de demander aux enseignants d’en prendre conscience. Il faut aussi que cette culture du mépris ne soit pas celle de l’institution et que les conditions de son exercice permette d’encadrer mieux les élèves.

Parce que le décrochage est aussi presque organisé par le système éducatif. Il suffit de regarder les données officielles pour voir qu’il concerne les lycéens professionnels et plutôt les quartiers populaires. Le ministère semble prêt à bouger, de façon ultra prudente, sur l’orientation subie. Mais observons dans ces quartiers les conditions d’enseignement. Voyons ces lycées où les séries S sont à 20 élèves et les STMG et les secondes à 36. Voyons les collèges des quartiers difficiles avec 23 élèves par classe. Comment ne pas voir que ces conditions organisent l’échec ?

Un effort insuffisant. « C’est un gâchis formidable sur le plan financier et humain. On met des moyens pour que les élèves puissent être qualifiés et 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification ! » En janvier 2012, à Pierrefitte (93), François Hollande visite les locaux de l’AFPAD, une association locale pilote contre le décrochage. A sa sortie, il affirme : « J’ai pris l’engagement qu’aucun jeune de 16 à 18 ans ne se trouvera sans solution ». Deux ans plus tard, le doublement du nombre de raccrochés est un bon signe. Mais à ce rythme là c’est un septennat qu’il faudrait pour mettre fin au gâchis.

François Jarraud