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La question est récurrente. Après le rapport Pisa c’est donc un autre rapport, datant de novembre 2013, ‘’Le traitement de la grande difficulté au cours de la scolarité obligatoire » qui est porté à notre connaissance. Je voudrais réagir sur ces points essentiels :  »En France, 8% des élèves sont en dessous du niveau 1 en lecture(…). La France apparait comme un pays au taux anormalement élevé. »  »Nombreux, trop nombreux, sont ceux qui sont en grande difficulté avant l’entrée en sixième » dit le rapport.  »Ce taux – 8 % en dessous du niveau 1 en lecture – a doublé depuis 2000 ».

Je partage le point de vue d’André Ouzoulias :  »Pourtant, pour les enfants les moins expérimentés face à l’écrit, c’est bien l’écriture de textes qui leur permet le mieux de comprendre, de manière active et accélérée, « comment marche » l’écrit.  » Mais je voudrais remonter plus loin encore : avant l’écriture de texte, avant-même l’écriture, ou plutôt à la charnière entre le moment où l’enfant a acquis les compétences nécessaires pour écrire et le moment où il commence ses tout premiers écrits, plus précisément, l’écriture de son prénom, puisque l’usage s’est installé ainsi.

Par définition, ce moment charnière invite à s’interroger sur trois points :

Qu’a-t-on fait faire avant ?

Que fait-on faire à ce moment-là ?

Quel est le contenu de ce qu’on fait faire à ce moment-là ?

Avant de faire écrire il faut préparer les enfants à le faire, non pas à l’idée de le faire mais à être en mesure de réaliser conjointement les opérations qui permettront de le faire. De le faire correctement cela va de soi.

– Pour écrire, il faut tenir le crayon. Si l’enfant tient mal son crayon, il n’a pas la fermeté suffisante pour le guider. En conséquence, soit il le tient mollement, soit il est crispé. L’appui sur le papier d’un crayon mal tenu peut être instable ou trop fort ou, à l’inverse, beaucoup trop léger.

– Bien tenir le crayon n’est cependant pas suffisant : on peut tenir son crayon correctement et mal le manier. L’écriture alors se trouve sous la main, donc l’enfant ne voit pas ce qu’il écrit. L’enfant peut ne pas déplacer les doigts, donc écrire d’un mouvement de l’épaule, ce qui est coûteux en énergie, ou d’un mouvement du poignet, ce qui est pire et quasi irréalisable mais qui, pourtant, existe.

– En même temps il faut avoir intégré les contingences spatiales de l’écriture : l’horizontalité et la tenue de la ligne, la régularité des espaces et la verticalité des axes. L’avoir intégré, c’est à dire avoir réalisé les tâches (qui s’inscrivent dans les tâches traditionnelles de l’école maternelle) ET, comme il se doit pour tout apprentissage, avoir analysé en retour le savoir acquis ou, tout du moins l’avoir conscientisé.

– En même temps encore, il faut avoir encodé le geste formateur de la boucle (première de toutes les formes constitutives de l’écriture) et ses différentes dimensions. Cela demande du temps. C’est un travail de plusieurs mois, tout comme l’ensemble de la préparation à l’écriture.

Voilà donc pour  »avant » la première écriture. ‘’Avant’’, c’est la TPS et la PS. Ce peut être aussi une partie de la MS. Ce serait dommage d’attendre la GS. Les mauvaises habitudes sont déjà prises et plus l’enfant aura été félicité pour ses résultats ou pour ses efforts (ce qui est légitime) plus il aura du mal à accepter de changer.

Ensuite  »pendant ». C’est le moment ultime qui fait passer de tout ce qui permet d’écrire correctement, à l’écriture elle-même, au seuil-même de l’écriture. Pour y accéder complètement il reste à apprendre la (nouvelle) forme ainsi que la (nouvelle) lettre. Il s’agit plus précisément d’apprendre le processus qui sert à réaliser cette forme et, dans la foulée, la configuration de la lettre qui intègre les formes connues jusqu’ici.

Ensuite, donc, pendant l’écriture. Pendant l’acte d’écriture, on écrit. Dire cela paraît trivial. C’est pourtant une nécessité. Comme écrire ne se conçoit pas sans un rapport direct concomitant au sens : il n’y a pas d’écriture sans relation à la lecture. Au début de l’apprentissage, dans l’acte d’écriture l’enfant oralise, et par-delà les sons émis, porte au fur et à mesure à sa conscience le contenu de son écrit.

S’il verbalise au lieu de se référer au sens, il mobilise son esprit à décrire le trajet suivi par le crayon sur le papier ; Il ne peut donc pas se consacrer au sens et aura du mal à comprendre ‘’comment marche’’ l’écrit.

Au contraire, s’il a appris auparavant les processus de formation des formes de base et de leurs dérivées ainsi que la façon d’agencer ces formes en lettres, si, préalablement il a acquis aussi les compétences nécessaires pour écrire correctement, l’enfant pourra consacrer son énergie et son attention à la production d’écrit.

Le contenu de l’écrit. Renvoyant à un référent unique, le prénom fait mal percevoir comment marche l’écrit. C’est d’autant plus vrai que, le prénom étant de toute nationalité, d’origine régionale ou encore inventé, les occurrences orthographiques de la langue française en sont très souvent absentes. En conséquence, les fonctions de l’écrit, son fonctionnement, les relations graphophonologiques, les récurrences orthographiques ne sont pas perceptibles dans l’écriture du prénom. Il serait donc utile de s’interroger sur les contenus afin qu’ils soient adaptés à la fois aux possibilités de l’enfant et à la finalité : lui apprendre à écrire au sens large du terme, c’est-à-dire à laisser une trace et à aiguiser pour cela sa réflexion. Les textes s’y prêtent, même s’il ne s’agit tout au début que de simples déictiques qui répondent des questions par (ici, là, celle-ci, celui-ci, celui-là etc.) ou s’il s’agit de compléter des textes à trous. Les textes plus conséquents viendront vite. Sauf situation particulière, les noms propres isolés s’y prêtent mal. L’ensemble est parfaitement réalisable en école maternelle et dans l’esprit de l’école maternelle.

Sans prétendre qu’un effet n’a qu’une cause, il me semble donc que, si l’école maternelle permettait à l’enfant, dès son premier contact avec l’acte d’écriture, d’écrire correctement en pensant ce qu’il écrit, il aurait plus de chances d’écrire correctement dans tous les sens du terme et d’être mieux outillé pour comprendre comment fonctionne l’écrit et pour lire. Une partie des difficultés et des rejets scolaires pourrait alors être évitée. En matière de réussite scolaire, cela aiderait peut-être à ce qu’un jour le collège n’ait plus à traiter que des questions qui lui sont propres.

Danièle Dumont,

enseignante en pédagogie de l’écriture et en rééducation graphique

Docteur en sciences du langage

http://legestedecriture.fr