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Le docteur Élie Pécaut, dans son dictionnaire publié en 1882 écrivait « Qui n’a pas été frappé, en pénétrant dans la cour d’un de nos grands établissements d’enseignement secondaire, de la mine maussade, éteinte, ennuyée, d’un grand nombre de jeunes … ? Qui ne les a vus, dans la classe, subir les leçons comme une corvée monotone, sans que leur visage s’animât, sans que le moindre tressaillement vînt annoncer que le cœur prenne part à l’effort de l’intelligence ? (1) ».

À l’école je m’ennuie, je deviens papillon …

… mes pensées s’envolent par la fenêtre entrouverte,

et, dans ce vaisseau, je pars à la découverte

d’espaces grands comme l’Amérique de Christophe Colomb.

Les lointaines paroles du prof hors de mes oreilles,

écoutilles fermées, c’est un plaisir sans pareil,

que de larguer les amarres de ce port d’attache,

l’enseignant est sédentaire, son élève le lâche.

Je descends des courants de pensées inconnues,

si un regard oblique, je joue les ingénus,

lui remonte son raisonnement, comme une vieille pendule

ça tourne en rond dans sa tête, drôle de libellule…

Tout juste un échos dans ma tête quand il s’entête,

je me demande encore qui de nous deux s’embête

dans cette partie de cache-cache avec nos pensées,

Minute papillon! reviens! la cloche a sonné

L’école n’est pas faite pour être divertissante

Le 14 janvier 2004, Luc Ferry, alors ministre de l’Éducation, a ouvert un colloque sur l’ennui scolaire par une question : Comment préserver un élève du sentiment d’un présent trop vide et d’un avenir trop lointain ? Le colloque a revisité à peu près tous les truismes, pour brosser trois portraits robots de l’ennui. Le plus commun présente une vaste souffrance psychologique dont la désaffection pour l’école n’est qu’un aléa. Le deuxième portrait insiste sur l’absence de sens des programmes et la persistance de méthodes faisant apprendre quelque chose aux élèves sans leur expliquer le pourquoi. Enfin, un portrait très impressionniste s’intéresse au syndrome de Guy Degrenne : l’ennui serait une aubaine car la mortification en classe permettrait la révélation d’un potentiel de réussite (2) .

Dans ce contexte, Luc Ferry (3) défend cependant obstinément une instruction doloriste : L’école n’est pas faite pour être divertissante. Certains apprentissages sont difficiles. On ne lit pas l’Éthique de Spinoza par plaisir. On ne s’intéresse vraiment qu’à ce que l’on a beaucoup travaillé et cela suppose une certaine dose d’ennui, voire de souffrance. Néanmoins, à côté de cet ennui roboratif, il existe aussi un mauvais ennui, lié au manque de pédagogie de bon nombre de professeurs. Tout le monde n’est pas doué pour l’enseignement. Sur dix professeurs, sept sont excessivement ennuyeux, aussi intelligents et sympathiques soient-ils… (Sic).

Quelques indications semblent donner raison à Luc Ferry ? L’ennui est très présent à l’école. Toutefois, le nombre de jeunes concernés par le phénomène restent imprécis. Une enquête réalisée en 2010 par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (4) , auprès de 760 écoliers et collégiens, révèle qu’environ un quart des élèves interrogés déclarent s’ennuyer souvent, voire tout le temps. Ils sont aussi 40% à s’ennuyer quelquefois. Ce sentiment est important chez les collégiens, qui déclarent s’ennuyer à plus de 71%…

L’ennui est une transgression

Séverine Ferrière dans son étude des représentations de l’ennui en contexte scolaire(5) met en exergue trois particularités. L’ennui n’est pas discriminant, il apparaît soit en cas de passivité, soit en cas d’activité des élèves. Il concerne autant les bons élèves que les mauvais. Les enseignants définissent l’ennui comme une déviance au sein de l’école et le décrivent comme un cause d’échec.

L’ennui scolaire est communément associé à des phénomènes comme : l’absentéisme (voire le décrochage) ; les transgressions (voire la violence) ; la démotivation et le manque d’attention (voire le refus d’apprendre). En général, l’ennui est analysé comme un inconvénient, un risque, un danger… Pour autant, quelques commentateurs lui trouvent des avantages. Par exemple, il semblerait qu’il soit bénéfique lorsque des activités comme la lecture ou l’écriture sont des réponses à l’ennui.

L’ennui des élèves dont les résultats sont faibles se présente comme inéluctable ; il est endogène, l’individu scolarisé en est porteur par nature. Une tautologie en donne l’explication : l’élève en difficulté s’ennuie puisqu’il peine à apprendre. Rares sont les hypothèses qui suggèrent l’existence d’un ennui nosocomial (exogène) transmis à l’élève par l’école elle-même. Peut-on envisager que certaines pédagogies rébarbatives produisent une inappétence pour les études, un refus d’apprendre et par la même un échec scolaire.

L’ennui des bons élèves met plus nettement mettre en cause les méthodes et les contenus d’enseignement. Mais, les questionnements à son sujet sont le plus souvent expéditifs. D’une part, on évoquera l’hétérogénéité : l’obligation pour les professeurs de s’adapter aux élèves faibles ralentit les avancées des bons éléments qui en conséquence s’ennuient. D’autre part, on alléguera un effet systémique : le respect de programmes peu ambitieux et la minoration des exigences provoqueraient l’insatisfaction constante des meilleurs élèves, qui faute de nutriments cognitifs et d’émulation s’embêteraient mortellement en classe.

Dans le sillage de cette réflexion, Robinson en 1975 (6) constate qu’un QI élevé permet de résister à l’ennui ; mais un QI faible n’est pas associé à un ennui plus élevé. Par ailleurs, l’ennui serait une caractéristique universelle de l’adolescence, une résistance aux adultes et aux règles. Les jeunes s’ennuient en mode transgressif autant à l’école que durant leurs loisirs et cette propension s’intensifie lorsqu’il s’agit d’occupations proposées (imposées) par les adultes.

Comment s’ennuie-t-on ?

Les manifestations de l’ennui (7) en classe sont connues : regarder en silence par la fenêtre, observer son voisin, un objet, une affiche sans un mot… Dessiner… Manipuler sa trousse, sa montre, son collier, un stylo, une feuille, un cahier, un gri-gri… Jouer sur son mobile, consulter et envoyer des SMS… Bavarder… Rêver… Bailler… Bouger, faire bouger la chaise, la table, le sac…

Le traitement de l’ennui est symptomatologique. Il s’agit seulement pour les élèves de ne pas se donner une mauvaise image de cancre qui bâille à s’en décrocher la mâchoire. En ce sens on peut noter quelques astuces naïves (8) … Il faut faire une seule chose à la fois ; on peut difficilement se concentrer sur ce que dit un professeur, penser à son prochain rendez-vous à l’auto-école et ne pas oublier de recharger sa carte de cantine à l’interclasse… Quand on a tendance à regarder dehors au lieu de suivre le cours, il faut choisir une place loin de la fenêtre. Il est important de bien manger notamment le matin pour éviter la fringale qui absorbera l’esprit vers dix heures. Enfin, il faut savoir que la capacité d’attention dépend aussi du temps de sommeil durant la nuit (pas en classe).

Les professeurs connaissent des petits trucs pour éviter l’ennui des élèves. Un inspecteur (9) les a même catalogués pour décrire un cours idéal d’où l’ennui serait absent…

-Fractionner chaque cours en plusieurs séquences courtes (demi-heure par exemple) et éviter les longues phases d’une heure ou deux consacrées à la même activité.

-Réduire les longues explications orales et montrer plutôt des documents, des images, faire des croquis au tableau. Inviter les élèves à poser des questions. Ne jamais les laisser plus de dix minutes sans solliciter leur participation.

-Alterner les moments de haute tension pendant lesquels les élèves doivent se concentrer et ceux de plus basse tension ou ils peuvent « respirer un peu ».

-Varier les formes de travail : individuel, en groupe, à l’oral, à l’écrit… Permettre l’utilisation de livres, d’ordinateurs…

-Moduler sa voix, laisser des moments de calme, de silence.

-Confronter les élèves à des questions, des problèmes, des débats … Présenter des connaissances vivantes et dynamiques. Si ce qu’enseigne le professeur est trop plat et banal les élèves se démobilisent par manque d’intérêt.

-Mettre le cours à la portée des élèves et les difficultés du programme à leur niveau. Si ce qu’on leur demande est trop difficile, ils se démotivent par crainte d’échouer.

Gilbert Longhi

Retrouvez la chronique de G Longhi

Notes:

1 Élie Pécaut, Dictionnaire de Pédagogie et d’Instruction primaire de 1882 :Page 79

2 Allusion à une publicité de 1984… Mon pauvre Guy Degrenne, c’est pas comme ça que vous réussirez dans la vie… disait le proviseur pour humilier l’élève Guy Degrenne qui passait le plus clair de son temps à dessiner des couverts pendant les cours… et une voix off de conclure : Guy Degrenne ? Aujourd’hui, il est le premier ! Cf. INA http://www.ina.fr/video/PUB3372528142 & http://www.economiematin.fr/les-experts/item/3519-creation-entreprise-guy-degrenne-arts-table

3 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/09/23/01016-20100923ARTFIG00776-71-des-collegiens-disent-s-ennuyera-l-ecole.php

4 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/09/23/01016-20100923ARTFIG00776-71-des-collegiens-disent-s-ennuyera-l-ecole.php

5 Transmissions des représentations de l’ennui comme système d’explication Psychologie sociale, Université Lyon 2, GRePS (EA 4163) severine.ferriere@univ-lyon2.fr Septembre 2005.

6 Transmissions des représentations de l’ennui comme système d’explication Psychologie sociale, Université Lyon 2, GRePS (EA 4163) severine.ferriere@univ-lyon2.fr Septembre 2005.

7 Cf. Séverine FERRIERE Thèse de doctorat en psychologie, soutenue le 5 juin 2009 Université Lyon 2.

8 http://www.keepschool.com/fp/cours/comment-developper-son-attention.html

9 Inspecteur académie de Versailles http://www.ien-versailles.ac-versailles.fr/Espace pedagogique/Apprendreaapprendre/Lattention/DevelopperlAttention.htm