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Où va l’Ecole sous l’invasion des tablettes et des smartphones ? La première journée de réunions plénières de la Semaine pour l’éducation mobile organisée par l’Unesco, le 18 février, montre que les technologies mobiles interrogent davantage les enseignants et les responsables éducatifs qu’elles n’apportent de réponses. Cette journée a vu les études et les témoignages se croiser sans qu’émergent des réponses claires à l’invasion des mobiles dans les poches des élèves.

« La technologie permet de donner de l’autonomie aux élèves », témoigne Chee Ken Tan, la principale d’une école de filles de Singapour. « Elle pousse à l’amélioration de contenus des cours. Mais ce n’est pas une baguette magique ». A l’entendre on se rend compte que les outils mobiles sont d’abord un défi de gouvernance pour l’Ecole. Comment généraliser une innovation dans le système éducatif ? Pour Chee Ken Tan il faut observer ce qui se passe en vrai dans la classe et s’appuyer sur les petits groupes innovants.

Ce petit groupe innovant on va le retrouver dans le compte rendu d’une expérimentation menée avec le soutien de Nokia dans 4 pays, au Mexique, Nigéria, Sénégal et Pakistan. Dans ces 4 pays les téléphones portables ont été utilisés pour accompagner des enseignants isolés dans des zones rurales. Au Mexique il s’agit de suivre des professeurs en zone Puebla et d’améliorer leur niveau en espagnol. Le téléphone permet par exemple d’échanger des vidéos réalisées par les enseignants. On est dans une situation similaire au Nigéria où il est utilisé pour des exercices quotidiens en anglais ou au Pakistan où il accompagne des enseignantes de maternelle. Au Sénégal, c’est un peu différent. Il s’agit d’améliorer le niveau en maths de professeurs de la banlieue de Dakar. David Atchoarena, de l’Unesco, tire quelques premières conclusions de ces expériences. Elles ont mobilisé les cadres (chefs d’établissement) en faveur des nouvelles technologies. Elles ont mis en réseau les enseignants et créé ainsi une demande forte d’échange professionnel. Elles se heurtent à trois défis : celui des contenus, celui de l’évaluation dans des systèmes d’évaluation qui restent traditionnels et celui de l’isolement des enseignants.

Ces questions on les retrouve dans plusieurs expérimentations menées aux Etats-Unis. Des responsables de districts du Texas (Houston), de Californie (Eucenitas County), de Caroline du Nord (Onslow County) ont témoigné de leur expérience d’administrateurs avec une vision bien américaine de la généralisation des tablettes ou des ordinateurs portables. Tous s’attachent aux résultats. Ainsi à Onslow, l’introduction du smartphone HTC 6800 avec des ressources disponibles 24h/24h a permis d’améliorer le niveau en maths des lycéens. Les maths sont devenues faciles pour la majorité. Mais on sait mal comment les changements ont été portés dans els cours. A Houston (Texas), un très gros et très défavorisé district, c’est un ultra book HP qui a été généralisé au lycée avec des contenus achetés sur le marché éducatif. Pour les administrateurs le gros défi a été de repenser les programmes et de mobiliser les enseignants. L’introduction des machines a nécessité la mise en place dans les emplois du temps d’heures de travail en commun des enseignants. Ce sont eux qui ont relevé le défi accompagné par des formateurs venus d’un autre état.

Mais avec quoi enseigner en classe ? L’Unesco a réservé une demi -journée à la parole enseignante avec les témoignages d’une professeure des écoles suédoise, E. Ohrn, d’un enseignant turc, E. Taskaya, d’un professeur de SVT nigérien, N. Oumarou Maman et d’une professeure chinoise, N. Liu. La généralisation d’ordinateurs portables (Suède) ou de tablettes (chez les autres) soulève des défis à l’ordre traditionnel de la classe. « Je me suis rendu compte que mes élèves regardaient leur smartphone plutôt que le tableau », témoigne N Liu. « Alors autant utiliser el numérique ». Dans ces quatre cas, le premier défi c’est celui des contenus pédagogiques. A Niamey on se plaint de leur indigence ce qui fait que la tablette est plutôt perçue comme une gêne pour le cours. A Pékin, l’école a entrepris de créer des manuels numériques sur tablettes. En Suède, l’ordinateur permet de s’affranchir de la manipulation du stylo, d’écrire des histoires et de les échanger. Dans ces quatre pays, la problématique de l’intégration du numérique dans la classe l’emporte sur celle de la mobilité stricto sensu.

C’est cette question que l’on retrouve encore dans l’étude menée par Karsenty et Fievez sur l’utilisation d’ipads en classe au Québec, en Belgique et en France. Cette étude a mis en avant le fait que la tablette posait des questions de concentration en cours. Elle oblige aussi les enseignants à revoir leur façon d’enseigner et à refaire leurs cours. Les premiers résultats de son extension en 2014 montrent que le degré de satisfaction des professeurs a diminué depuis 2013 même si les avantages de la tablette l’emportent encore sur les inconvénients.

Beaucoup de questions, peu de réponses d’avenir. C’est le bilan de cette première journée générale d la semaine du mobile en éducation. On en retiendra quand même une remarque générale. Si l’introduction du numérique perturbe la classe, impose de revoir l’enseignement pour aboutir à des résultats chez les élèves, de nombreux responsables de districts ont jugé convenable de la lier à une hausse du salaire enseignant. Car la tablette ne supprime pas l’enseignant. Bien au contraire. La Semaine continue le 19 février.

François Jarraud

L’étude Karsenty Fievez

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/12/11122013Article6[…]

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