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On ne sait pas comment travaille le Conseil national des programmes. On peut supposer qu’il est structuré à partir de focus disciplinaires, que des consultations syndicales et d’associations de spécialistes ont vu le jour, que des audits de spécialistes dans les champs de savoirs divers et peut-être même contradictoires se prolongent… bref que des noosphères ont émergé. Mais une matrice d’écriture à vocation transversale utilisable pour chaque discipline aux différents niveaux du millefeuille éducatif existe-t-elle ? Nous la pensons nécessaire pour trois raisons.

Elle permettrait une lecture verticale de la cohérence de chacun des domaines disciplinaires (de la maternelle à la classe terminale). Elle faciliterait une cohérence dans l’appréciation des disciplines intervenant à un niveau d’enseignement déterminé. Et surtout elle indiquerait dans quel état d’esprit la révision (voire la refondation) des contenus a lieu… De sorte que la prochaine révision puisse exister non pas en apesanteur spéculative mais en s’appuyant ou en réfutant la structure ainsi avancée.

Ce faisant nous avons conscience qu’en amont de cette réflexion des arbitrages sont nécessaires. Nous en citons deux, mais il en existe bien d’autres. Faut-il conserver la dissociation entre connaissances et compétences, ou ces dernières ne peuvent-elles pas irriguer tous les programmes (à condition de les définir comme des savoir-agir réfléchis, de distinguer compétences sociales, disciplinaires, transversales) ? Quelle place faire à l’école primaire et au collège (dans l’optique d’une école du socle qui devra un jour exister en dépit de réticences syndicales) aux éducation à… (visant des pratiques sociales) et aux disciplines constituées ?

Nous plaçons ces arbitrages et la matrice ci-après dans l’optique de faire exister un curriculum de compétences, visant à se substituer à un programme de connaissances. Place alors à un conseil national des curricula dans lequel se dissoudrait le conseil national des programmes.

Avant que de suggérer un curriculum de compétences intégrant les finalités de l’enseignement considéré, les objectifs généraux ambitionnés, les contenus, les méthodes, la planification, l’évaluation, les aides pédagogiques, les aides formatives, nous plaçons en exergue, en nous appuyant sur la réflexion d’Edgar Morin, sept principes régulateurs et trois alertes pour la construction et la mise en actes d’un curriculum de compétences

Sept principes régulateurs et trois alertes pour la construction et la mise en actes d’un curriculum de compétences

Sept principes régulateurs et trois alertes

pour la construction et la mise en actes d’un curriculum de compétences

Les sept savoirs nécessaires

à l’éducation du futur d’Edgar Morin

Nos trois alertes

1. Les cécités de la connaissance : les erreurs, la normalisation, l’inattendu, l’incertitude…

L’éducation qui vise à communiquer les connaissances prend peu en compte l’essence même de ce qu’est la connaissance humaine : ses dispositifs, ses infirmités, ses difficultés, ses propensions à l’erreur comme à l’illusion et elle ignore purement et simplement le mécanisme de construction de la connaissance.

2. Les principes d’une connaissance pertinente : le contexte, le global, le multidimensionnel, le complexe…

Un problème important qui se pose est celui d’une connaissance capable de saisir les problèmes dans leur aspect global et fondamental pour y incorporer les connaissances partielles et locales.

Le biais majeur qui consiste à ériger la connaissance fragmentée selon les disciplines en savoir suprême rend extrêmement difficile d’opérer le lien entre les parties et les totalités.

3. Enseigner la condition humaine : enracinement, déracinement, les boucles : cerveau/esprit/culture…

L’unité complexe que forme la nature humaine a été désintégrée dans l’enseignement à travers les découpages disciplinaires. Plus grand monde ne sait ce que signifie être humain. C’est pourquoi la condition humaine devrait être un objet essentiel de tout enseignement.

Comment les élèves peuvent-ils trouver du sens dans ce curriculum ?

4. Enseigner l’identité terrienne : le legs du XXème siècle, les nouveaux périls, la conscience terrienne…

La connaissance de l’histoire de l’ère planétaire, qui commence avec la communication de tous les continents au 16ème siècle est le départ d’un lien d’inter-solidarité entre toutes les parties du monde, les périodes d’oppression et de domination qui ont traversé l’histoire humaine étant toujours d’actualité.

Comment va-t-on avec ce curriculum aider les élèves à transférer les compétences acquises dans des situations disciplinaires et dans des situations de vie ?

5. Affronter les incertitudes : incertitudes historiques, de la connaissance, du réel, boucles risque/précaution…

Lorsqu’on se penche sur les grands événements et accidents de notre siècle, on se rend compte qu’ils furent tous inattendus. Pour vivre nos vies le plus sereinement possible, il faudrait se préparer à affronter l’inattendu. L’incertitude fait partie de l’aventure humaine.

Comment ce curriculum prend-il en compte la question de la Culture telle que nous l’avons suggérée, dans ses approches épistémologiques et ontologiques ?

6. Enseigner la compréhension : obstacles à la compréhension, l’esprit réducteur, conscience de la complexité humaine…

Pour cela, il faut étudier l’incompréhension dans ses racines, ses modalités et ses effets. Pour que cessent racisme, xénophobie et mépris, il faut davantage s’intéresser aux causes et poser la question du « pourquoi » plutôt que de tenter d’en cerner les symptômes. L’éducation pour la paix est un garant d’un avenir stable et durable.

7. L’Ethique du genre humain : démocratie et complexité, la citoyenneté terrestre, le destin planétaire…

La finalité de cet enseignement serait de contribuer à la prise de conscience de notre « Terre-Patrie » qui pourrait se traduire en une volonté de réaliser la citoyenneté terrienne.

L’avenir de l’humanité et de notre Planète est sans doute à ce prix…

Proposition d’une matrice d’écriture des contenus à enseigner

1. Les finalités d’un curriculum de compétences

Les finalités sont spécifiques à chaque curriculum de compétences. C’est en ce sens qu’elles se distinguent des sept savoirs précédents. Les finalités de chaque discipline sont ce vers quoi tendre, où se diriger ; l’horizon qu’elles signifient reculant au fur et à mesure qu’on s’en approche.

Une finalité est une affirmation de principe à travers laquelle une société ou un groupe social identifie et véhicule ses valeurs. Elle fournit les lignes directrices du curriculum.

Exemple :

L’enseignement des langues étrangères vise à favoriser

o La connaissance des cultures et des civilisations étrangères.

o Le développement de la compréhension entre les peuples.

L’enseignement de l’histoire doit apporter aux apprenants une culture leur permettant de comprendre le monde et d’y exercer le moment venu leur responsabilité de citoyens. Ceci implique l’affirmation d’un lien entre le civique et le patrimonial : l’identité du citoyen doit être fondée sur une culture partagée

L’éducation physique et sportive a pour finalité de former, par la pratique scolaire des activités physiques, sportives, artistiques, un citoyen cultivé, lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué.

Quelles sont les finalités qui, constituant la ou les lignes directrices de votre curriculum disciplinaire, conduisent à des valeurs partageables ?

2. Les objectifs généraux d’un curriculum de compétences

Les finalités sont très générales, les objectifs généraux davantage précis. C’est vers quoi tend l’apprentissage des élèves dans la discipline considérée.

Ce sont des énoncés d’intentions pédagogiques relativement larges. Ils circonscrivent un ensemble de compétences que l’apprenant doit posséder au terme du curriculum.

Exemple :

Dans l’enseignement des langues étrangères l’apprenant sera capable de produire par écrit le récit d’un événement fictionnel, en classe de troisième.

En histoire, les élèves sauront distinguer les notions de république, monarchie, patrie, nation leur permettant de respecter les symboles de la république.

Au football, les apprenants devront être capables d’avoir une vision élargie de leur action pour savoir se démarquer.

Quelles sont les objectifs généraux qui donnant corps à vos finalités vont constituer l’architecture des compétences de votre curriculum ?

3. Les contenus d’un curriculum de compétences à dimension disciplinaire

L’épistémologie scolaire consiste en une réflexion critique sur les principes, les méthodes et les conclusions d’une discipline. Une pratique sociale est du côté d’une action pratique socialement reconnue. Ces deux domaines sont à rapprocher pour convenir des compétences à privilégier dans le curriculum de compétences.


L’indispensable réflexion épistémologique

disciplinaire

Le choix de pratiques sociales

1. Quel est le paradigme de la discipline retenu ?

2. Au sein de ce paradigme pour le niveau d’enseignement choisi, quels sont les quelques macro compétences intégratrices de compétences ?

3. Quels sont dans cette discipline, pour ce niveau d’enseignement, les compétences qui réfèrent :

aux objectifs généraux antérieurs

aux pratiques sociales retenues

qui sont à considérer à un certain registre de compétence

qu’il est nécessaire de décomposer le cas échéant en compétences de rang inférieur

Dans ce curriculum disciplinaire, quelles sont les pratiques sociales envisagées ?

Une pratique sociale « consiste à mettre en relation […] les activités didactiques, avec les situations, les tâches et les qualifications d’une pratique donnée. Ces activités concernent l’ensemble d’un secteur social, et non des rôles individuels et la relation avec les activités didactiques n’est pas d’identité, il y a seulement terme de comparaison ».

4. Les contenus d’un curriculum de compétences pour des éducation à…

A côté des compétences (des savoir agir réfléchis) précédentes qui relèvent des enseignements disciplinaires, des enseignements existent fréquemment aux visées plus en phase avec des questions vives sociétales : les éducation à traduites elles aussi en termes de compétences.

Un curriculum référent à des éducations à… est souvent adjoint au curriculum de compétences précédent. Il peut être construit en s’apuyant sur les interrogations suivantes :

quelles valeurs sont considérées fondamentales ?

quelle conception sociopolitique prévaut ?

quelle visée du lien entre le savoir et l’action sociale est prise en compte ?

l’élève est-il approché comme citoyen, consommateur voire producteur ?

l’élève est-il engagé et responsable dans le cadre de cet enseignement ?

5. Les méthodes en relation avec un curriculum de compétences

Il n’est pas envisageable d’établir une bijection compétences-méthodes. Pour des raisons d’éthique professionnelle : elles sont de la responsabilité de l’enseignant. Pour des raisons pratiques : chaque enseignant en fonction de ses choix d’enseignement, du niveau de sa classe est le seul à pouvoir en convenir. Nous rappelons seulement les cinq méthodes archétypiques :

La méthode démonstrative

Elle se justifie pour reproduire un geste ou une technique précise.

La méthode analogique

Elle tire son sens en remplaçant une idée ou un concept inconnu par un fait connu et simple avec lequel on peut trouver des points de ressemblance.

La méthode magistrale ou expositive.

Le formateur transmet des connaissances, un savoir, sous la forme d’un exposé..

La méthode interrogative

Elle correspond à un système de questions réponses permettant de développer la curiosité en interrogeant les apprenants. Le questionnement s’appuie sur un support commun : situation supposée vécue par tous, texte, schéma, ,…

La méthode de découverte

Elle vise à faire apprendre par des « essais et erreurs » en petits groupes, à mobiliser les expériences personnelles des apprenants pour apprécier une situation et résoudre un problème posé.

6. La planification d’un curriculum de compétences

Deux planifications : celle de l’administrateur qui fixe des priorités et celle de l’enseignant qui les suit de manière plus ou moins proche, les manuels fréquemment l’inspirant.

C’est une des facettes du métier enseignant la moins facilement rationalisable tant les variables en jeu sont nombreuses : ce que l’enseignant pense possible de faire découvrir et acquérir par ses élèves (dans une vision moyenne estimée des possibles tant les potentialités peuvent diverger entre les forts et les faibles), en fonction du moment où il en est de sa progression pour arriver au terme de l’année, en fonction des aides pédagogiques et didactiques qu’il possède, en fonction des réactions antérieures le cas échéant des parents et des corps intermédiaires (inspecteurs, conseillers), sa planification sera très variable.

La planification versus administration, sachant bien qu’elle proposera et que chaque enseignant disposera, ne peut plus imaginer qu’un ministre de l’éducation connaisse à la même heure dans toutes les écoles de la République l’enseignement dispensé. L’idée de différenciation pédagogique, la variété acceptée des contextes (hier ZEP, aujourd’hui APV, RAR, CLAIR, ECLAIR…), la diversité des lieux d’enseignement (la classe, le musée, le terrain de sport, …) ont mis fin en partie à l’uniformité.

7. L’évaluation d’un curriculum de compétences

Cette intention existe rarement car si les enseignants évaluent par l’entremise des épreuves d’évaluation qu’ils donnent à leurs élèves, des éléments du curriculum dont ils ont la responsabilité, il n’existe pas d’évaluation globale du curriculum par une instance externe.

Dans les faits, une évaluation des curriculas n’existe pas. Au plus le curriculum donne t-il naissance à des contestation de la part de lobbies divers (associations de spécialistes, groupements religieux, syndicats, associations de parents,…). Mais lorsqu’il est installé, aucune procédure d’évaluation n’est installée. Si bien que les curriculas se succèdent parfois sans que la raison soit explicitée.

Du reste les enseignants, toujours dans une posture d’agent d’exécution ne les discutent que très rarement. Aussi faudrait-il mettre en place des procédures d’évaluation, voire un observatoire des curriculas en même temps qu’on les implante

8. Les aides pédagogiques et didactiques pour implémenter un curriculum de compétences

En lien étroit avec le curriculum, ces aides pédagogiques et didactiques sont autant d’outils, de techniques, de procédures et de processus dont il conviendra de ne pas négliger la portée matérielle pour les enseignants. Ces aides sont très variées qui vont du manuel au matériel nécessaire pour favoriser les apprentissages. Les nouvelles technologies constituent une de ces aides pédagogiques et didactiques.

9. Les aides formatives pour un curriculum de compétences

Elles sont à envisager nationalement alors qu’aujourd’hui elles sont construites le plus au sein de chaque institut de formation, sans que leur nature et leur contenu soient portés à la connaissance des différentes institutions et lieux de formation. Ces aides formatives semblent pouvoir s’inscrire dans la trilogie formative permettant un travail sur les représentations des participants, un éclairage théorique de pratiques observées ou racontées, la création de pratiques alternatives pour montrer des possibles. Tous les médias peuvent y concourir, notamment l’enregistrement de séquences de classe en vue d’analyses collectives.

Michel Develay