Print Friendly, PDF & Email

Le bac est-il donné à tout le monde ?


« Il faut supprimer le bac. Il ne sert Ă  rien. D’ailleurs tout le monde l’a ». Chaque annĂ©e, cette idĂ©e revient dans les mĂ©dias, minimisant l’intĂ©rĂŞt de cet examen. Chaque annĂ©e, certains mĂ©dias glosent sur un taux de rĂ©ussite qui dĂ©passe 80%. Est-ce Ă  dire que le diplĂ´me est donnĂ© Ă  tous ?


A vrai dire, le taux de succès au bac a toujours Ă©tĂ© Ă©levĂ©. Cela tient Ă  deux raisons. La première c’est que cet examen sanctionne un niveau moyen de fin d’Ă©tude. Ce n’est pas un concours. On peut attendre du système Ă©ducatif qu’il assure 80% de rĂ©ussite comme il assure 90% pour les compĂ©tences en maths ou français en fin de primaire ou de collège. Ce taux est d’autant plus facile Ă  atteindre qu’en fait la sĂ©lection a lieu avant le bac. Ce taux de 80% cache le fait que seulement 66% d’une gĂ©nĂ©ration (Ă  l’exception de 2012) obtient le bac. Un jeune sur trois quitte l’Ă©cole sans le bac. Ce taux de rĂ©ussite n’est pas seulement faible. Il est stable depuis 1995 oĂą dĂ©jĂ  on atteignait 63%. Cette rĂ©alitĂ© invite Ă  redĂ©couvrir les taux habituels du bac. Ainsi on dit que 83% des garçons sont reçus contre 87% des filles. Cela cache en fait un Ă©cart beaucoup fois plus grand : 70% des filles d’une gĂ©nĂ©ration seront bachelières contre 58% des garçons.


Le bac reste un dĂ©fi pour les familles populaires. Le directeur gĂ©nĂ©ral de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, l’avait clairement signifiĂ© le 12 juin 2013. « On constate qu’il y a encore de très grandes inĂ©galitĂ©s dans notre pays dans l’accès au bac gĂ©nĂ©ral et technologique ou mĂŞme professionnel », a-t-il dit. « Trois catĂ©gories sociales dans notre pays aujourd’hui voient pour leurs enfants les chances d’obtenir le bac quel qu’il soit diminuer. Ce sont les enfants d’inactifs, d’employĂ©s de service et d’ouvriers non qualifiĂ©s ». JP Delahaye a donnĂ© des chiffres. Sur la gĂ©nĂ©ration qui est entrĂ©e en 6ème en 1995 et dont on peut suivre la scolaritĂ©, 13% des enfants d’inactifs n’ont mĂŞme pas atteint la 3ème, contre 0,4% des enfants d’enseignants. 9% des enfants d’inactifs, 13% des enfants d’ouvriers non qualifiĂ©s ont obtenu un bac gĂ©nĂ©ral contre 72% des enfants d’enseignants. « En rĂ©alitĂ© dans notre pays les Ă©carts sont en train de se creuser… et tout le travail de la refondation de l’Ă©cole est…de rĂ©duire ces Ă©carts insupportables de rĂ©ussite selon les origines sociales », a dĂ©clarĂ© JP Delahaye. « C’est important d’avoir ces chiffres en mĂ©moire… Tout le monde n’a pas le bac. Tout le monde n’entre pas en universitĂ©. On a des marges de progression importantes chez les jeunes d’origine populaire ».


Le bac sĂ©grĂ©gatif ? Mieux vaut s’appeler Augustin, Marin et Henri pour avoir le bac S. Ou Sixtine, Anouk et Capucine pour le bac ES. Pour le Bac STG, par contre, Ahmed, Amel, Nadia ou Youssef suffisent. C’est la leçon qu’afflige Baptiste Coulmont, docteur en sociologie et maĂ®tre de confĂ©rence Ă  Paris 8, au système Ă©ducatif français. « Georges Felouzis et ses collègues (JoĂ«lle Perroton notamment) ont bien analysĂ© la sĂ©grĂ©gation ethnique et le rĂ´le qu’elle joue dans la reproduction sociale : il s’est d’ailleurs appuyĂ© sur un codage des prĂ©noms pour repĂ©rer l’ethnicitĂ© revendiquĂ©e par les parents. Ils s’intĂ©ressaient aux collèges, mais les sĂ©ries du bac ne remettent pas a priori en cause cette sĂ©grĂ©gation ethnique et sociale », conclue-t-il.


Trop de diplĂ´mĂ©s ? Dans l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral, si on veut avoir par exemple une Ă©conomie plus compĂ©titive, on devrait plutĂ´t s’inquiĂ©ter de la faiblesse de ces taux. Mais il y a une explication Ă  cette attitude malthusienne. Ce qui dĂ©frise dans un fort taux de rĂ©ussite au bac c’est quand mĂŞme que certains qui n’y arrivaient pas y arrivent. Or on sait bien que statistiquement on a d’autant plus de chances de rĂ©ussir le bac que l’on est issu d’un milieu favorisĂ©. L’Ă©lĂ©vation du taux de rĂ©ussite au bac renvoie Ă  sa dĂ©mocratisation. Ce n’est pas tolĂ©rable pour tout le monde… Ceux qui critiquent le bac rĂŞvent d’un examen d’entrĂ©e en universitĂ© qui garantirait Ă  leurs enfants, seuls capables dĂ©jĂ  de payer les frais d’examen, le monopole des Ă©tudes supĂ©rieures.


La France a-t-elle davantage de bacheliers que ses voisins ? Dans tous les pays de l’Union europĂ©enne, un document certifie la fin de l’enseignement secondaire Selon les statistiques de l’Unesco, le taux brut de diplĂ´mĂ©s de fin du secondaire s’Ă©tablit Ă  51% en France contre 92% en Finlande, 73% aux Etats-Unis, 74% en Italie. Le taux brut de diplĂ´mĂ©s du supĂ©rieur est Ă  38% en France contre 62% aux Etats-Unis, 74% en Finlande, 55% en Italie.


Faut-il rĂ©former le bac ? Les mĂŞmes critiques font campagne pour une rĂ©forme du bac. A vrai dire ils ont des arguments. Le bac est une machine colossale et couteuse. Or quelques Ă©preuves seulement sont prĂ©dictives du rĂ©sultat pour 90% des candidats. Le dĂ©putĂ© UMP Apparu, dans son projet de rĂ©forme du lycĂ©e, avait demandĂ© une simplification du bac. 4 disciplines seulement resteraient matière Ă  contrĂ´le final. Si elle apparaĂ®t logique, la rĂ©forme proposĂ©e semble surtout susceptible d’augmenter l’injustice. En effet on sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac Ă©tait passĂ© au contrĂ´le continu les rĂ©sultats finaux seraient largement diffĂ©rents. Le fait qu’au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires. R Apparu ne demande d’ailleurs pas de contrĂ´le continu mais un CCF oĂą les Ă©lèves seraient notĂ©s par un professeur qui ne serait pas son professeur.


Mais pour bien estimer si le bac a de la valeur, voyons ce qu’il coĂ»te Ă  celui qui ne l’a pas. Si en France personne ne s’est attachĂ© Ă  ce calcul, le caractère pragmatique des Anglo-Saxons nous permet de trouver plusieurs Ă©tudes en ce sens. La plus rĂ©cente provient de l’Alliance for Excellent Education (AEE) , une association charitable qui milite pour la scolarisation. Pour elle « tout le monde bĂ©nĂ©ficie des progrès de qualification ». Elle a pu calculer la diffĂ©rence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299) et partant de lĂ  estimer le manque Ă  gagner collectif : si tous les jeunes AmĂ©ricains de 2008 avaient poursuivi leurs Ă©tudes jusqu’au bac, ils auraient apportĂ© 319 milliards de dollars en plus Ă  l’Ă©conomie amĂ©ricaine durant leur vie. Mais puisque les diplĂ´mĂ©s vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posĂ©s, L’AEE estime Ă©galement d’autres retombĂ©es : « les Ă©conomies rĂ©gionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins Ă©duquĂ©es car il leur est plus difficile d’attirer des investissements. En mĂŞme temps elles dĂ©pensent davantage en dĂ©penses sociales ». L’AEE a pu calculer qu’en poussant tous les AmĂ©ricains jusqu’Ă  la fin des Ă©tudes secondaires, l’Etat Ă©conomiserait de 8 Ă  11 milliards chaque annĂ©e en aide sociale, 17 milliards en aide mĂ©dicale. Si le taux de sortie sans qualification des garçons baissait de seulement 5% cela reprĂ©senterait 5 milliards de dĂ©penses policières en moins.

Alors comment augmenter la part des bacheliers ? Comment faire ? Ce n’est pas Ă  Neuilly qu’on pourra l’augmenter significativement. Il faut Ă©videmment aller chercher les nouveaux bacheliers lĂ  oĂą ils sont : dans les ghettos dĂ©favorisĂ©s. Il faut que dès la maternelle, dès deux ans, il y ait un effort important de fait pour ces enfants. Or on sait que la scolarisation Ă  deux ans rĂ©gresse justement dans ces quartiers. Il faut, nous dit T Piketty, rĂ©duire le nombre d’Ă©lèves par classe significativement en ZEP. Or, lĂ  aussi, on sait que la rĂ©duction est marginale. Mieux que la prĂ©diction du rĂ©sultat Ă  partir de certaines matières, on peut dĂ©jĂ  prĂ©dire que le taux d’Ă©chec ne sera pas le mĂŞme si l’on est fils de cadre ou d’ouvrier. C’est justement cela qu’il faudrait changer.


François Jarraud

Article de B Coulmont

http://coulmont.com/blog/2013/03/30/series-de-prenoms/



Histoire : 80% d’une classe d’âge au niveau bac ?


Que veut dire 80% d’une classe d’âge au bac ? Claude Lelièvre revient sur les paroles de l’auteur de la formule, JP Chevènement. L’objectif fixĂ© par l’ancien ministre est atteint. Mais les 80% de diplĂ´mĂ©s dans une gĂ©nĂ©ration n’ont Ă©tĂ© frĂ´lĂ©s qu’une seule fois en 2012. En 2013, ce ne sera plus qu’un souvenir…


Certains soutiennent que l’on est en train d’y parvenir. D’autres affirment que cela a dĂ©jĂ  eu lieu Ă  l’horizon 2000, comme il Ă©tait prĂ©vu. La solution dĂ©pend d’abord du sens que l’on peut attribuer Ă  l’expression pourtant bien connue de « 80% d’une classe d’âge au niveau bac », qui n’est pas d’une clartĂ© Ă©vidente.

Le mieux est sans doute de s’en remettre Ă  son principal promoteur, Ă  savoir Jean-Pierre Chevènement, d’autant qu’il s’en est longuement expliquĂ© (avec des attendus quelque peu surprenants d’ailleurs) lors de son audition par la Commission ThĂ©lot le 28 janvier 2004. « L’objectif que je me suis donnĂ© a Ă©tĂ© d’amener une plus forte proportion de jeunes Ă  poursuivre leurs Ă©tudes. La formulation que j’en ai donnĂ©e n’Ă©tait pas excellente, car elle a introduit beaucoup de confusions. 80% au niveau du bac, ça n’Ă©tait pas 80% au bac. Or j’observe que mĂŞme Claude Allègre, qui Ă©tait le conseiller de Lionel Jospin avant d’ĂŞtre ministre de l’Education nationale, fait cette confusion et croit que j’ai donnĂ© cet objectif. Non, j’ai dit 80% au niveau du bac. J’y suis souvent revenu par la suite, mais sans me faire vraiment comprendre parce que « au niveau du bac », c’est quelque chose que les gens ne comprennent pas. Cela veut dire en fait Ă  18 ans en terminale, et puis, rĂ©ussisse qui pourra. Je n’Ă©tais pas partisan de l’abaissement des critères d’exigence au niveau du baccalaurĂ©at, mais je constate que mes successeurs, ou plus exactement l’administration, peut-ĂŞtre avec leur aval, inconsciemment peut-ĂŞtre, a assoupli constamment le niveau d’exigence, de sorte que le bac a Ă©tĂ© donnĂ© non plus Ă  50% de ceux qui s’y prĂ©sentaient mais progressivement Ă  60-70%, peut-ĂŞtre mĂŞme davantage. Donc on a assistĂ© Ă  un phĂ©nomène curieux, c’est qu’Ă  la fois il y a eu un flot croissant de jeunes qui, comme je le souhaitais, poursuivaient leurs Ă©tudes, et en mĂŞme temps le bac a Ă©tĂ© octroyĂ© plus gĂ©nĂ©reusement. Donc il y a eu un tĂ©lescopage, que j’ai observĂ©. Je m’en suis dĂ©solĂ© parce que je crois que c’est une confusion qui s’est introduite dans l’esprit de ceux qui Ă©taient les gestionnaires du système Ă©ducatif »


Et dès l’an 2000, il y a bien eu (comme l’avait envisagĂ© Jean-Pierre Chevènement) 80% d’une classe d’âge « au niveau bac » (le taux de reçus au bac atteignant -par ailleurs- lui aussi 80% cette annĂ©e lĂ , un taux inimaginable pour Jean-Pierre Chevènement).


Claude Lelièvre


Claude Lelièvre est un historien de l’Ă©ducation.


Le baccalauréat, le numérique et Internet


Particulièrement craint, admirĂ©, redoutĂ© aussi bien des Ă©lèves, des enseignants, des parents, mais aussi des ministres, le baccalaurĂ©at est « intouchable » ! Un texte rĂ©cent sur la fraude aux examens et en particulier au baccalaurĂ©at montre bien qu’il s’agit d’un exercice que l’on peut qualifier de « canonique » tant chaque vellĂ©itĂ© d’en transformer tel ou tel aspect semble un sujet Ă  grave discorde. On ne rappellera pas les rĂ©centes querelles, on signalera simplement que la refondation de l’Ă©cole Ă  simplement Ă©vitĂ© d’aborder la question, comme si le pilier central de la fondation Ă©tait posĂ© lĂ , immuable… Or arrive un nouveau contexte qui interroge la pertinence de cet examen et de sa forme de passation dont le modèle ne peut qu’ĂŞtre mis en cause compte tenu du contexte social, Ă©ducatif et technologique actuel en regard d’un examen issu de l’Ă©poque napolĂ©onienne.

Signalons d’abord qu’il n’y a pas un baccalaurĂ©at, mais plusieurs. Quand on parle du bac, on parle surtout de celui des sĂ©rie « classiques », S, L et ES (antĂ©rieurement A B C D…. Mais il y aussi les autres sections, technologiques et professionnelles qui depuis longtemps ont ouvert Ă  de nouvelles formes. Mais le baccalaurĂ©at classique, lui, semble rester figĂ©. En rĂ©alitĂ© ce n’est pas tout Ă  fait le cas, mais les rĂ©centes tentatives de modification de l’Ă©preuve d’histoire gĂ©ographie pour la section S ont montrĂ© qu’il y avait eu des changements mais qu’il y avait encore de nombreux freins. Rappelons ici les Ă©preuves anticipĂ©es, les Ă©preuves expĂ©rimentales (physiques) les options (dont math et informatique en 1ère L, bizarrement supprimĂ©e il y a deux ans) et bien sĂ»r l’Ă©preuve anticipĂ©e de français, la plus ancienne (puisque mise en place après 1968). Rappelons aussi l’arrivĂ©e de la calculatrice en lieu et place de la règle Ă  calculer et des tables de logarithmes. Si Ă©volution il y a c’est en bordure de ce qu’il convient d’appeler « le grand titre initiatique français des Ă©lites ».


Or ce rite souffre du numĂ©rique et d’Internet. D’abord par le copier coller et la communication qu’il facilite, Ă  l’insu mĂŞme de surveillants confrontĂ©s Ă  la multiplication des terminaux portables connectĂ©s. Ensuite parce que l’usage d’Internet et du numĂ©rique va Ă  l’encontre de la forme d’apprentissage sous jacente aux Ă©preuves traditionnelles fondĂ©es surtout sur la mĂ©morisation et la restitution Ă©crite papier. Nombre de sujet, mĂŞme de matières non concernĂ©es, ont vu inscrit en en-tĂŞte cette phrase magique : « calculatrice interdite ». Enfin parce que le rapport aux savoirs et la maĂ®trise de ses usages ne se mesure pas en quelques jours en fin de scolaritĂ© sur la base d’Ă©preuves sommaires (par sondage) qui ne rendent pas compte de ce que sait l’Ă©lève, mais, et encore cela mĂ©riterait vĂ©rification, le « niveau » de celui-ci en regard des exigences de la nation.


Ainsi le cĂ´tĂ© mythique des examens de certification en France, le baccalaurĂ©at en particulier, l’emporte sur la nĂ©cessitĂ© de concevoir de nouvelles manières de penser ce qu’est un Ă©lève « bien formé » Ă  18 ans (âge habituel de passage de l’Ă©preuve) et disponible pour une suite d’Ă©tude. Or les usages importants du numĂ©rique dans la vie quotidienne et les incitations rĂ©pĂ©tĂ©es des politiques Ă  l’Ă©gard de l’introduction des TIC en Ă©ducation ne sont que peu prises en compte (hormis pour quelques Ă©preuves dans des disciplines spĂ©cifiques) dans ces Ă©preuves « terminales ». Dans la circulaire d’avril 2012 sur la prĂ©paration des examens il est Ă©crit « L’incident sans prĂ©cĂ©dent qui a entachĂ© la session 2011 du baccalaurĂ©at a fait apparaĂ®tre que des risques nouveaux remettaient en cause les prĂ©cautions traditionnellement prises pour assurer la sĂ©curitĂ© de l’examen ; ces risques rĂ©sultent, en particulier, des moyens techniques et des rĂ©seaux de communication dĂ©veloppĂ©s ces dernières annĂ©es. » On constate, dans le compte rendu des Ă©preuves de 2012 que « L’utilisation des nouvelles technologies (smartphones, calculatrices, oreillette, MP3, montre tĂ©lĂ©phone) pour 166 candidats sur les 419. » est Ă  l’origine des fraudes sanctionnĂ©es. » Ceci amène le ministère Ă  installer de plus en plus de dĂ©tecteurs de tĂ©lĂ©phones portables dans les centres d’examen.


On peut penser que l’Ă©volution des pratiques doit ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme un indicateur : celui de certaines formes d’Ă©valuation, directement issues de certaines formes d’enseignement, en particulier celles basĂ©es sur le cumulatif, le magistral, l’individuel, la mĂ©morisation. Cela va probablement prendre du temps. Cependant il existe depuis longtemps d’autres formes d’Ă©valuation, en particulier en cours d’apprentissage et basĂ©es, non pas sur l’actuel CCF, mais bien davantage sur l’accompagnement de ceux qui apprennent. Mais ces modalitĂ©s d’Ă©valuation sont souvent suspectĂ©es d’ĂŞtre insuffisamment prĂ©cises et objectives. Chacun le sait la note n’a d’objectif que le symbole qu’elle reprĂ©sente : celui d’une dĂ©cision prise par un ou plusieurs individus dont les fondements sont souvent discutables et alĂ©atoires comme l’a montrĂ© la docimologie depuis longtemps. De plus, dès lors que le numĂ©rique entre en scène, les nouvelles pratiques peuvent devenir inquiĂ©tante par la lourdeur des dispositifs, comme le B2i, le socle commun, le portfolio numĂ©rique l’ont illustrĂ© chacun Ă  leur manière.


Car ce qui caractĂ©rise les examens traditionnels et le baccalaurĂ©at c’est l’industrialisation de l’Ă©preuve dans une perspective Ă©galitariste (rappelons que l’Ă©galitĂ© est censĂ©e ĂŞtre au coeur des processus d’Ă©valuation actuelle). Cela s’oppose aux formes plus individualisĂ©es et suspectes, dans l’exactitude, sur le plan de l’Ă©galitĂ© des chances. L’exemple de l’apprentissage en alternance est une illustration frĂ©quente de ce dilemme (ceux qui le connaissent de l’intĂ©rieur le vivent souvent). L’arrivĂ©e du numĂ©rique pourrait apporter dans ce sens sa capacitĂ© Ă  gĂ©rer des systèmes questions rĂ©ponses de manière automatisĂ©e. Il faudrait alors transformer l’Ă©preuve en un vaste questionnaire Ă  choix multiple intelligent, comme par exemple la mĂ©decine l’a mis en place pour la sĂ©lection de fin de première annĂ©e depuis de nombreuses annĂ©es. On aurait lĂ  l’apport industriel du numĂ©rique.


Mais ce qui trouble le dĂ©bat, c’est que les objets numĂ©riques, matĂ©riels, logiciels, documents, sont peu « contrĂ´lable » et que le principe mĂŞme de l’examen du baccalaurĂ©at, c’est le « contrĂ´le des connaissances« . La multiplication des smartphones connectĂ©s Ă  Internet dĂ©cuple les possibilitĂ©s de contourner ce contrĂ´le et cela risque de tenter des candidats, d’oĂą les injonctions ministĂ©rielles. Certains pays, certains lieux d’enseignement essaient l’autorisation, voire l’obligation de l’accès Ă  Internet pour la vĂ©rification des connaissances. Cela transforme radicalement la nature des Ă©preuves Ă  dĂ©faut de modifier la structure fondamentale de l’examen (qui souvent disparait). A cotĂ© du risque qu’il y a Ă  ouvrir cet accès avec l’Ă©cueil du copier coller, il y a aussi l’Ă©cueil de l’aide Ă  distance par un tiers. D’un cotĂ© c’est le contenu qui est mis en cause, de l’autre c’est le fait qu’il faut Ă©valuer le candidat sĂ©parĂ©ment des autres. Deux paramètres principaux sont mis Ă  mal. Imaginer que le numĂ©rique puisse entrer dans une Ă©preuve telle que le baccalaurĂ©at pourrait se faire en levant la première barrière (tĂŞte bien faite plutĂ´t que tĂŞte bien pleine)et en construisant des Ă©preuves avec document. Pour la deuxième, c’est l’idĂ©e de l’Ă©valuation impossible du travail collaboratif. On a tous du mal Ă  imaginer comment Ă©valuer l’individu s’il n’est pas seul. Or la vie quotidienne, personnelle et professionnelle, est une vie en groupe, en sociĂ©tĂ©. Nombre d’activitĂ©s se dĂ©veloppent de manière collaborative (nos ancĂŞtres chassaient et cultivaient ainsi dans des systèmes d’entr’aime). L’exemple des TPE illustre bien cette difficultĂ©. Avec les outils numĂ©riques, le travail collaboratif et collectif revient de plus en plus souvent sur le devant de la scène. Comment imaginer une Ă©preuve collective, collaborative dans le contexte actuel ?


Si pour l’instant la forme des examens scolaires est restĂ©e la plupart du temps fondĂ©e sur le mĂŞme principe, l’Ă©difice ne cesse de s’effriter depuis près de quarante annĂ©es (rappelons ici la crĂ©ation des Bac pro). Les moyens numĂ©riques ouvrent de nouvelles brèches dans cette orthodoxie de l’Ă©valuation terminale, solitaire et basĂ©e principalement sur un sondage dans les connaissances Ă©tudiĂ©es et mĂ©morisĂ©es. Ce n’est probablement pas l’Ă©preuve qu’il faut modifier dans sa forme, c’est l’ensemble du processus Ă©valuatif en lien avec les modalitĂ©s d’enseignements qui y sont rattachĂ©es qu’il convient d’examiner et de faire Ă©voluer. L’ampleur du chantier peut rebuter plus d’un ministre. Mais il reste un pilier fort de nos sociĂ©tĂ©s occidentales contemporaines qui freine ces Ă©volutions : c’est l’idĂ©e centrale de « rĂ©ussite individuelle ». De l’Ă©litisme rĂ©publicain au libĂ©ralisme total, c’est l’individu qui prime. Le baccalaurĂ©at, dans sa forme mythique illustre bien cette idĂ©e. Les pratiques numĂ©riques rĂ©vèlent une autre vision des choses, (illustrĂ© par les mythes fondateurs du rĂ©seau) davantage centrĂ©es sur le partage et la communautĂ©. Cette opposition thĂ©orique se traduit dans la rĂ©alitĂ© par une tension que l’on perçoit comme en Ă©volution. Pour l’instant le système est suffisamment en place pour ne pas laisser passer une forme de dĂ©rive. Pourtant le travail menĂ©, en particulier dans l’enseignement supĂ©rieur, sur les modes d’Ă©valuation pourrait bien, Ă  terme, rejaillir sur le sacro-saint baccalaurĂ©at classique : porte d’entrĂ©e « magique » pour la poursuite des Ă©tudes.


Bruno Devauchelle


Les chroniques de Bruno Devauchelle

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2012_BDevauchelle.aspx



La nouveautĂ© de 2014 : Et on pourra passer le bac Ă  distance…


PubliĂ© au Journal officiel du 11 mars, un dĂ©cret a ouvert la possibilitĂ© de tenir Ă  distance, au moyen d’outils de communication audiovisuelle, des Ă©preuves, ou parties d’Ă©preuve, du baccalaurĂ©at gĂ©nĂ©ral, technologique et professionnel. Cette possibilitĂ© est aussi ouverte aux membres de jurys lors de la tenue des rĂ©unions de dĂ©libĂ©ration dans le cadre de cet examen.


Pour le ministère, « cette nouvelle mesure permet de rĂ©pondre aux besoins spĂ©cifiques de certains candidats en raison notamment de leur handicap, hospitalisation, incarcĂ©ration ou de leur situation gĂ©ographique ». L’examen Ă  distance pourrait donc ĂŞtre proposĂ© pour les candidats qui ne peuvent se dĂ©placer mais aussi pour les candidats isolĂ©s. On peut imaginer par exemple que des Ă©preuves de langues rares puissent ĂŞtre rĂ©alisĂ©es ainsi, les Ă©lèves Ă©tant regroupĂ©s dans une salle de leur Ă©tablissement. La mesure devrait faciliter la vie des candidats mais aussi rĂ©duire le coĂ»t des examens en limitant les frais de dĂ©placement. Cet aspect lĂ , qui n’est pas citĂ©, n’est sans doute pas pour rien dans la mesure…


« Dans le cadre des compĂ©tences qui lui sont confiĂ©es en matière d’organisation du baccalaurĂ©at, le recteur d’acadĂ©mie sera chargĂ© de dĂ©terminer les candidats concernĂ©s, ainsi que les Ă©preuves pour lesquelles seront mises en place ces nouvelles modalitĂ©s techniques », prĂ©cise le communiquĂ© ministĂ©riel. « Il veillera Ă©galement au maintien du principe d’Ă©galitĂ© entre les candidats, et s’assurera de la qualitĂ©, de la sĂ©curitĂ© et de la confidentialitĂ© des Ă©changes ».


Les épreuves à distance très encadrées


Une note de service publiĂ©e le 1er mai dĂ©finit les circonstances et les types d’Ă©preuves qui peuvent ĂŞtre passĂ©e Ă  distance au baccalaurĂ©at. Le texte limite ces dispositif Ă  certaines catĂ©gories d’Ă©preuves  » justifiĂ©es par des circonstances particulières ».


Les circonstances qui justifient le recours aux moyens de communication audiovisuelle sont limitĂ©es. « Cette technique peut ĂŞtre dĂ©cidĂ© par le recteur d’acadĂ©mie lorsque les candidats handicapĂ©s, hospitalisĂ©s ou dĂ©tenus ne peuvent se dĂ©placer jusqu’au centre d’Ă©preuves ; lorsque l’Ă©loignement de leur rĂ©sidence rend difficile le dĂ©placement des candidats jusqu’au centre d’Ă©preuves ; lorsque l’acadĂ©mie ne compte qu’un faible nombre de candidats dans la discipline ; lorsque l’acadĂ©mie ne dispose pas d’un nombre suffisant d’examinateurs dans la discipline… L’organisation d’Ă©preuves ou de parties d’Ă©preuve par des moyens de communication audiovisuelle peut ainsi concerner la totalitĂ© des candidats ou seulement une partie d’entre eux ».


Au BO

http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=78989

Au JO

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000[…]

Et l’arrĂŞtĂ©

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000[…]

Communiqué du ministère.

http://www.education.gouv.fr/cid77605/baccalaureat-2014-de-nouvel[…]


Les lycéens veulent un autre bac


Selon l’UNL, 41 700 lycĂ©ens ont signĂ© une pĂ©tition demandant un autre bac. « L’UNL revendique un Ă©talement semestriel des Ă©preuves qui permet le droit Ă  l’erreur ainsi que l’élaboration de sujets mettant en valeur la validation des compĂ©tences », dĂ©clare l’organsiation lycĂ©enne. « En signant la pĂ©tition de l’UNL, ces milliers de lycĂ©ens expriment leur volontĂ© de changer en profondeur le bac alors mĂŞme qu’aucun ministre de l’Éducation n’en a eu le courage pour l’instant ».


L’UNL demande aussi une autre orientation. « L’orientation est dĂ©terminante pour l’avenir des lycĂ©ens. Pour autant, ils la subissent souvent. Le conseil de classe de 3ème dĂ©cide en fonction du niveau l’avenir des Ă©lèves, sans prise en compte de leurs aspirations. L’UNL constate que l’orientation subie est l’une des causes des 150.000 sorties du système Ă©ducatif sans aucun diplĂ´me. C’est aux lycĂ©ens seuls de choisir leur orientation ! »

.

Jusque lĂ , les tentatives de modifier le bac ont Ă©tĂ© dĂ©sastreuses pour les ministres. Le 6 juin, V Peillon a annoncĂ© en termes prudents une Ă©ventuelle transformation du bac. »On aura Ă  faire Ă©voluer le bac », a-t-il dit, « Il n’est pas gravĂ© dans le marbre ». Le ministre a Ă©voquĂ© son allègement et le passage de certaines Ă©preuves au contrĂ´le continu. InterrogĂ© par le CafĂ© sur l’hypothèse d’une rĂ©duction du nombre d’Ă©preuves, V Peillon a rĂ©pondu qu’il « y en a beaucoup et de plus en plus ». Mais, « il faut une concertation avec les uns et les autres »…


Communiqué

http://www.unl-fr.org/communiques-social/41-700-lyceens-mettent-z[…]

Peillon le 6 juin

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/06/07062013Art[…]



Comment passe-t-on le bac ailleurs ?


Quelle épreuve attend les élèves à la fin de l’enseignement secondaire général en Europe ? Dans tous les pays de l’Union européenne un certificat est délivré aux étudiants qui terminent l’enseignement secondaire supérieur général et qui ont satisfait aux exigences requises.


Dans de nombreux pays, l’obtention du certificat est liée à la fois aux résultats de l’épreuve finale et au travail de la (des) dernière(s) année(s).En Espagne et en Suède, le certificat est délivré uniquement sur la base de l’évaluation continue de la (ou des) dernière(s) année(s) du secondaire. Dans la majorité des pays, l’épreuve finale est composée de deux parties, l’une écrite, l’autre orale. Mais en Grèce, à Chypre, en Lituanie, au Portugal, en Finlande, en Bulgarie, elle est exclusivement écrite. A ce niveau d’enseignement, l’épreuve écrite est très fréquemment mise au point par un organe externe à l’établissement. En Belgique, en Islande, en République tchèque et en Slovaquie, cependant, l’épreuve finale écrite est réalisée par un enseignant ou une équipe d’enseignants de l’établissement. En Autriche, le président de la commission d’examen choisit les questions à poser parmi celles rédigées par les enseignants de l’établissement. En Grèce et au Portugal, les étudiants sont soumis à deux épreuves écrites, l’une interne et l’autre externe.


Selon le pays, la note finale est attribuée soit par un jury ou par des personnes extérieures à l’établissement, soit par les enseignants de l’établissement qui décident de la note attribuée et de la délivrance du certificat. En Finlande, pour l’obtention du certificat basé sur l’épreuve externe écrite (matriculation examination), l’évaluation est d’abord menée par les enseignants puis par un organe externe, le Matriculation Examination Board. Au Luxembourg et dans la majorité des nouveaux Etats membres, les examinateurs externes attribuent la note finale en tenant compte des résultats obtenus à l’épreuve externe et du travail de l’année. Enfin, au Danemark, en Allemagne et en Norvège, le certificat mentionne à la fois les notes obtenues à l’épreuve finale (pour les matières présentées) et les résultats du travail de l’année ou des dernières années (pour les autres matières ou pour toutes les matières). Aux Pays-Bas, la note finale est la moyenne des résultats obtenus aux deux épreuves, interne et externe. En Estonie, les épreuves externes sont corrigées par les examinateurs externes. En Lettonie et en Lituanie, des examinateurs externes établissent la note pour les matières évaluées lors des examens centralisés et, pour les autres matières, les enseignants corrigent les épreuves sur la base de critères établis par un organe externe


Dans tous les pays européens, les filles sont plus nombreuses que les garçons à se voir délivrer un diplôme de l’enseignement secondaire général : le rapport moyen est de 139 diplômées pour 100 diplômés.


Plus de 76 % des jeunes europĂ©ens de 20 Ă  24 ans ont achevĂ© avec succès l’enseignement secondaire. Le pourcentage est encore plus Ă©levĂ© dans les nouveaux États membres: il reprĂ©sente 87 % de cette classe d’âge. La situation au sein de l’Europe est assez homogène. En effet, seuls trois pays enregistrent un taux infĂ©rieur Ă  60 % (Malte, Portugal et Islande) et trois pays ont un taux supĂ©rieur ou Ă©gal Ă  90 % (RĂ©publique tchèque, SlovĂ©nie et Slovaquie). Mais 35% des jeunes n’a pas un diplĂ´me suffisant pour accĂ©der Ă  l’enseignement supĂ©rieur. L’Estonie, Chypre, l’Autriche, la Finlande, la Suède et la Norvège enregistrent la proportion la plus faible. A contrario, au Luxembourg, Ă  Malte, au Portugal et en Islande, la proportion des 20-24 ans n’ayant pas le niveau de qualification requis pour intĂ©grer directement l’enseignement supĂ©rieur dĂ©passe 55 %.


François Jarraud

Sur le site du Café