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La diversité des projets présentés au Forum des enseignants innovants 2014 témoigne de sa richesse. De la maternelle au lycée, à travers toutes les matières voire par-delà les disciplines, avec ou sans les nouvelles technologies, les professeurs présents ont pu partager des expériences variées, découvrir des préoccupations communes à différents endroits du système éducatif ou explorer de nouveaux horizons pour nourrir leurs pratiques et réflexions. Quel point commun alors ? Sans aucun doute la passion de transmettre et d‘inventer, susceptible de se transmuer chez les élèves eux-mêmes en bonheur d’apprendre et en capacité à innover. Quelle leçon générale aussi ? Assurément la preuve, s‘il en était besoin, que ce que le numérique renouvelle, c’est, plus encore que les outils et les usages, la culture elle-même : il est porteur de nouvelles valeurs (innovation, créativité, collaboration, communication…), à ce point prégnantes qu’il n’est même pas besoin de la technologie pour les faire vivre. En témoigne ce parcours (non exhaustif) à travers les projets présentés au Forum de Bordeaux : en réinventant la façon dont l’élève se construit comme sujet d’une appropriation du monde, ils tracent pour l’Education nationale bien des chemins nouveaux.

Explorations

Pour une partie des enseignants présents au Forum, l’innovation passe bien entendu par les TICE. Ces professeurs se font volontiers inventeurs : ils explorent de nouveaux outils susceptibles de stimuler, enrichir ou individualiser les apprentissages, ils amènent souvent leurs élèves à devenir eux-mêmes explorateurs. Professeur de maths à Miramas, Francis Loret a ainsi invité ses élèves à utiliser un simulateur en ligne pour accomplir virtuellement la course autour du monde à la voile appelée Trophée Jules Verne : « l’objectif du projet a été de réaliser un programme automate apte à skipper le bateau virtuel sur l’ensemble du parcours, et de lui permettre de battre ce record sans intervention extérieure. Sur plus de 200 000 tentatives, le bateau virtuel géré par nos élèves a fait partie des 79 bateaux dans le monde qui ont réussi à battre ce record : partir de la mer et décrocher la lune ! »

Les tablettes numériques s’introduisent dans les classes. A l’école Van Gogh, à Leyr, les élèves de Kadriye Lemoine Cikmazkara créent des livres numériques sonores avec des tablettes tactiles qui deviennent des outils non seulement de consultation, mais d’élaboration de contenus : « Lorsque l’élève produit, il apprend, souligne-t-elle Le travail des élèves est valorisé et mutualisé. Ils se sentent en réussite, développent leur autonomie, travaillent avec enthousiasme. » Au lycée des Métiers Charles Stoessel, à Mulhouse, Franck Morel utilise les tablettes numériques en EPS pour aider les élèves à progresser : la captation vidéo leur permet d’analyser leur propre pratique, l’outil favorise un guidage didactique qui permet de travailler avec plus de finesse et d’efficacité sur les compétences à développer. Au lycée français de Castilla y León, à Valladolid, François Perocheau utilise les tablettes en école maternelle pour réaliser des « albums écho » numériques, débloquer la parole de l’enfant dans un contexte où le français n’est pas la première langue, ancrer les apprentissages dans le vécu de l’élève, favoriser son autonomie, lui permettre de travailler en dehors de la classe, valoriser son travail.

Des usages pédagogiques des QRcodes sont aussi explorés par plusieurs enseignants. A l’Ecole Jean Jaurès de Rilhac Rancon, les CP-CE1 d’Estelle Blay-Staub représentent l’espace de l’école sous forme de maquette en LEGO ou la banquise avec des objets du quotidien (coton, polystyrène…) : ces maquettes sont agrémentées de flashcodes, lisibles avec des tablettes, afin de montrer des travaux supplémentaires ; l’exposition sert de support à une correspondance avec d’autres classes de la même école ou d’une autre école. Comment réfléchir pédagogiquement la ville ? Les élèves de Marie-Gilberte Cadart, à Miribel, ont réalisé autour de l’espace urbain une belle exposition sonore à laquelle renvoient des flashcodes disposés aux portes du collège. Les élèves de Robert Delord, professeur de langues et cultures de l’antiquité à Die, utilisent tablettes et smartphones pour accéder, grâce à des QRcodes intégrés dans les documents de cours, à des informations multimédias déportées : l’outil permet d’individualiser et d’enrichir les apprentissages dans la classe ou encore d’inviter les élèves à introduire de la réalité augmentée dans un musée local.

Et si l’Ecole se faisait communauté d’apprentissage en utilisant les réseaux sociaux ? Au lycée des Métiers Pierre Doriole, à La Rochelle, Laurence Juin utilise le réseau Pinterest pour épingler images et vidéos : les élèves construisent, mutualisent et collaborent sur un espace virtuel commun, les ressources et productions ainsi fixées permettent au groupe de visualiser les apprentissages, de développer un écrit long ou d’interagir avec des intervenants extérieurs. A Bain-de-Bretagne, les 3èmes de Julien Cabioch présentent des maladies génétiques à travers leurs comptes Twitter : ils explorent en les diffusant les origines de ces maladies et les avancées de la recherche, échangent avec des spécialistes, des associations, des médias… Le réseau Twitter permet la collaboration entre les élèves de classe relais de Michael Nicosia à Saint-Nazaire d’une part et ceux de Monique Argoualc’h à Brest d’autre part : des échanges formateurs et stimulants se nouent autour de personnages de romans ou de questions philosophiques. Philippe Guillem, professeur des écoles à Valence, présente « Babytwit », une plate forme de micro blogue issue du monde du logiciel libre et développée par l’association AbulEdu : les enfants rédigent des messages sur la vie et les projets de la classe, échangent avec d’autres enfants ou adultes, réagissent aux informations qui sont publiées, demandent une information, collaborent autour de projets collectifs. Nicolas Olivier a choisi de mener des approches pédagogiques nouvelles dans sa classe d’éducation musicale en intégrant les nouvelles technologies (chaîne YouTube, réseaux Facebook et Twitter, tablettes et smartphones) afin de pallier le « manque d’intérêt, d’investissement, de motivation et de résultats des élèves ». Par exemple à travers l’activité interclasses « Impro de mots » : « On poste un enregistrement audio, l’autre classe doit retranscrire ce son en un tweet et on vérifie si l’écrit correspond au son. Grâce à Twitter, on mixe un peu de techno, de français, de musique. C’est un outil au service de la pédagogie, motivant pour les collégiens car il permet de diffuser leurs productions ».

Smartphones, serious games, blog, livres numériques, cloud, ENT … : des outils divers permettent de renouveler les pratiques pédagogiques. Au collège Saint Thomas d’Aquin, à Saint Jean de Luz, les 6èmes d’Olivia Assemat réalisent un jeu vidéo avec le logiciel RGP Maker pour mieux s’approprier l’Odyssée. Eric Floerke, au Lycée Théodore Leck de Guebwiller, aborde les genres narratifs en demandant à ses secondes de réaliser des vidéos avec leurs téléphones portables. Aline Gatier, au lycée agricole La Germinière du Mans, utilise les possibilités d’un blog pour réaliser un abécédaire : les élèves construisent peu à peu, d’année en année, un riche dictionnaire en ligne pour élargir leur vocabulaire, maîtriser la polysémie, s’approprier les mots qui permettent de mieux penser le monde. Christiane Dall’ava présente le projet collectif mené à Nice dans l’école Le Righi : les élèves de tous niveaux produisent une série de « Livres des Arts virtuels et interactifs », créés avec Didapages, fusionnés grâce au logiciel jdidafusion », diffusés sur clés USB, mis en ligne sur un site dédié. Au lycée Stendhal de Milan, Julien Lefèbvre a « la tête dans le cloud », et ses élèves aussi : il s’agit d’un espace en ligne qui prolonge celui de la classe pour des activités collaboratives. Christophe Cabrera, du Lycée Joliot Curie à Dammarie Les Lys, a mis en place un site communautaire d’Entraide Scolaire gratuite, principalement autour des métiers de l’électrotechnique. Au collège Gabriel Peri, à Bezons, Bruno Quintela, professeur de mathématiques, présente un logiciel créé pour évaluer les compétences et aider à individualiser le travail des élèves. Au collège Voltaire de Tarbes, les élèves de Cyril Lascassies deviennent des usagers actifs de l’ENT : ils y font leurs comptes rendus d’expériences, s’entraident et s’évaluent, progressent selon leurs différents rythmes. Svend Walter, professeur de collège à Poitiers, a créé Mobedu, une application de contenus de cours et d’exercices, multimédia et multiplateforme, susceptible d’être personnalisée par tous les enseignants qui le souhaiteraient.

Inversions

La « classe inversée » est à la mode : plusieurs enseignants sont venus à Bordeaux présenter leurs expériences en la matière. A Biscarrosse, Alexandre Balet, professeur d’histoire-géographie, met ainsi en place une interface numérique entre lui et ses élèves : un blog qui s’accompagne d’une chaine YouTube, une page Facebook permettant des échanges rapides, un compte Twitter. « La démarche consiste à inverser le concept traditionnel de l’école : leçon en classe, activités, exercices à la maison. Les élèves abordent le cours en amont et ma présence est utilisée au maximum pour les mettre en activité, les rendre acteurs de leur formation, développer l’autonomie, les aider, individualiser leur parcours de formation. » David Bouchillon, au Collège Aliénor d’Aquitaine à Salles, pratique lui aussi ce dispositif : « La classe inversée permet le développement de capacités rarement mises en œuvre (autonomie, travail en groupe, réalisation de la trace écrite) et le réinvestissement des élèves. Cela redonne du sens au métier d’enseignant et au rôle de l’élève. En bref, c’est la classe dans le bon sens. » Au collège Jean Rostand, à Montpon-Ménéstérol, Olivier Quinet, professeur d’histoire-géographie, veut de la même façon renvoyer à la maison le simple travail de copie et une partie du cours pour faire du temps de classe un vrai temps de travail où les élèves sont actifs, autonomes et construisent leurs connaissances et leur savoir-faire.

La classe inversée n’est pas l’apanage des professeurs d’histoire-géo. Au lycée Jean Monnet, à Taverny, Nicolas Olivier utilise la même démarche en SES : la production de vidéos est un moyen efficace, souligne-t-il, pour focaliser leur attention sur une notion, qu’ils peuvent travailler à leur rythme, l’enseignant vérifie en classe que la notion est assimilée et est disponible pour en approfondir certains aspects. Soledad Messiaen pratique la « flipclass » en CM1-CM2 en zone rurale à Burie et exprime le même enthousiasme : « Les élèves sont bien plus autonomes, actifs et acteurs de leurs apprentissages. Ils se sentent valorisés et cette pédagogie permet une meilleure différenciation, aussi bien vers les élèves les plus en difficulté que vers les élèves les plus brillants. Je dispose également de plus de temps en classe pour les aider à surmonter certains obstacles. »

Croisements

Pour de nombreux enseignants du Forum, innover c’est aussi rompre avec la capacité du système à enfermer chacun dans sa case : l’Ecole retrouve sa vertu émancipatrice quand elle invite à des déplacements pédagogiques, organise de stimulantes et formatrices rencontres entre ceux qui habituellement ne se croisent jamais. Dans la cité scolaire de l’Iroise à Brest, Claire Berest amène ainsi ses élèves à bâtir des ponts à l’intérieur ou vers l’extérieur de l’établissement : à travers des ateliers collaboratifs 6èmes-2ndes autour des stéréotypes de genre, des « speed dating » 2ndes-1ères-terminales autour de l’orientation, des événements culturels organisés à destination de tous les membres de la communauté éducative, les élèves se font passeurs d’expériences, de culture et de valeurs, traquent les représentations sur les sexes ou les préjugés sur les séries pour combattre les discriminations et les déterminismes, tout en développant compétences variées et estime de soi.

C’est autour d’un instrument de musuque, le BAO PAO, que Bruno Vuillemin met en relation les élèves de 3ème du collège Max Bramerie de la Force et les résidents, polyhandicapés de la Fondation John Bost : le projet a été très porteur en termes de sensibilisation à la différence et à la tolérance, il a eu un impact concret sur les représentations. A Granville, José Boussin présente un travail qui amène à se rencontrer et à collaborer des élèves de collège et d’IME dans la préparation d’une exposition autour de la « guerre de course. » A Vesoul, des liens integénérationnels se font entre les élèves de cycle 3 de l’école Pablo Picasso et les étudiants de l’IUT de Montbéliard : Christine Froté les amène à travailler ensemble pour faire découvrir le patrimoine de la ville à travers la réalisation d’une application mobile. Jean-Marie Lelong présente le vaste projet mis en œuvre au groupe scolaire de Carlepont : par exemple, un tutorat numérique est organisé entre les CM2 et les élèves de Maternelle grande Section. Dans l’école maternelle d’application de Launay, Florence Moureaux abat aussi les murs : une cloison existant entre les deux classes de Petite Section et Moyenne Section est ouverte en permanence, permettant un travail commun entre les collègues, les Atsem et les élèves. A l’école François Auboin d’Ambarès et Lagrave, Mathilde Giloire organise « une nuit à l’école » pour les élèves de CP : un temps de vie communautaire qui resserre les liens entre parents, enfants et enseignants.

Au collège Ausone, à Bazas, sous la direction d’Alexandre Martin-Gomez et Sophie Scalieri, les sixièmes ont produit un livre numérique enrichi à destination des élèves moins bons lecteurs, en difficulté de lecture, ou désireux d’appréhender la lecture différemment. A Martigues, Sandrine Bosinco met en place une relation inter-cycles peu commune : il s’agit de faire réinvestir à des Terminales CAP Vente des notions de mathématiques en les amenant à devenir « professeurs » d’élèves de primaire. Dans la région de Reims, toutes les écoles volontaires, explique Brigitte Rodriguez, peuvent relever des défis scientifiques et mathématiques : le jour de « classes en fac », les écoliers sont accueillis dans les laboratoires de l’université pour présenter les fruits de leurs travaux.

Ces croisements peuvent aussi amener à se rencontrer les disciplines elles-mêmes, qui cessent alors de n’avoir d’autres finalités qu’elles-mêmes : il s’agit bien de regarder le monde dans sa complexité, par-delà les grilles de lecture et d’emploi du temps. Au collège Jacques-Yves Cousteau, à Creutzwald, Adrien Guinemer témoigne d’un croisement mathématiques – allemand – arts plastiques autour des notions de pavages et solides platoniciens. Isabelle Gomez rend compte d’une nouvelle organisation des enseignements mise en place au lycée professionnel Philippe Cousteau à Saint-André-de-Cubzac : le contenu didactique et disciplinaire se fait non plus par l’entrée des matières mais par des thématiques et des compétences transversales et communes aux différentes disciplines de l’enseignement général, des ateliers avec coenseignement mettent en œuvre un cycle organisé autour de 10 thématiques. Au lycée Kerichen à Brest, Jean Olivier et ses collègues croisent histoire-géographie et lettres : les travaux en français, nourris des connaissances d’histoire-géo, sont géolocalisés dans un « wiki des territoires ». A Montpellier, Michel Bourguet a lancé le projet « La racine des mots est-elle carrée ? » : des élèves de lycée et des étudiants de licence décernent un prix littéraire à une œuvre mêlant récit et mathématiques pour explorer et démontrer les liens forts qui unissent les disciplines.

Détours

Les chemins du savoir peuvent être sinueux et plusieurs enseignants témoignent à nouveau de la vertu des détours pédagogiques. Dans son collège Eclair à Sarcelles, Thomas Iyer veut faire des maths un objet de curiosité : cela passe par des « images », des « diversions » transitoires qui peuvent prendre la forme d’un dessin, de quelques explications à l’oral, d’un problème théâtralisé, de jeux littéraires, d’ateliers Rubik’s cube … Alain Roblin, enseignant RASED à Villebois-Montbron, présente le Jeu des fourmis : une activité ludique qui permet aux élèves de progresser en calcul mental, de mieux comprendre le sens de l’addition et de la soustraction. Pierre Cassar, à Saint-Genis-Laval, utilise la science-fiction comme outil pour questionner le réel en Sciences et y apporter des réponses, permettre aux élèves d’en mesurer les limites en créant eux-mêmes des fictions scientifiques, construire des savoirs et savoir-faire en histoire, sciences et français. Daniel Gostain, enseignant en école élémentaire à Paris, se fait clown pour aborder et traiter les empêchements à apprendre : dans chaque scène, les clowns sont confrontés à un empêchement, ce qui permet l’identification par les élèves.

Collaborations

Les pratiques scolaires restent fondamentalement individualistes, de même que les modes d’évaluation. Développer la capacité à travailler en équipe un objectif de nombreux projets présentés au Forum. Dans la cité scolaire Jean Baptiste Darnet à Saint Yrieix La Perche, Jérôme Staub, professeur d’histoire-géographie, utilise tablettes et QRcodes pour reconfigurer le travail, notamment en classe, organisée en îlots. « Les activités peuvent être variées, explique Jérôme Staub, autour de différentes thématiques avec des appellations récurrentes. Pour chaque chapitre, différentes possibilités de travaux collaboratifs peuvent être proposées, souvent sous forme de tâches complexes : « je découvre… », « je me documente… », « je joue… », « je fabrique… », « je suis un autre… ». Au collège Jean Lachenal à Faverges, Cécile Besnier organise des ateliers à destination des élèves à haut potentiel : debriefing émotionnel, bilan hebdomadaire, conseils de méthodologie adaptée à leur fonctionnement cognitif, travaux en groupe (création musicale, webradio). Au Collège Jacques Prévert à Bourg, l’option Découverte des média animée par Marlène Partyka amène les élèves à travailler en synergie pour rédiger un journal, tenir un blog, produire des romans-photos … sur des thèmes tels que l’alcoolisation des adolescents, le harcèlement, les usages responsables d’Internet. Dans l’école maternelle Grands Pêchers à Montreuil, Lucie Cabaret organise ateliers exploratoires, confrontations collectives à des situations problèmes, interactions variées entre pairs… pour favoriser sociabilité, curiosité, acquisition du langage.

Communication

Diffuser les connaissances pour mieux se les approprier, (re)construire une image positive de soi ou de son établissement : plusieurs projets montrent les intérêts de mettre les élèves en activité de communication. Au collège Daniel Argote, à Orthez, l’équipe d’enseignants a lancé Radio Argote : une émission hebdomadaire entièrement conçue par les élèves et diffusée en direct chaque vendredi dans l’enceinte de l’établissement et en dehors. Le travail mené développe de nombreuses compétences chez les élèves, il fédère toute la communauté scolaire sur un projet valorisant. A Limoges, Ahmed Boufenghour a lancé une expérience de prix littéraire en primaire : sept écoles du quartier du Val de l’Aurence, trente-sept enseignants, et environ 800 élèves, en majorité issues de l’Education Prioritaire, se sont lancés dans l’aventure jusqu’à intégrer officiellement le Salon du livre de la ville. Christian Cardon présente le festival Jean Aicard : la poésie sous toutes ses formes, dessinée, chantée, lue, dite ou récitée sur scène et sur les places du village est au centre du dispositif, et notamment le SLAM ; le festival permet de confronter et de finaliser par des rencontres dites joutes poétiques un travail de l’année de 18 classes venues de différentes circonscriptions du département, avec cette année une ouverture à deux classes de collège, et un thème commun : la morale laïque. Marjorie Lévêque et Héloïse Hembert présentent le projet « Yearbook » du Collège De Vinci à Carvin : les élèves conçoivent, éditent, publient et diffusent depuis cinq ans, en fin d’année, un « livre de l’année » de 40 à 80 pages en couleurs qui retrace toute la vie de l’établissement, montre ses spécificités, affiche ses réussites, ses personnels, ses élèves, avec une photographie originale de chaque classe, l’agenda des événements…

Créativité

Bien des enseignants présents au Forum confrontent leurs élèves à des tâches complexes pour développer par la créativité compétences et connaissances, pour favoriser par cette confrontation leur capacité à créer, inventer, imaginer. Pierre Clot présente le projet « Ecrivains reporters en herbe » mené dans 7 écoles du Tarn : 11 classes de cycle 3 réalisent des reportages photos qui seront accompagnés de textes littéraires à la manière du recueil Dernières nouvelles du Sud de Luis Sepúlveda et de Daniel Mordzinski, les productions donneront lieu à une exposition itinérante et seront publiées dans un livret. A l’école Molière de Casablanca, Pascal Jousse a mis en activité sa classe de CM2 pour qu’ils écrivent, interprètent, réalisent « Scènes de classe », un court métrage qui est le fruit d’un travail sur des notions de civisme et de philosophie. A l’école primaire du lycée français de Stockholm, Anne Rougnaux a mené un projet autour de « Pierre et le loup » : les CE1 ont écrit l’histoire uniquement à partir de la musique, illustré chacun des épisodes, se sont enregistrés, ont réalisé la jaquette des DVD produits …

Dans le secondaire aussi, la créativité est sans limites. Au collège Picasso de Vallauris, les élèves de SEGPA de Véronique Ramo-Gomme ont conçu et réalisé différentes productions sur le thème des discriminations : pièces de théâtre, affiches, bandes dessinées. Au Collège George Sand, Magnanville, les élèves de Clelia Alberi-Laborderie écrivent et représentent des pièces de théâtre. Au collège Pierre Fouché d’Ille sur Têt, Mick Miel anime un atelier de pratique artistique cinéma qui débouche sur la réalisation de films valorisant les cultures et le patrimoine local. Au collège Victor Hugo à Tarbes, Karine Barrière, professeure d’anglais, conduit ses 3èmes à créer leur propre film d’animation inspiré d’un roman autobiographique. Gaëtan Guironnet a lancé les élèves dans un pari fou : reconstruire numériquement le château disparu de Saint-Cloud. A travers cette œuvre multimédia in fine présentée en public, il s’agit de créer une culture tout à la fois numérique, historique et artistique. Catherine Mendonca Dias travaille dans une Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants à Bordeaux : les élèves, au départ non francophones, vont travailler la langue française notamment par la réalisation au Théâtre National de Bordeaux d’un spectacle mélangeant vidéo et théâtre. Au collège Jacques Brel de Vesoul, c’est le jazz qu’utilise Richard Palascak pour favoriser la progression linguistique des élèves arrivants allophones : création d’un groupe de jazz, composition de chansons, orchestration et harmonisation d’une chorale, création et expérimentation de jeux de société alliés à la musique et stimulateurs de communication réelle, enregistrement d’un album en conditions professionnelles, réalisation de clips vidéos, animation d’une émission de radio hebdomadaire, organisation de rencontres et de concerts, création de documentaires vidéos par les élèves à propos de leurs cultures et musiques d’origine,…

Ouvertures

Au bout du compte, c’est bien une mission que se donnent les enseignants présents au Forum : ouvrir l’Ecole sur le monde pour lui restituer du sens, en prolongeant les apprentissages au-delà de la classe et en confrontant les élèves aux problèmes de la vie réelle. Le projet de Murielle Ducroo ouvre l’école Maternelle Capsus d’Andernos par-delà les frontières ! Les élèves de 9 pays envoient leur mascotte dans les écoles des pays partenaires afin de découvrir ces pays, leur culture, les similitudes et différences. Les mascottes effectuent une rotation, visitant un nouveau pays chaque mois. Elles se déplacent accompagnées de leur carnet de voyage complété par chaque partenaire au fur et à mesure. Elles donnent de leurs nouvelles via Skype et le Twinspace du projet et reviendront après un périple de 9 mois dans leur école, les bras chargés de surprises et leur carnet de voyage rempli d’expériences enrichissantes à partager. A l’école Jean Moulin de Pierrefitte Nestalas, les élèves de Gérard Zava ont lancé eux aussi la mascotte de la classe, Mika, dans un tour de monde (si possible en 80 jours) « en autonomie », grâce aux blogs, courriels, réseaux sociaux. Béatrice Machefel, depuis Montévrain, cherche à favoriser le bonheur de lire à l’école maternelle : à partir de mots écrits par l’adulte, mots qui lui sont chers car représentant des personnes ou des choses qu’il affectionne particulièrement, l’enfant entre dans l’écrit petit à petit avec enthousiasme, à son rythme. A Rueil Malmaison, les CP de Malika Alouani et les habitants de la maison de retraite, échangent via Twitter autour de leurs lectures ou des événements de la vie de l’établissement.

Au collège Nelson Mandela, au Blanc-Mesnil, Loïc Szerdahelyi a monté un projet éducatif autour du sport : il comprend différents volets, notamment autour de la mixité et de la citoyenneté, et aura pour point d’orgue un voyage scolaire de 7 jours à Rio de Janeiro lors de la Coupe du Monde de Football 2014 au Brésil. Depuis le collège Paul Éluard de Gennes, Olivier Godard a lancé un concours de cartographie qui concerne les 4èmes de 10 collèges de 3 académies : il s’agit de créer des cartes de l’organisation de territoires donnés, les élèves doivent ensuite commenter et noter les cartes de leurs adversaires dans un respect mutuel… A Parsac, Nathalie Couic cherche à réconcilier les élèves avec leur environnement à travers un « atelier patrimoine » : il s’agit de reconnaître le patrimoine bâti local, d’établir une typologie du bâti et de restituer ces connaissances sous forme de maquettes d’argile accompagnées de photo, planches dessinées et descriptifs écrits ou oraux. Au collège Anne Frank de Miribel, c’est le développement durable qui est l’enjeu à travers le défi proposé par Guillaume Debergues aux élèves de 3ème : faire déplacer une figurine d’une distance la plus proche possible de 4 mètres, le véhicule devant avoir le plus petit impact possible sur l’environnement durant toute la vie du produit (matériaux, énergie, recyclage…). A Nozay, les collégiens de David Guilloteau agissent pour l’environnement en participant à la reconnaissance et au développement de la biodiversité locale : ils construisent une problématique qui les intéresse, qu’ils doivent résoudre par une action concrète sur l’environnement local (construction d’hôtels à insectes, de mangeoires à oiseaux, de nichoirs, plantations de parterres de plantes mellifères, participation à une campagne d’arrachage de plantes nuisibles telles que la jussie …).

A Paris, Marie-Camille Coudert, professeure de physique-chimie, confronte ses élèves de S à des situations complexes pour qu’ils se fassent élèves-chercheurs. Elle les invite à répondre, en équipes, à des questions de la vie courante. Par exemple : Régis, facteur dans le Vaucluse doit aller livre son courrier en haut du Mont-Ventoux. Combien d’essence doit-il mettre dans sa voiture ? Et combien de bioéthanol ? Quels sont les avantages et inconvénients de chacun des carburants ? … Frank Thénard-Duvivier, du Lycée Fauriel à Saint-Etienne, présente le projet de « Débats citoyens en Rhône-Alpes » : des rencontres publiques organisées dans des lycées sous forme de tables rondes autour des enjeux de citoyenneté (médias, réseaux sociaux, démocratie, justice, égalité, stéréotypes, laïcité, développement durable, nucléaire, utopies urbaines…). Le projet mobilise d’ores et déjà une douzaine de lycées, plus de 1400 lycéens issus des 8 départements rhônalpins, près de 60 intervenants et plus de 50 enseignants.

Lignes d’horizon ?

Le 7ème Forum des enseignants innovants aura, espérons-le, contribué à reconfigurer notre imaginaire éducatif pour mettre l’Ecole en mouvement. Ces nouveaux cheminements dans les apprentissages, sinueux, créatifs, collaboratifs, ouverts sur le monde, tracent dans le paysage scolaire des lignes originales dont le plus beau symbole pourrait être « La grande lessive ». Le projet de Joelle Gonthier, plasticienne et enseignante, touche désormais 76 pays sur 52 continents. Deux fois par an, des fils à linge sont tendus à l’intérieur ou à l’extérieur de sites variés : établissements scolaires, mairies, musées, médiathèques, services hospitaliers, maisons de retraite, places publiques, rues… Le jour de La Grande Lessive, les usagers de ces lieux sont invités à accrocher une réalisation à deux dimensions (dessin, peinture, collage, photomontage, photographie, poésie visuelle) à l’aide de pinces à linge pour une durée limitée à cette journée. « Nul besoin d’être artiste, explique Joëlle Gonthier. Cette initiative invite à la création et rassemble les générations. C’est le fait d’agir ensemble, en même temps, en divers lieux, avec des objectifs et des dispositifs communs qui est œuvre. »

Le Forum des enseignants innovants est, à sa manière, une installation pédagogique éphémère. Puisse-t-il comme la Grande Lessive tendre ses fils et diffuser ses valeurs bien au-delà. Puisse-t-il comme Arthur Rimbaud nous inviter tous à sa fête : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. »

Jean-Michel Le Baut

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