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Alors que l’Inspection générale rend un rapport favorable aux ABCD de l’égalité, le ministère met fin à une expérimentation qui a dressé contre elle l’extrême droite. Il promet une généralisation de la sensibilisation à l’égalité filles garçons sous un autre nom. Mais n’est ce pas lâcher la proie pour l’ombre ? Dans le combat pour ses valeurs, la République ne vient-elle pas de perdre une manche par abandon ?

Lancés à la rentrée 2013 dans 600 classes d’une dizaine d’académies, les ABCD de l’égalité proposaient un programme de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes. Ils ont été victimes des campagnes des traditionnalistes de la Journée du Retrait de l’Ecole. Un rapport de l’Inspection générale, publié le 30 juin, sous la houlette de Viviane Bouysse, montre pourtant les effets positifs du programme. Mais le 30 juin, Benoît Hamon annonce la fin de l’expérimentation au profit d’une généralisation remise à plus tard…

Le rapport appelle à continuer mais autrement

Le rapport de l’Inspection générale est loin de conclure à la fin de l’expérimentation. Le bilan est positif, par exemple les enseignants « développent une vigilance plus élevée que par le passé aux modalités d’organisation et de conduite de la classe. » L’Inspection invite à faire évoluer le dispositif. « Cet effort doit être poursuivi et amplifié » conclue le rapport mais en le faisant évoluer.  » Il ne peut être proposé de renoncer au projet, il s’agit même de l’amplifier, mais en en faisant évoluer les modalités. L’égalité des droits entre les filles et les garçons ne peut pas relever d’un « dispositif » que les professeur(e)s auraient la faculté de choisir ou de rejeter. Il n’est pas non plus possible de penser généraliser le dispositif expérimental sous les mêmes formes et dans les mêmes termes qu’en 2013. D’une part, les acteurs de terrain sont, pour la majorité d’entre eux, dépourvus des appuis conceptuels et des outils pratiques nécessaires ; d’autre part, il faut que la sérénité revienne pour que toutes et tous s’engagent de manière active et coopérative dans cette évolution éducative à laquelle la lutte contre la transmission des stéréotypes sociaux les convie ».

V Bouysse recommande « volontarisme, prudence , clarté« . Ainsi elle établit des éléments de communication avec les parents.  » Il semblerait plus prudent de ne plus utiliser l’expression « l’égalité filles – garçons » sans faire référence au droit (et afficher alors : « l’égalité des droits des filles et des garçons »), aux compétences qu’ils peuvent acquérir (et afficher alors : « l’égalité des compétences et des possibles entre filles et garçons ») et aux choix éducatifs et didactiques, ainsi qu’aux comportements pédagogiques (et afficher alors : « l’égalité de traitement des filles et des garçons »). Se référer au droit de l’éducation et donc au droit à la même éducation pour tous, c’est rassembler tous les membres de la communauté éducative – qui comprend notamment les parents – autour d’une valeur consensuelle et fédératrice ».

Le rapport recommande aussi la formation initiale et continue des enseignants. Elle définit même le contenu de la mallette idéale qui devrait être proposée :  » des oeuvres d’art (en format exploitable), l’ouvrage « 50 activités sur l’égalité filles – garçons » (CRDP Midi-Pyrénées), un accès à des « défis-internet », des albums de littérature de jeunesse avec des séquences construites, des fiches sur des débats à organiser, des ouvrages de la série « goûters-philo », des fiches explicatives pour les familles avec des faits statistiques, des livres documentaires, un article de sociologie sur les statistiques révélant le poids des stéréotypes qui affectent les pratiques didactiques, pédagogiques et éducatives ».

L’inspection appelle à faire évoluer le dispositif vers l’analyse de pratiques : Sans attendre que de nouveaux programmes soient élaborés et appliqués, il s’agit d’amener les enseignant(e)s à se focaliser sur les pratiques pédagogiques, sur les conditions de la vie scolaire… Pratiquement, il convient de faire élucider en quoi des choix ou des habitudes professionnelles qui s’appuient de manière inconsciente sur des stéréotypes jouent (de manière informelle et involontaire) sur la formation et l’évaluation des enfants en situation scolaire ».

L’impact de la JRE

Le rapport souligne la violence et l’impact durable de la Journée du retrait de l’école (JRE) organisée par les traditionnalistes. « Les enseignant(e)s rencontré(e)s expriment le sentiment qu’un lien qu’ils croyaient de confiance avec les parents a été fragilisé », note le rapport. « Ce fut l’occasion pour certains parents d’exprimer des désaccords sur le sujet de l’égalité filles – garçons, d’affirmer leur conception de statuts différents des enfants du fait même de l’identité sexuelle. Les professeur(e)s n’auraient jamais imaginé que des parents puissent voir l’école comme source de danger, jamais pensé qu’on puisse suspecter l’école – et eux en même temps – d’avoir un projet organisé qui les autoriserait à attenter à la pudeur des enfants, à violer leur intimité, à intervenir sur leur sexualité, à manipuler leur conscience. Ces « journées de retrait » ont pu provoquer une salutaire prise de conscience : rien n’est jamais gagné, l’école n’a pas ou n’a plus de légitimité intrinsèque, les valeurs « s’usent » si on ne les revivifie pas régulièrement ». La leçon qu’en tire l’inspection c’est qu’il faut agir plus prudemment et en veillant à l’information des parents, un domaine où l’école n’excelle pas.

La « généralisation » de Benoît Hamon

S’exprimant le 30 juin en fin de matinée, Benoît Hamon justifie le changement de cap. « Les modules de l’ABCD de l’égalité faisaient l’objet de toutes les polémiques. Les ABCD étaient devenus le champ de bataille des adultes sans qu’on ne puisse plus sereinement enseigner l’égalité en classe. J’ai voulu que les écoliers ne soient pas otages des querelles des adultes ». Pour mieux enseigner l’égalité, il faut selon lui abandonner al marque ABCD de l’égalité.

Le ministre annonce « un plan général égalité filles garçons« , un « dispositif sans précédent dont la France peut être fière ». « On ne revient pas en arrière », affirme B Hamon. Ce dispositif qui remplace les 600 classes qui expérimentaient les ABCD de l’égalité, repose en premier lieu sur la formation initiale de tous les professeurs. Tous bénéficieront d’un module consacré à l’égalité filles garçons. Le ministre promet aussi de la formation continue. D’abord pour les IEN et IPR qui suivront un séminaire spécial. Ensuite pour les enseignants. « On permet à tous les professeurs en formation continue d’avoir accès à une formation sur l’égalité en priorité ceux du premier degré », ajoute B Hamon. L’égalité sera intégrée dans les futurs programmes et les conseils d’école pourront « informer les parents sur la place de l’égalité filles garçons dans le dispositif pédagogique de l’établissement ».

Mais le ministre peut-il tenir ces promesses ? Les futurs programmes sont pour 2016 et nul ne sait comment le CSP les rédigera. Quant à la formation continue, même si les IEN étaient réellement motivés pour lancer des formations si controversées, elle est dépendante du budget. Depuis des années elle est assumée en partie par les IEN et les conseillers pédagogiques dans le premier degré qui ne sont pas forcément compétents sur ces questions. Dans le second degré les crédits ont été largement réduits. Dans la classe, « il y aura la possibilité de faire des séquences dédiées », promet le ministre, mais dans le respect de « la liberté pédagogique des enseignants ». Une mallette pédagogique, qui reprendra certains éléments des ABCD sera disponible pour ceux qui voudront bien se la procurer… A terme « il y aura une culture de l’égalité qui ne nie pas la différence mais affirme l’égalité en droits et qui veut éliminer l’augmentation du non respect entre filles et garçons », affirme le ministre. Mais ce 30 juin, on voit surtout l’arrêt brutal d’un dispositif existant replacé par des promesses pour un avenir plus ou moins lointain.

Enfin il y a les enseignants qui se sont investis dans les ABCD et qui ont été les premières victimes des traditionnalistes. Ils ont été salis par les polémiques et parfois agressés personnellement. Ils doivent au quotidien affronter les parents. L’institution vient de les lâcher. Le plan Hamon promet de valoriser leurs productions et leur savoir faire. Ces promesses là seront-elles tenues ?

Les réactions à l’abandon des ABCD de l’égalité

Qui est satisfait de l’abandon des ABCD de l’égalité ? A priori personne. Les partisans de l’ancien programme voient dans le plan Hamon une défaite devant les traditionnalistes. Ces derniers pestent contre la généralisation promise par le ministre. Les syndicats demandent des gages…

« Loin de supprimer les ABCD de l’égalité dont l’appellation et le contenu si contestables avaient fait éclater la défiance de nos concitoyens à l’égard de l’école de notre République, le Ministre de l’Education nationale s’apprête, sur le fondement d’un rapport inepte de l’inspection générale de l’éducation nationale, à former l’ensemble des enseignants d’élémentaire à ce module et à leur remettre une mallette pédagogique permettant son enseignement », dénonce le sénateur UMP JC Carle. Il manifeste ainsi son soutien a la campagne des traditionnalistes contre les ABCD.

« Ce qui est essentiel maintenant c’est que le ministre réaffirme de façon inflexible le principe d’un enseignement de l’égalité filles garçons sans aucune ambiguïté et que les enseignants ne restent pas seuls », nous a dit Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp. « Je souhaite que tous les outils développés pour les ABCD de l’égalité trouvent place dans la nouvelle mallette pédagogique ». Victimes d’attaques des traditionnalistes, y compris au siège national, le Snuipp entend continuer la réflexion sur la formation à l’égalité et à la lutte contre l’homophobie.

« On attend que le plan ambitieux annoncé soit concrétisé », a déclaré au Café pédagogique Laurent Escure, secrétaire général de l’Unsa Education. « Le risque d’abandon existe et que les enseignants mobilisés pour les ABCD soient laissés pour compte. J’attends du ministre qu’il les félicite. Face aux extrémistes, la République ne doit avoir qu’une seule réponse, la fermeté’.  » Rien ne serait pire que de fragiliser un projet si ambitieux en cédant à la pression de certains lobbies qui n’ont jamais accepté l’égalité des droits que l’école de la République a pour fonction de promouvoir », affirme la Ligue de l’enseignement. « Nous serons vigilants à ce que la généralisation annoncée se traduise réellement dans les faits ».

« Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on supprime les ABCD alors que le rapport de l’Inspection générale les juge positivement », nous a dit Henriette Zoughebi, vice présidente du Conseil régional d’Ile-de-France en charge des lycées. « Comment est-il possible que le gouvernement ne sache pas que l’égalité est un combat ? Comment peut-il céder devant un groupe de parents minoritaire ? C’est dangereux pour les combats que l’on mène . C’est politiquement négatif ». H Zoughebi estime que le ministre prend le risque de casser une dynamique. Elle souligne l’absence de soutien ministériel au programme « Jeunes pour l’égalité », mené par la région auprès de 6000 lycéens. « On a une pensée molle à l’oeuvre, sans résistance contre ceux qui mettent en cause l’égalité. J’espérais mieux. Je trouve cela inquiétant ». H Zoughebi soulèvera la question des ABCD le 3 juillet au Conseil Supérieur de l’Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

François Jarraud

Le rapport

Les ABCD