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Apprendre aux élèves à calculer un taux de crédit est-ce les mettre dans les mains des banquiers ou au contraire les émanciper pour qu’ils puissent mieux gérer leur vie ? C’est une des questions que les enseignants peuvent se poser au regard de la publication, le 9 juillet, d’un nouveau volet de Pisa 2012 sur les compétences financières des jeunes. Ce jour là, au siège de l’OCDE à Paris, il y a beaucoup de fées autour du berceau de l’éducation nationale. Une reine, celle des Pays-Bas, de grands responsables financiers, le ministre de l’éducation des Etats-Unis réfléchissent à une question compliquée : comment convaincre les enseignants de se mobiliser pour cette question ?

C’est quoi les compétences financières ?

L’étude évalue la capacité des élèves âgés de 15 ans à traiter des informations financières et économiques de la vie quotidienne. Ce n’est pas leur niveau de connaissance en théorie économique qui est évalué mais leur compétence concrète à résoudre des problèmes de la vie quotidienne. Par exemple sont-ils capables de dégager les informations d’une facture ou d’un bulletin de paye. Entre deux propositions de crédits sont-ils à même de choisir la meilleure ? Pour l’OCDE, ces compétences sont devenues indispensables parce que « à chaque moment important de la vie est lié un engagement financier », dit Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE. Un mariage, un divorce, un enterrement ou une naissance ont à chaque fois des conséquences financières.

La France nettement en queue de peloton

Pisa 2012 montre que les jeunes Français ont des compétences financières particulièrement faibles. La France se situe en dessous de la moyenne de l’OCDE. Elle a moins d’élèves d’un bon niveau (27% de niveau 4 et 5 contre 32%) et davantage de très faibles (19% contre 15%).

Et puis il y a des particularités françaises particulièrement gênantes. Le niveau en compétence financière est étroitement lié au niveau social. C’est vrai partout mais en France l’écart de points entre les jeunes issus de milieu populaire et ceux qui viennent d’un milieu favorisé est particulièrement fort (50 points). C’est encore pire qi on observe l’écart entre les jeunes issus de l’immigration et les autochtones. Cette fois l’écart est de 61 points et c’est le plus fort des 18 pays de l’OCDE qui ont participé à l’étude. Partout il y a lien entre les « bons élèves » en maths et compréhension de l’écrit et le niveau de compétence financière. Il existe aussi en France mais c’est chez nous qu’il est le moins fort.

Est-ce la faute de l’Ecole ?

Comment expliquer ces particularités ? Les jeunes Français sont parmi ceux qui sont les mieux intégrés dans l’économie financière. A l’âge de 15 ans, 80% d’entre eux a déjà un compte personnel ou une carte de crédit. 67% travaille en dehors des heures de cours pour gagner de l’argent. Pour Flore-Anne Messy, administratrice principale à l’OCDE, qui a participé à la conception de cette étude, « les résultats en France sont plus bas que ce que le niveau en maths et français pourrait faire attendre. Nos élèves ne trouvent pas dans le curriculum scolaire ou en dehors de lui de quoi développer leurs compétences financières ».

Voilà la balle en partie du coté de l’Education nationale. Pourtant elle a développé l’enseignement de l’économie. En seconde, les élèves doivent obligatoirement suivre un enseignement d’économie, soit SES soit PFEG. Mais, compte tenu du fort taux de redoublement en France (28% des élèves de 15 ans ont déjà redoublé) un gros tiers des élèves n’est pas en seconde à l’âge de 15 ans. L’enseignement des SES est quand même en ligne de mire. Depuis des années on l’accuse d’être trop théorique et trop éloigné des réalités quotidiennes. Mais l’OCDE pointe aussi l’influence des familles. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, signale qu’une étude de la banque a montré qu’un adulte sur deux n’est pas capable de calculer le coût d’un crédit. Une autre étude de l’OCDE sur les compétences des adultes devrait confirmer ce fait.

Pourquoi faut-il s’en soucier ?

« De l’éducation dépend la destinée d’un pays ». C’est la leçon de 1870 que redonne à l’OCDE le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer. Pour lui le faible niveau de compétences financières des Français influence leur consommation et par suite le développement du pays. Il donne en exemple l’orientation de l’épargne. Les Français se portent peu sur les actions en raison de leur manque de connaissances. Pour lui, améliorer le niveau de compétences « est une condition du bon fonctionnement de l’économie ». Pour FA Messy l’allongement de l’espérance de vie augmente la nécessité d’améliorer le niveau car elle expose à des décisions sur le long terme.

Les financiers échaudés

« Les enseignants ne sont pas enthousiastes à parler d ‘argent en classe », souligne FA Messy. Ses propos sont relayés par Jean-Paul Servais, président de l’Autorité des services et marchés financiers belges. « Il faut déminer le terrain », lance-t-il. Pas question d’imposer une nouvelle discipline. Pas question non plus de laisser les banques commerciales s’engager sur ce terrain. Sans langue de bois, JP Servais explique qu’in craint les récupérations commerciales. « I faut aller sur les terrains où on est légitime », approuve C. Noyer. En fait tous ces financiers ne savent pas comment pénétrer la forteresse éducative et relayer leurs préoccupations. On les sent échaudés.

Alors ils se tournent vers ce qui marche. En Belgique, le site wikifin.be a rencontré un succès inattendu. « On a touché les jeunes en dehors de l’école », explique JP Servais. En Australie, un bon élève de ce Pisa , l’éducation financière a été intégrée dans les disciplines à partir de l’école primaire. Partout on se demande comment toucher les enseignants. « Ce sont les bons leviers », estime C Noyer. « Il faut ajuster notre offre aux besoins des professeurs de SES ». « On a mobilisé des enseignants en prenant des exemples qui touchent leur vie quotidienne », explique JP Servais. Prudemment les financiers vont continuer à avancer leurs pions avec le soutien de l’étude de l’OCDE. En France, La Cité de l’économie, un site et bientôt un musée, soutenue par la Banque de France, arrivera-t-elle jusque dans votre salle des profs ?

François Jarraud

L’étude PISA compétences financières

Les questions posées