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30-07-2014 – Comment réduire l’échec scolaire des enfants des quartiers populaires ? C’est cette question qu’aborde le rapport de l’Inspection générale rédigé sous la direction d’Yves Cristofari et de Rémy Sueur, sur le dispositif « Plus de maîtres que de classes » (PDM). Pivot de la refondation de l’Ecole, le dispositif PDM souffre, selon le rapport, de difficultés de mise en place sur le terrain. Il est souvent géré sur des bases bureaucratiques plus que pédagogiques, les applications sur le terrain sont très diverses et difficiles. Le co-intervention ne va pas de soi. Pour l’Inspection le dispositif se révèle finalement une occasion de réformer le fonctionnement de l’institution en modifiant notamment la place du directeur d’école .

Un pilier de la refondation

Pilier d’une refondation qui pointe l’urgence d’un effort pédagogique dans l’enseignement primaire, le dispositif PDM veut, selon la circulaire de 2012 qui l’a créé, « mieux répondre aux difficultés rencontrées par les élèves et de les aider à effectuer leurs apprentissages fondamentaux, indispensables à une scolarité réussie… Il s’agit de prévenir la difficulté scolaire, tout au long de la scolarité primaire, et d’y remédier si elle n’a pu être évitée. L’action sera prioritairement centrée sur l’acquisition des instruments fondamentaux de la connaissance (expression orale et écrite, mathématiques) et de la méthodologie du travail scolaire ». La circulaire cadrait d’ailleurs le déploiement des 7000 postes prévus par la loi d’orientation en évoquant un « projet rédigé par l’équipe pédagogique sous l’autorité du directeur d’école est validé par l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN) chargé de la circonscription ». Pour le ministère, le dispositif « doit permettre la mise en place de nouvelles organisations pédagogiques, en priorité au sein même de la classe ».

Une mise en place bureaucratique

L’enquête menée par les inspecteurs généraux dans 11 académies montre d’abord les difficultés de la mise en place. Elle souligne la modestie des moyens : cela va d’un poste PDM pour 191 élèves de l’enseignement prioritaire en Guyane à un poste pour 2 515 élèves en Corse. Dans l’académie de Créteil on est à 1 poste pour 1338 écoliers de l’enseignement prioritaire. Ces rares moyens sont parfois davantage utilisés pour éteindre des incendies locaux (suppressions de classe) que pour répondre à un projet pédagogique. Le rapport énumère les déviations bureaucratiques dans la répartition des postes et le pilotage. « Dans un département, la répartition se fait par zones de difficulté sociale et scolaire (réseaux de réussite scolaire, ECLAIR) : dans ce cas, les écoles de l’éducation prioritaire ont pu être invitées à déposer un projet. Dans le département voisin, les postes sont répartis par circonscription, à charge pour l’IEN de proposer l’école ou le groupe d’écoles relevant d’un quartier difficile. Ailleurs, l’attribution se fait sous forme de renforts de décharges allouées à des maîtres déjà en charge de dispositifs de soutien… Dans un très gros département, une note de l’IA-DASEN, en date du mois de janvier 2013, va jusqu’à inciter les écoles de l’éducation prioritaire, susceptibles de connaître des mesures de carte scolaire, à se porter candidates au dispositif « maître supplémentaire », explique le rapport… Globalement « les IA-DASEN ont très rarement procédé par appel à projets véritable, c’est-à dire en amont des attributions d’emplois ». Le rapport cite l’exemple d’un maître en difficulté bombardé PDM.

Le dispositif PDM s’insère en plus des autres aides existantes. Le rapport souligne les tensions que cela engendre, par exemple avec les Rased. Il relève aussi le manque de lisibilité avec les partenaires de l’Ecole.

« La question du pilotage et de l’accompagnement est sous-jacente à de nombreuses réflexions, reflétant aussi des niveaux variables d’implication et de disponibilité de l’IEN », explique le rapport. Il cite en contre exemple l’académie de Paris où un encadrement complexe a été mis en place pour accompagner les IEN, les formateurs et les enseignants.

Que se passe-t-il sur le terrain ?

Un des principaux apports du rapport c’est de montrer comment les équipes se sont emparées du dispositif. Selon les écoles, deux types de mise en place se retrouvent : des interventions de deux enseignants dans la même classe ou la constitution de groupes. Dans le détail, le rapport montre la diversité des situations :

« – la co-intervention entendue ici comme la présence simultanée de deux enseignants dans un même espace classe pour une séance relevant du même domaine d’activités ou du même champ disciplinaire ;

le mode complémentaire : un enseignant enseigne à la classe entière pendant que l’autre se déplace en donnant de l’aide à ceux qui en ont besoin ;

– le mode parallèle : chacun enseigne le même contenu à la moitié de la classe ;

– le mode alternatif : un enseignant donne du soutien à un petit groupe pendant que le reste de la classe reçoit de l’enseignement

– une organisation de la classe en ateliers avec rotation des groupes au cours de la séance ;

– les organisations en barrettes qui permettent la prise en charge de groupes de besoins sur une classe (deux maîtres / une classe) ou sur les classes d’un même niveau, voire d’un cycle (trois maîtres / deux classes) ;

– des dédoublements de la classe fondés sur le principe d’une organisation en groupes hétérogènes qui permettent la mise en oeuvre d’activités nécessitant un fort étayage (résolution de problèmes, géométrie, production écrite) ;

– des échanges de service, le maître supplémentaire prenant en charge la classe pendant que l’enseignant titulaire est en observation ». Tout cela implique une refonte des emplois du temps et du plan d’occupation des salles.

La co-intervention ne va pas de soi

Le rapport souligne quelques points positifs : plus d’attention portée aux élèves, le plaisir et la motivation issus du travail à plusieurs, le sentiment de mieux posséder son métier. Mais il montre aussi « les errances du préceptorat » c’est-à-dire l’inefficacité d’un étayage des élèves. Il énumère aussi une longue série de pratiques pédagogiques inefficaces : « absence de travail sur les erreurs, une absence de formalisation d’une procédure efficace ; une attention pointilleuse portée à des aspects très matériels (lignes sautées, couleur des surlignages, etc.) et une négligence totale d’aspects plus fondamentaux : postures de travail des élèves, tenue du crayon et geste graphique, erreurs de copie, erreurs orthographiques… ; des pratiques qui réduisent la complexité, qui effacent les obstacles (cadrage trop fort) ; le morcellement et le sur-encadrement qui rendent l’activité intellectuelle des élèves à peu près nulle ; la facilitation et la limitation des tâches qui valorisent les aspects les plus procéduraux au détriment des dimensions patrimoniales, culturelles, cognitives, subjectives selon les situations (particulièrement vrai en lecture et en production d’écrits) ; la recherche de la réussite à tout prix qui se fait au détriment de la visée de compréhension des savoirs en jeu et de l’identification des procédures efficaces ». Au final, « le dispositif a été assez déstabilisant pour certaines équipes, qui se posaient la question de leur aptitude à pratiquer de la co-intervention. Là où le maître supplémentaire est un membre de l’équipe de l’école, comme dans le département des Bouches-du-Rhône, un maître extérieur ayant été recruté pour la classe qu’il avait en responsabilité, les choses se passent de façon plus simple, car le maître supplémentaire connaît déjà ses collègues. Pour un maître supplémentaire qui n’a de référence à aucune expérience dans l’équipe, se faire accepter comme élément naturel dans une classe et être efficace pédagogiquement se révèle plus difficile. En ce qui concerne le maître titulaire, accepter qu’un collègue vienne dans la classe avec un regard extérieur sur ses pratiques présente un risque et peut également être perturbant ».

« La co-intervention ne va pas de soi et, quand elle est efficace, elle est le produit d’une réflexion partagée en amont (vision claire des objectifs à atteindre, connaissance des besoins des élèves), d’un ajustement réciproque des conduites au cours de la séance, de la recherche d’une optimisation du temps d’enseignement pour chacun des élèves », explique le rapport. « Cela signifie qu’il y a à aider les équipes par une analyse des pratiques qui favorise l’émergence d’une vision critique, qui aide à élucider les limites de la co-intervention ou les leviers pour une différenciation accrue. Il s’agit in fine de réconcilier le projet professionnel de chacun des enseignants avec les objectifs de l’institution au travers du dispositif ».

Des préconisations pour le terrain

Dans ses recommandations, le rapport sépare ce qui relève des préconisations applicables sur le terrain des « bonnes pratiques », de recommandations beaucoup plus vastes. « S’agissant de la présence de deux maîtres en simultané dans la classe, il conviendrait de considérer qu’il doit s’agir d’un véritable co-enseignement à mieux définir », explique le rapport. « Le co-enseignement suppose un regard croisé sur les gestes professionnels (pédagogiques et didactiques) en même temps qu’une attention portée aux obstacles rencontrés par les élèves. Des réponses didactiques doivent être apportées par les maîtres à l’identification des besoins des élèves en termes de prévention, de remédiation mais aussi pour faciliter des découvertes notionnelles. Les pratiques de réinvestissement des acquis ont également besoin d’être développées… Les prises en charge en groupes pourraient être envisagées sous certaines conditions, le travail au sein de ces groupes étant alors conçu sous la forme de modules spécifiques articulés à la progression des programmes. Dans ce cadre, les séances d’enseignement viseraient en priorité des objectifs précis d’apprentissage considérés en général comme plutôt complexes dans leur mise en oeuvre ou présentant des obstacles possibles pour certains élèves. Ces dispositions devraient conduire à éviter la pratique en classe de types d’activités choisies a priori et donc sans lien direct avec les besoins prioritaires des élèves ». Le rapport invite aussi les équipes à formaliser leur projet et à l’écrire.

« Il faut un cadrage formel, dire ce qui doit être et ne pas être, préciser les objectifs fondamentaux et rappeler, parmi ceux-ci, que l’action se joue dans la classe, au sein du groupe classe, à partir d’un projet, avec l’engagement d’une équipe et en ciblant les apprentissages attendus par les programmes », conclue sur ce point le rapport. « Mais il faut peut-être faire plus et pour cela proposer de nouveaux outils, des formations mettant davantage l’accent sur les situations d’apprentissage les plus complexes et les gestes professionnels, apporter une aide accrue à la mise en oeuvre comme au suivi ». Le rapport met en avant la nécessité d’une recherche accompagnement, d’outils didactiques et d’évaluation, d’organisation et de formalisation des temps d’échanges pour construire et faire vivre le projet de l’école. On passe là à une nouvelle échelle.

Des recommandations qui envisagent de réformer l’Ecole

« La nécessité d’un pilotage rigoureux à tous les échelons, de procédures de formalisation du travail en équipe, une évolution du rôle du directeur » sont pour le rapport les conditions du succès du PDM autant que « de bonnes qualités pédagogiques et didactiques attendues de la part du maître supplémentaire et de l’équipe ». « L’attention doit être portée au pilotage. Cela concerne les échelons de la hiérarchie académique, mais le pilotage des écoles est tout aussi essentiel. On imagine mal que les IEN trouvent encore du temps pour régler des questions relatives au fonctionnement quotidien des équipes, à la gestion des locaux et à l’organisation des services. C’est la raison pour laquelle la mission d’inspection générale a tenu à insister sur le rôle attendu du directeur d’école en rappelant les textes réglementaires et en mettant l’accent sur sa responsabilité en matière de pilotage du projet, d’organisation, de formalisation, de répartition des classes et des services, d’animation, d’explication des objectifs. Ce qui précède met en évidence s’il en était besoin la nécessité de s’intéresser en second lieu à la perception des acteurs. L’un des enseignements de ce dispositif est qu’il est certainement temps de ne pas penser seulement l’accompagnement du seul point de vue didactique et pédagogique mais tout autant en termes de gestion des ressources humaines avec certainement l’exigence d’une reconnaissance des compétences. »

Le rapport recommande de créer une coordination académique en matière d’implantation des emplois PDM et de formation et de veiller à la formalisation des projets par les équipes pédagogiques. Mais il souhaite également « responsabiliser les écoles qui se portent candidates à ce dispositif en créant les conditions d’un pilotage de proximité par la directrice ou le directeur ». Celui-ci serait associé à la rédaction d’une lettre de mission du maître supplémentaire. Il se verrait confier « la répartition des services de celui-ci et la responsabilité d’expliquer le sens du dispositif dans le cadre du conseil d’école ». Quant au maitre supplémentaire, le rapport préconise de « valoriser la fonction de maître supplémentaire en termes de perspectives professionnelles en imaginant une procédure de validation des acquis de l’expérience ». En mettant à nu les dysfonctionnements de l’Ecole, le dispositif PDM invite l’Inspection à envisager une refonte assez profonde de son fonctionnement dans le sens d’un pilotage plus présent à tous les niveaux, voire une spécialisation des fonctions de directeur et de professeur PDM. Le dispositif passe des difficultés des élèves à celles du système…

François Jarraud

Le rapport

La circulaire

L’étude remarquée de M Toullec Théry

L’accompagnement vu par C Boniface de l’académie de Paris

Des ressources à Poitiers

Quelle efficacité pour le PDM ?