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Comment démarrer du bon pied avec sa classe ? Quelles activités mettre en place pour briser la glace avec les élèves ? Vous avez été nombreux à répondre à cette question du Café pédagogique. Toute cette semaine nous publions quelques unes de vos réponses. Aujourd’hui celle de Cyril Lascassies, professeur de technologie.

« Profession du père : décédé. Profession de la mère : au chaud mage ». Pam ! Voici ce que j’ai pris en pleine figure à mes débuts d’enseignant lors de la première séance de l’année, où je me contentais de faire comme la plupart de mes collègues, comme ce que j’avais vécu en tant qu’élève, à demander une fiche de renseignement. J’ai alors pris conscience que cet élève avait dû écrire ça 10 fois dans la semaine ! N’aurais-je pas pu le savoir en lisant son dossier administratif ? En échangeant avec mes collègues, avec le CPE, l’infirmière, etc. ? Mais si j’entends dire avant de connaître ces élèves « Attention à Kevin, c’est un tricheur ! Kévina ne pense qu’aux garçons, Toto est stupide et Titi une fainéante… », comment éviter l’effet Pygmalion ? Si l’objectif de début d’année est de découvrir le plus vite possible mes 180 élèves, pour installer une ambiance de classe propice aux apprentissages, comment puis-je alors m’y prendre ? Puisque je me plains en juin d’avoir manqué de temps pour terminer le programme, comment puis-je utiliser au mieux ce premier contact ? Que reste-t-il de la séance si je me lance dans un cours dialogué sur les contenus de l’année et ma façon d’enseigner ? Pas grand-chose, malheureusement. Alors que puis-je faire ?

Dès la pré-rentrée, je prends connaissance de mes listes d’élèves, évitant les jugements de mes collègues. Ancien mauvais élève, je connais trop les dégâts de ces jugements hâtifs… Mais heureusement pour moi, un ou deux enseignants ont cru en moi chaque année, me permettant de construire une estime de moi suffisante pour devenir à mon tour « ce passeur culturel ». Dès lors je constitue six groupes de 4 à 5 élèves par classe, choisissant l’ordre alphabétique pour apprendre les prénoms le plus vite possible. Avec un trombinoscope, ce sera mieux pour réviser à la maison !

Jour J, les élèves se rangent plus ou moins bien devant la salle (ou dans la cour) Voici une première situation d’évaluation diagnostique : respectent-ils les règles de vie commune ? J’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure… En entrant, je leur précise de s’installer en groupe alphabétique et je les accueille, avec le sourire, en disant bonjour à chacun d’eux. Encore une situation pour évaluer qui est poli et me réponds, qui m’ignore en baissant la tête ou en continuant de discuter avec son camarade, qui me regarde de façon provocatrice en mâchant ostensiblement son chewing-gum, mais aussi celui qui semble triste, semble préoccupé par autre chose que le cours qui va commencer. Le plus dur est alors d’éviter toute conclusion hâtive, un élève peut éviter mon regard parce qu’il est timide, qu’il vient de se disputer avec son meilleur ami. L’autre attirer mon attention tel un appel à l’aide inconscient parce que ses parents divorcent et a besoin d’affection, etc. Tous ceux qui s’intéressent de près à la psychologie et à l’évaluation savent qu’il faut croiser plusieurs données pour affiner le profil d’un individu. Du coup, je sais déjà quels sont les dossiers scolaires que je consulterai en premier, mais surtout quels sont les élèves avec qui je vais échanger dès cette séance.

Une posture fixe, un regard soutenu sur ceux qui bavardent encore, puis un regard bienveillant sur le reste de la classe me permettent d’obtenir le silence, sans fatigue, et de me présenter rapidement. Je les invite alors très vite à démarrer la première activité, en groupe, avec une tâche complexe qui porte sur des connaissances simples, qui auraient pu être traitées en transmissif suivi d’exercices d’application, mais que je choisis volontairement de traiter de façon socioconstructiviste car mon objectif est bien plus ambitieux. En effet, la disposition de la classe en îlots est un premier obstacle à franchir : mes élèves sont habituellement amenés à travailler de façon individuelle dans des classes rangées en rangs d’oignon. Les premiers bavardages ne vont pas tarder, ce sera l’occasion de définir ensemble des règles de vie commune et d’apprendre à travailler en équipe, capacités essentielles à mes pratiques pédagogiques. « Avez-vous le droit de parler du film d’hier durant les 2h de technologie ? – Bein, non m’sieur ! – Et bien si ! – Ah ?! Croyez-vous que les enseignants ont écouté le discours de rentrée du chef d’établissement sans prendre un moment pour demander s’ils ont passé de bonnes vacances, certains prennent même la liberté de lire leurs mails sur leurs smartphone… » Alors oui, sur les deux heures, nous aurons le droit de nous lever pour aller chercher un livre, aller à l’ordinateur, comparer son travail avec ses camarades, parler du film d’hier soir, etc. Mais ces moments de libertés, seront entrecoupés de moment où il faudra écouter attentivement ! Aussi, un contrat d’évaluation trimestriel vous indiquera les objectifs à atteindre (exigence)

Je fais alors une analogie avec le comportement des adultes sur la route, afin de leur proposer un code de couleur pour préciser ces périodes : feu vert = libre (nous apprendrons alors ce qu’est la liberté, à chaque fois que j’observerai un comportement qui va à l’encontre du collectif, compétence du socle commun) ; feu orange= écoute (pour demander la parole, il suffira de lever la main) ; un élève au feu rouge = je n’arrive pas encore à respecter les règles de vie de classe, j’ai alors un travail individuel à faire, souvent une réflexion sur mon attitude, afin que je puisse progresser et réintégrer le groupe classe…

Dès cette première séance, la glace est brisée ! Ce sentiment de liberté, d’écoute, de bienveillance, sans oublier l’exigence puisque je responsabilise chaque élève et que je cherche à développer leur autonomie, créé une ambiance de classe propice aux apprentissages. J’ai depuis trois quatre ans l’impression de ne plus faire le même métier ! Mais surtout, les résultats sont là : sur mes 180 élèves, 176 ont progressé, même s’il m’a fallu parfois attendre le troisième trimestre pour que cette posture paye chez les élèves les plus en difficultés face aux exigences scolaires.

Cyril Lascassies