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A quoi servent les profs ? Vincent Rémy, rédacteur en chef de Télérama, répond dans un nouveau livre, à travers le témoignage de 20 personnalités : un professeur peut changer une vie. Des personnalités aussi différentes que Robert Badinter, Aurélie Filippetti, Sophia Aram ou François Pinault témoignent de ces rencontres qui sont devenues des tournants. Tous ressentent une dette envers un enseignant qui a contribué de façon déterminante à leur avenir. Etre enseignant c’est faire quelque chose de sa vie…

Pour moi, au début des années 1970, c’était Mlle Chupin, ma professeure de français de seconde. Un vrai tyran, d’une exigence folle : elle n’hésitait pas à nous faire refaire un devoir jusqu’à ce qu’il atteigne le niveau qu’elle estimait décent. Mais une libératrice aussi. Elle nous a transmis ce qu’aucun de ses collègues n’avait fait : la musique des mots, ce lien entre leur sens et leur son qui donne envie de les essayer et apprend leur unicité. Avec elle j’ai pris plaisir à écrire.

Ce sont 20 rencontres de ce type que Vincent Rémy réunit dans « Un prof a changé ma vie » qui parait à l’occasion de la rentrée. Rédacteur en chef de Télérama, il a sollicité des personnalités qui toutes ont croisé un enseignant remarquable. Pour l’humoriste Sophia Aram, le destin prend le visage de son professeur d’Eps , Jean Jourdan, qui lui fait découvrir le théâtre d’improvisation. Pour Aurélie Filippetti, une professeure de français qui la sort de son milieu.

Evidemment ce livre ne peut pas nous faire oublier le poids des pesanteurs sociales. Et bon nombre des témoins convoqués par Vincent Rémy viennent de familles privilégiées socialement ou culturellement. Mais le livre restitue une autre vérité tout autant incontournable. Enseigner c’est avant tout aider un petit d’homme à grandir. Cette relation est immensément riche. Au moment où enseignants et élèves préparent leurs retrouvailles, le livre de Vincent Rémy nous rappelle qu’enseigner est un beau et grand métier.

Vincent Rémy :  » Il se passe des choses durant une année de classe « 

Vous êtes rédacteur en chef de Télérama, un magazine très lu par les enseignants. C’est cela qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Pas du tout. C’est le livre d’un journaliste et avant tout d’un individu. J’étais un enfant qui ne se plaisait pas dans l’école grisâtre des années 1960. J’ai eu une scolarité chaotique. Je rêvais d’être ailleurs. Je me voyais saltimbanque. Le premier professeur qui m’a marqué c’est un enseignant de cinéma : François Truffaut dans L’enfant sauvage. Quelle extraordinaire figure paternelle et d’enseignant. Après cette rencontre, j’ai été critique de cinéma durant 20 ans. Deux vrais professeurs m’ont marqué. Jeune lycéen à Nancy, je fréquentais le ciné club de Roger Viry-Babel à l’université. Il parlait magnifiquement des films. Plus tôt en 6ème et en 3ème, M. Lafont m’a poussé à travailler. Je n’avais pas été un élève facile ou même sympathique. Si j’ai écrit ce livre c’est un peu pour réparer et pour rappeler l’importance de la transmission.

On a tous le souvenir d’un enseignant qui nous a marqué. Mais toute la sociologie de l’école nous parle de l’importance de l’héritage familial dans la réussite scolaire. Il y a-t-il réellement une place pour le bon prof ?

Il y a du vrai dans la thèse de Bourdieu. Mais dans ce livre je donne aussi des contre exemples. A commencer par moi même : mon père venait d’un milieu bourgeois mais ma mère d’une famille très pauvre. Je ne pense pas être un héritier. Et la plupart des 20 personnalités du livre ne le sont pas non plus. Par exemple Philippe Claudel, Scholastique Mukasonga, Sophie Aram ou Gladys Cohen ne sont pas plus des héritiers.

A la lecture de tous ces témoignages, c’est quoi un bon prof ?

C’est d’abord quelqu’un de passionné. Je peux témoigner moi même de ma rencontre avec Erik Orsenna. Comme enseignant à Sciences Po, sous le nom d’Erik Arnoult, il dégageait une passion incroyable. Il nous simplifiait l’économie et il m’a donné jusqu’à aujourd’hui le goût des sciences économiques et l’envie d’interviewer dans Télérama des économistes. J’ai aimé ses cours. J’ai découvert ensuite l’écrivain. J’aime ce qu’il dit à la fin de son témoignage qui résume bine ce qu’est un bon prof : « il a adoré apprendre et a essayé de transmettre ». Je crois beaucoup en cette idée de la transmission et c’est ce que je fais à travers mon travail. Un bon prof c’est ca : il adore apprendre toute sa vie et il adore transmettre. Mes 20 témoins adressent un signe amical à tous ceux qui font le bel effort de transmettre. Il faut lire ce que François Pinault dit de ses professeurs , les Cadiou. Lui qui parlait gallo ils l’ont dégrossi en français. Nombre de mes témoins sont d’ailleurs devenus professeurs comme Orsenna, Claudel, Sallenave ou Miroslav Radman.

Comment avez vous choisi vos 20 personnalités ?

Je ne voulais pas d’héritiers. Je voulais des gens qui se sont faits. Certains ont eu des parents intéressants. D’autres non. André Dussolier, par exemple, doit son amour du théâtre à Mlle Schlemmer qui l’a emmené voir des pièces. Quand il m’a raconté cela, l’émotion le submergeait. Il était touché, caché derrière sa main, dans une confession touchante. Mon ami Bruno Podalydes m’a raconté l’histoire incroyable de son professeur d’économie, Georges Labbouz. Un personnage doté d’une identité complexe : pied noir comme son père, ancien élève de sa mère, figurant dans ses films… Il se passe des choses durant une année de classe. Il y a de la séduction comme Agnès Desarthe l’explique.

Aujourd’hui le métier est très critiqué. Et nombre d’enseignants souhaitent le quitter. Vos témoins parlent d el’Ecole d’il y a 20 ou 30 ans. Aujourd’hui la réalité du métier n’a pas changé ?

Je suis mal placé pour en parler. Mais ce que raconte Sophia Aram n’est pas si vieux. Et elle montre un personnage extraordinaire en la personne de son professeur d’EPS. Mais je vois aussi, à travers les sujets que l’on traite à Télérama, que l’Ecole reçoit tout ce qui va mal dans la société. Les professeurs subissent cela. Je veux avec ce livre donner aussi de la consolation.

Propos recueillis par François Jarraud

Vincent Rémy, Un prof a changé ma vie, Vuibert, ISBN 978-2-311-10028-0 (en librairie le 26 août).