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L’autorité n’est pas à restaurer, ni à évacuer, pas plus qu’elle n’est à réinventer : elle est à assumer, simplement… Les temps ne sont plus à reléguer l’autorité au rang de piètre erreur pédagogique. Elle a acquis aux yeux des nouveaux enseignants un statut de compétence professionnelle. En l’occurrence, Marie Beretti consacre sa thèse à la construction de cette autorité assumée… Marie Beretti a d’abord été professeure des écoles, avant de se tourner vers la recherche en éducation. Elle enseigne actuellement à l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne, où elle termine sa thèse de sciences de l’éducation, sur la question de la relation d’autorité à l’école.

Une idée très répandue veut que l’autorité soit naturelle… Vos recherches bousculent ce lieu commun…

C’est une problématique fondamentale pour les nouveaux enseignants. Toutes les recherches qui travaillent cette question montrent que la posture d’autorité de l’enseignant est un construit. Le corps est vecteur d’autorité, mais l’image de soi, aussi, est en jeu dans cette construction. L’autorité enseignante s’observe, s’analyse et se comprend, en termes de savoir-faire et de savoir-être. En ce sens, elle peut donc s’apprendre. C’est une compétence professionnelle parmi d’autres, qui se construit dans le temps et l’expérience. Cela dit, – et c’est sans doute ce qui explique la persistance de cette opinion qui voudrait que la posture d’autorité soit « naturelle » chez certains, ou qu’elle relève d’un indicible charisme dont certains chanceux seraient dotés…

Et d’autres non !

Cela ne signifie pas que tous les individus sont égaux devant cette épreuve : il faut bien reconnaître que pour certains, la construction de l’autorité se fait de façon plus intuitive, plus rapide et plus aisée. Pour d’autres, au contraire, le travail de construction sera plus chaotique et plus long. Sans doute parce qu’au-delà des gestes professionnels à incorporer, les enseignants ont aussi un travail sur eux-mêmes à accomplir, pour comprendre et parfois transformer leur propre rapport à l’autorité. De plus, pour des enseignants chevronnés, dont la posture d’autorité est clairement intériorisée, il est difficile d’analyser quel savoir professionnel ils mobilisent dans la relation d’autorité. C’est là, sans doute, un autre élément qui participe à cette confusion. Alors dans un soucis de rigueur, mais sans occulter ces inégalités devant la construction de l’autorité comme compétence professionnelle, on pourrait dire que l’autorité n’est pas « naturelle », mais qu’elle tend à devenir une « seconde nature » à travers la construction du moi professionnel.

L’autorité ne compromet-elle pas une bonne relation aux élèves ?

Tout dépend de ce que l’on met derrière le terme « autorité »… Si l’autorité est perçue comme un moyen de réaffirmer le pouvoir des adultes, dans le but de redresser ces hordes de jeunes qui ne respectent plus rien, alors oui, l’autorité compromet une bonne relation aux élèves. Si l’autorité est un carcan moyenâgeux qui brise l’enfant et contrarie son épanouissement personnel, alors oui, encore une fois, l’autorité compromet une bonne relation aux élèves. Mais si l’on envisage l’autorité comme une relation qui se construit dans l’espace et « la vie » d’une classe, entre un maître et des élèves, comme une relation qui se construit sur la confiance et le respect mutuel, comme une relation nécessaire au plein développement de l’enfant … alors non, l’autorité ne compromet pas une bonne relation aux élèves. Au contraire, c’est à la fois le garant et le signe d’une bonne relation aux élèves.

Il arrive pourtant que l’autorité de l’enseignant soit mise à mal par les élèves…

En réalité, l’autorité c’est ce qui ne se voit pas : c’est le moindre effet visible. Ce qui se voit, ce sont les efforts de l’enseignants pour rétablir la relation d’autorité lorsqu’elle est mise à mal par les perturbations des élèves. Alors l’autorité n’est pas à restaurer, ni à évacuer, pas plus qu’elle n’est à réinventer, selon moi : elle est à assumer, simplement. C’est la responsabilité des adultes envers les enfants, des enseignants envers leurs élèves, c’est une manière de prendre soin d’eux et de faire preuve de bienveillance à leur égard. Mais elle est à assumer pour ce qu’elle est : un acte éducatif, nécessaire, et respectueux de leur personne, qui se construit avec eux et non pas contre eux, dans le cadre d’une véritable relation.

Vos recherches vous amène à mettre en proposer un paradoxe : les élèves seraient eux-mêmes des constructeurs de l’autorité du maître…

Il existe une multitude de travaux sur l’autorité du maître, sa posture, ses actions, sa parole, son éthique, sa pratique, sa psychologie… Il me semble que ces questions, pour importantes qu’elles soient, n’abordent que de façon partielle se qui se joue réellement dans une classe. Mon objectif est de m’intéresser aussi au point de vue des élèves. En effet, l’autorité en soi, pour soi, n’a pas de sens. Ce(ux) qui lui donne(nt) corps, sens et réalité, ce sont les élèves. Mon travail consiste donc à intégrer le point de vue et le ressenti des élèves dans cette étude de la construction de la relation d’autorité.

L’autorité ne se décrète, ni se s’impose, elle se construit ?…

Elle se construit avec les élèves, qu’on le veuille ou non, et c’est en ce sens qu’il faut nécessairement l’envisager comme une relation. Dans cette construction, et par extension dans cette relation, les élèves ne sont pas passifs ou simples récepteurs. Ils ne sont pas seulement ceux sur qui s’exerce l’autorité. Ils participent à la construction de cette relation dans le sens où c’est leur reconnaissance de l’autorité du maître, de sa légitimité, qui fait que la relation fonctionne. Le pendant de l’autorité du maître, c’est une obéissance librement consentie des élèves. Toute la question est donc de savoir ce qui permet cette reconnaissance des élèves, et ce sur quoi elle s’appuie.

Ce sont les élèves qui ont les clés de l’autorité ?…

Si j’envisage les élèves comme des maillons essentiels dans la construction de cette relation, je ne considère pas pour autant qu’ils en ont, ou doivent en avoir l’initiative. C’est toujours au maître que revient l’initiative d’engager la relation, de lui encore et de ses dispositions, que se dessinera le type de relation, frontale ou collatérale, qui va se construire dans la classe. L’obéissance des élèves n’est que le résultat d’une relation d’autorité qui se construit dans un aller-retour permanent d’échanges, de preuves, d’actions et de réactions, d’attitudes qui se donnent à voir et s’interprètent de part et d’autre. Pas plus que le maître, les élèves ne sont les seuls constructeurs de l’autorité : tous sont des co-constructeurs de la relation d’autorité. Et dans une approche systémique de la relation d’autorité, c’est chacun des éléments qui est essentiel à l’équilibre et à la stabilité de l’ensemble du système.

Quelles seraient les caractéristiques d’une autorité qui marche bien auprès des élèves ?

Mon travail n’a aucune visée normative. J’aborde plutôt la question d’un point de vue philosophique, en essayant de définir ce qu’est une relation d’autorité éducative. Or l’approche empirique que j’adopte également, en enquêtant dans les écoles, afin de mettre à l’épreuve cette théorie, m’autorise à avancer qu’il n’existe pas une forme d’autorité idéale, mais bien des pratiques d’autorité, toujours personnelles, changeantes, hybrides, qui s’élaborent en contexte et en relation. Les caractéristiques qu’on donne sont toujours les mêmes : des élèves « en confiance », qui reconnaissent la légitimité de leur enseignant… Cela dit, rien n’est dit : qu’est-ce qui permet cette mise en confiance ? Quels sont les gestes, les paroles, les attitudes, les regards d’un maître qui vont étayer la confiance de l’élève ? Comment les élèves interprètent-ils ce qui se donne à voir et à entendre ? Quels sont les déjà là chez eux, qui permettent ou non, à la confiance de naître ? La confiance doit-elle se donner ? Peut-elle se gagner ? Se briser ? Se retrouver ?

Propos recueillis par Gilbert Longhi