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Fêter un dixième anniversaire, dans le domaine du numérique, c’est presque fêter un siècle avec les anciennes technologies…. Le département Ingénierie des Médias pour l’Education de l’UFR Lettres Langues de l’Université de Poitiers vient de fêter à double titre un anniversaire important : d’une part ce sont les dix ans d’un master Erasmus Mundus, et d’autre part ce sont les dix ans d’un évènement qui lance chaque année universitaire : le campus européen d’été. Des « mamies connectées » aux usages dans les classes, le campus a fait le tour du numérique en éducation avec un arrêt obligatoire sur la politique de la direction du numérique de l’Education nationale.

Quand on fête un anniversaire on s’oblige aussi à retrouver dans les archives quelques moments forts. Or, la télévision de l’université de Poitiers nous facilite la tâche, car elle a gardé depuis 2003 les traces de ces échanges sur le numérique en éducation. En quoi ces deux anniversaires sont importants : d’abord parce qu’ils marquent le fait qu’en dix années l’université a formé de par le monde près de 200 étudiants qui sont tous des acteurs du numérique en éducation aujourd’hui. Ensuite parce que, lorsqu’un évènement s’inscrit ainsi dans la durée, il est intéressant d’interroger l’évolution de celui-ci, surtout qu’il porte sur des technologies qui se renouvellent rapidement en particulier à la temporalité bien différente du monde éducatif.

Le campus européen de cette année (15 au 19 septembre 2014) avait pour titre « Territoires connectés » et s’intéressait à l’éducation et la culture dans un monde relié. Cette problématique a été abordée vivement dès le début de la semaine autour d’une table ronde qui a mis en évidence les écarts entre les acteurs concernés par la mise en place du Très Haut Débit. Entre l’éducation nationale, les collectivités territoriales et les opérateurs, il y a deux types de questions : qui décide quoi ? Et qui paye quoi ? Le vice président du conseil régional a apporté un autre questionnement complémentaire : quelle priorité dans les investissements ? Et pour y répondre il nous a montré qu’un citoyen a bien du mal à exprimer un besoin autre qu’à très court terme. Le très haut débit n’est pas une demande de citoyen en ce moment. Dans le même temps l’exigence de développement du numérique en éducation se trouve confronté à la nécessité d’infrastructures solides. Malheureusement, comme l’a constaté Pierre Louis Gavham du conseil général des Landes, les usages dans les classes ne sont pas encore suffisamment développés au regard des investissements consentis par la collectivité territoriale. Quant aux opérateurs, ils sont confrontés à une équation liée à la rentabilité de leurs installations ce qui gêne les décideurs des collectivités. L’état et ses représentants sont dans un système contraint dans lequel ils tentent de définir une politique dont l’application concrète leur échappe du fait de la décentralisation.

Si cette table ronde a marqué d’entrée la difficulté du développement actuel du numérique en éducation, il ne faut pas négliger l’importance des partenariats qui se mettent en place dans de nombreux lieux. C’est d’ailleurs des accords de cette nature qui ont été l’objet de la matinée de lancement du lundi 15 septembre, ponctués par la conférence remarquée de Didier Paquelin professeur à l’Université de Bordeaux qui nous a rappelé à partir de la question qui lui était posée « La mise en réseau du monde favorise-t-elle l’accès à tous à l’éducation » ? Que « l’apprentissage doit s’inscrire dans la dynamique des flux, des échanges et de la porosité ». Cette équation amenait inévitablement à poser celle de l’espace-temps de l’apprentissage dont on sait qu’ils sont malmenés en ce moment. En revisitant les valeurs qui sous-tendent l’action et le développement du numérique il nous a invité à repenser plus globalement l’acte d’éducation et d’enseignement en pensant en particulier une nouvelle forme scolaire plus flexible, plus en lien avec les évolutions rapides des personnes et de la société.

Serge Ravet a dès le lendemain matin mis en évidence, dans la suite du propos de Didier Paquelin, le risque d’enfermement lié à certaines formes du numérique. En nous proposant une certification informelle des apprentissages informels sous la forme de badge il a bousculé nombre de certitudes des participants. Entre agir et subir, l’être humain est pris par un environnement qui tente souvent de le soumettre et dont il est très difficile de se défaire. Mais bien plus important, Serge Ravet nous a rappelé qu’il était essentiel d’associer évaluation et confiance. Le système de badge qu’il a présenté suppose une véritable interrogation sur la reconnaissance des compétences, les siennes comme celles des autres. Le monde numérique ouvre des horizons, la fondation Mozilla qui soutient cette initiative des badges y participe largement, il est intéressant de voir comme le monde académique saura s’emparer de ce genre de propositions.

Au cours des tables rondes qui ont suivi toute la semaine, il a été aussi bien question de l’accès des publics éloignés (les mamies connectés) que de jeux sérieux (master mob), ou encore de khan académie (Bibliothèque sans frontière). Les échanges riches et fructueux ont permis aux participants de mieux comprendre les enjeux des territoires face au numérique. C’est d’ailleurs la région qui, par la voix de Monsieur Ramblière, vice-président en charge de l’Economie numérique a montré un engagement clair, aussi bien auprès des acteurs de l’économie (les entreprises) que des chercheurs (l’université de Poitiers, entre autres).

Si la première partie de la semaine s’est déroulée à l’Université de Poitiers, le mercredi a donné lieu à des présentations dans le cadre de l’atelier CANOPE, suivies de conférences dans le cadre du CNAM, les deux structures étant partenaires du Campus. La fin de semaine, comme depuis plusieurs années s’est déroulée dans les locaux de ce lieu magnifique de « médiation scientifique et technique » qu’est l’Espace Mendès France de Poitiers qui a accueilli de nombreux ateliers et tables rondes.

Si ces tables rondes ont offert, comme chaque année, un vaste panorama de la question abordée sous des regards bien différents, quelques autres conférences ont marqué aussi l’assistance. Celle de Jacques François Marchandise, de la Fing nous a rappelé qui était le citoyen ordinaire et les questions qu’il convenait de se poser face au numérique et à la citoyenneté. Son exposé à débouché sur un certain nombre de propositions parmi lesquelles : « … et si on tirait parti des incertitudes ? Ne pas tout prévoir, laisser du vide. Et si… on prenait en compte toutes les dimensions de l’open ? Et si … on prenait au sérieux les énergies collectives ? Et si … on considérait que le meilleur investissement d’avenir, c’est l’humain ? » A ces questionnements répondait le terme confiance. Daniel Peraya, de l’Université de Genève, quant à lui a rappelé ce qu’étaient les liens entre pédagogie et technologies numériques. C’est en évoquant la nécessité de penser une pédagogie créative et de métaréflexion d’une part et une approche « dispositive » et non outillée des technologies que Daniel Peraya nous a amené à une pensée du technopédagogique évoquant quelques piliers qui la composent : l’hybridation, l’accompagnement, la scénarisation, l’encouragement.

L’un des points d’orgue de la semaine a été l’intervention de Madame Catherine Becchetti Bizot, Directrice du Numérique Educatif au Ministère de l’Education. L’un des axes de la politique menée est celle du partenariat et de la concertation. Se défendant d’une vision descendante, critique souvent faite à l’Etat, la DNE a su montrer l’importance des collaborations multiples pour mener une véritable politique du numérique qui ne soit pas une série d’annonces non concertées. Associant aussi bien les laboratoires de recherche que les enseignants, les collectivités territoriales, et d’autres acteurs, cette politique entend faire du numérique un projet qui fasse écho aux espérances et aux enthousiasmes de ceux et celles qui tentent au quotidien d’éduquer. Cela veut dire aussi mettre en place des services auprès de chacun d’eux, que ce soit dans la formation des enseignants, l’accompagnement des équipes. Mais cela signifie aussi accompagner les travaux du Conseil Supérieur des Programmes en particulier, mais pas uniquement, dans la redéfinition du socle qui donne une part nouvelle au numérique. Si le niveau national se réserve une prérogative c’est d’éviter un éclatement des initiatives, des actions qui aboutirait à une forte inégalité entre différents territoires, différentes population.

Pour terminer ce compte rendu, il nous faut signaler que la première journée a été l’occasion pour l’ensemble des enseignants du consortium Erasmus Mundus de découvrir le livre : « Euromime » qui rapporte la manière dont dix années de travail en commun entre des pays européens et des pays d’Amérique centrale et du sud a permis la réussite aussi bien d’étudiants que d’enseignants chercheurs qui ont pu croiser leurs pratiques, mener des travaux en commun, développer des projets voire engager des jeunes vers la voie des doctorats comme en ont témoigné trois d’entre eux aujourd’hui engagés dans une thèse, en France et au Brésil. Dix années ponctuées d’autant de semaines de lancement et de colloque que l’on retrouvera en ligne prochainement sur la chaine de télévision de l’Université de Poitiers.

Bruno Devauchelle

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