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Peut-on réduire le décrochage sans changer l’Ecole ? « Quand on utilise le mot « décrochage » on est dans un lexique qui empêche de penser aux apprentissages. Or avant d’être des « décrocheurs », ces jeunes étaient des élèves avec des difficultés d’apprentissage ». Stéphane Bonnery a clos le séminaire organisé par Denis Fougère et Agnès Van Zanten dans le cadre du Liepp Sciences Po le 30 septembre. Eric Maurin, Pierre Yves Bernard et Christophe Michaud ont présenté leurs travaux. Tous, en négatif ou en positif, mettent l’accent sur le rôle de l’Ecole dans les processus de décrochage. Un tableau qui intéressera les politiques…

Comment les jeunes décrocheurs expliquent-ils leur départ du système éducatif ? Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut , université de Nantes, ont ouvert les débats le 30 septembre au Séminaire politiques éducatives de Sciences Po, en présentant une analyse unique des propos des décrocheurs. Basé sur une enquête téléphonique auprès de 1155 jeunes, un quart des décrocheurs des Pays de la Loire, leur travail éclaire avec cruauté leur rapport à l’Ecole. Car si les jeunes mettent en avant l’attrait de la vie professionnelle ou le désir de gagner de l’argent, huit sur dix confient « en avoir marre de l’école ». Une formule qui recouvre des réalités différentes sur lesquelles les auteurs ont travaillé. Ils arrivent ainsi à dresser 5 portraits de décrocheurs. Il y a ceux qui ont des difficultés à l’école, plutôt des filles redoublantes. Un autre groupe rassemble ceux qui jugent l’école inutile : ce sont plutôt des garçons souvent en conflit avec l’école. D’autres garçons évoquent l’attrait de la vie active : ceux là sont de milieu social indépendant et sans conflit avec l’école. Enfin deux groupes sont majoritairement féminins. Il y a celui des découragées, réunissant des filles qui ont décroché au lycée général et technologique après un échec au bac. Enfin les jeunes qui décrochent en donnant comme motif des problèmes personnels. elles sont plutôt de catégorie sociale privilégiées et ont redoublé le lycée. Au total, « dans les déclarations des jeunes, il y a une dénonciation très forte de l’Ecole », conclue PY Bernard.

La seconde étude est plus connue. Il s’agit du travail d’Eric Maurin, Dominique Goux et Marc Gurgand sur une expérimentation de prévention du décrochage réalisée dans l’académie de Versailles. Testé sur plus de 4000 élèves de troisième de l’académie de Versailles, le dispositif évalué par l’Ecole économique de Paris a un coût fort modeste : celui des vidéos qui sont projetées aux parents par les principaux. Car l’essentiel du dispositif consiste en la sélection des « élèves à risques » par les principaux et le dialogue personnel engagé par les principaux avec ces familles. Ils appellent au téléphone les parents et les invitent à assister à deux réunions.

Et leur intervention porte ses fruits. En comparant le devenir des collégiens de troisième à risque de décrochage avec des groupes similaires qui n’ont pas bénéficié de ces réunions, les auteurs mettent en évidence des changements significatifs. Le premier c’est qu’un pourcentage significativement plus élevé de parents viennent assister aux réunions auxquelles ils sont invités (+24% selon l’étude). L’impact de ces réunions est attesté. A leur issue, les parents se forgent des espoirs plus réalistes sur le devenir scolaire de leur enfant. Les réunions n’ont pas d’effet sur le niveau scolaire de ces élèves à risque qui reste très faible et ne s’améliore pas. Mais les parents abandonnent davantage (+8%) le rêve d’un bac ou la demande d’un redoublement pour se tourner vers un CAP. Les choix d’orientation des familles s’en trouvent affectés. Les demandes d’entrer en CAP augmentent d’un tiers et les voeux pour une filière bac diminuent en proportion. Le taux de décrochage diminue de 36%, celui des redoublements, souvent improductifs, de 34%. Pour Eric Maurin, « on peut faire reculer le décrochage par une intervention cosmétique. On peut agir sans politique de longue haleine, engageant des moyens importants et une transformation de l’Ecole ».

Les deux travaux ont été mis en discussion. Cédric Afsa, de la Depp, a mis en avant la part croissante des politiques de prévention dans les dispositifs. Par exemple la campagne ministérielle pour l’évaluation. Stéphane Bonnery a enfoncé le clou à propos des responsabilités de l’Ecole. « Le décrocheur c’est quelqu’un qui avait des difficultés d’apprentissage », rappelle-t-il. « Si on les avait aidé on aurait été plus efficace », estime-t-il. Il rappelle aussi la fabrication du décrochage par l’Education nationale. Chaque année de 700 à 800 élèves ne peuvent pas continuer leurs études faute de place dans leur filière dans l’académie de Créteil. S Bonnery évoque aussi les redoublants de terminale poussés au décrochage par l’institution.

Qu’elle le fabrique ou qu’elle se montre efficace dans les dispositifs qu’elle met en oeuvre contre le décrochage, l’Ecole est au centre des motifs qui jettent chaque année 140 000 jeunes hors système sans diplôme. Si les politiques s’emparent vraiment de ce dossier, ils pousseront à la transformation de l’Ecole. Les décrocheurs pourraient bien sauver la refondation.

François Jarraud

L’experience de Versailles

Marre de l’école, l’étude du CREN (Bernard et Michaut)