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À 26 ans, Astrid Jolibois, agrégée de philosophie, fait ses premiers pas d’enseignante au Lycée Condorcet de La Varenne Saint Hilaire. Stagiaire sous statut « rénové », elle effectue 9 heures de cours auprès de 3 classes, et suit une formation à l’ESPE de Versailles, qui regroupe quelque 37 stagiaires de philosophie pour les académies de Créteil et Versailles. Une expérience que la jeune femme apprécie : malgré les difficultés du métier, elle retrouve l’approche de la philosophie qu’elle avait aimée étant élève, la découverte de problèmes inédits qui changent le regard sur le monde. Cette jeune prof enthousiaste, qui a trouvé sa voie, évoque son expérience pour le Café pédagogique.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée en arrivant dans vos classes ?

Le plus surprenant, au moins dans l’une de mes classes, c’est le bavardage : un bavardage tournant qui se diffuse partout et ne s’arrête jamais. C’est très étonnant. Les autres collègues, avec qui je parle beaucoup, font la même expérience. Ce sont pourtant des élèves capables d’interventions pertinentes, mais ils discutent entre eux et sont inattentifs. J’en avais entendu parler, mais je n’imaginais pas que ce puisse être aussi épuisant de lutter contre le bavardage !

J’ai aussi été étonnée par la tendance des élèves de séries générales à se montrer distants, méfiants à l’égard de la matière. Dans un cours sur le stoïcisme, par exemple, les élèves de S et de ES n’ont vu que l’illustration de la folie du philosophe ; alors que les STMG ont été touchés par l’héroïsme de la démarche. Mes élèves de STMG sont souvent plus investis dans le cours. Ils prennent au sérieux ce que je leur propose. Ils bavardent aussi, mais acceptent davantage de s’investir dans la démarche.

Autre surprise, même si je m’y attendais, c’est de redécouvrir à quel point la philosophie est difficile. On l’oublie quand on prépare les concours, parce qu’on est confronté à une difficulté qui nous est familière. Pour les élèves, c’est très nouveau. C’est d’abord la difficulté du vocabulaire : ils n’ont pas toujours les mots qui expriment et nuancent la pensée. Et l’usage technique des termes leur pose problème : ils n’admettent pas qu’un mot puisse avoir des définitions différentes selon les philosophes. Pour eux, le dictionnaire fait autorité, avec un sens unique. Certains n’ont pas admis, par exemple, que le terme de passion puisse se référer à la douleur, à la souffrance subie. Il me semble que le professeur fait moins autorité en philosophie qu’en d’autres matières. Peut-être parce que nous abordons des questions qui appartiennent à tout le monde, mais d’une autre manière que l’opinion. Aux yeux des élèves, et particulièrement en STMG, le propos du professeur reste l’expression d’une opinion particulière. Mais cela évolue au fil du temps.

Avez-vous trouvé des stratégies pour désamorcer cette réticence ?

Je leur demande de revenir au calme, de se rendre attentif et de jouer le jeu de la compréhension : ils peuvent ne pas être d’accord, mais ils doivent accepter d’entendre une idée inattendue et de voir qu’elle présente un intérêt, peut-être davantage que la réponse qu’ils m’opposent. J’illustre par une situation concrète, un exemple, et ils acceptent en général de convenir de l’intérêt de ma proposition autant que je tiens compte de leur opposition. Sur le conseil de mes formateurs de l’ESPE, j’ai commencé par les notions de désir et bonheur. Ce sont des thèmes accrocheurs, mais saturés d’opinions, auxquelles ils sont très attachés. J’ai vraiment pu mesurer les enjeux de l’enseignement de la philosophie : comment conduire à philosopher des gens qui tiennent à leurs opinions ? Peut-être en partant de sujets plus techniques, qui entraînent moins d’avis, on peut davantage imposer la matière d’emblée – mais c’est peut-être aussi au risque de perdre des élèves ?

Qu’est-ce qui vous a manqué, à votre avis, au début de l’année et qui aurait pu vous aider ?

Des connaissances techniques très simples ! Pendant les vacances, j’avais préparé mes cours en détail, j’avais prévu la présentation de la dissertation et de l’explication de textes, mais le jour de la rentrée, j’ai découvert qu’un professeur doit savoir faire des choses que j’ignorais : comment punir, maîtriser le bavardage, mettre une heure de colle, recompter les copies rendues… Je n’ai pas de problèmes avec les élèves, il n’y a pas de conflits, je me sens à l’aise en classe et je suis dans un lycée sans réels problèmes de discipline. Mais j’avais beaucoup réfléchi au contenu des cours, sans anticiper la réalité de la situation de classe, qui exige de poser beaucoup plus de cadres concrets que je ne croyais. Mon tuteur m’y a beaucoup aidée.

Il y a une chose, pourtant, à laquelle il faut faire très attention : ne pas penser à l’élève qu’on a été soi-même, ne pas se prendre comme référence. Si on compare avec ce qu’on a fait soi-même au lycée, on ne s’en sort pas : les élèves ne sont pas tous destinés à devenir profs plus tard, il ne faut pas attendre d’eux ce qu’on a pu faire soi-même !

Avez-vous eu de bonnes surprises en découvrant la réalité de la classe ?

J’étais déjà très enthousiaste en arrivant, et mon enthousiasme n’a pas été déçu. J’apprécie de travailler avec des jeunes gens, j’aime leur diversité, je les trouve intéressés et intéressants. Il y a déjà des moments de rire, d’improvisation, où je peux sortir du cours pour expliquer un point particulier plus en détail. Mon propos est peut-être orienté par ma spécialisation, qui est l’empirisme matérialiste du 18e siècle, je pense que ça me conduit à construire mes cours d’une manière assez lisible. Mon domaine de prédilection, ce serait plutôt la philosophie de l’art : dans les années qui viennent, j’espère mettre en place des projets dans ce domaine, quand je verrai mieux comment m’y prendre…

On parle beaucoup des stagiaires démissionnaires. Qu’est-ce qui les déçoit, à votre avis ?

Je connais des stagiaires qui n’envisagent pas de rester enseignants, pas forcément en démissionnant mais en retournant continuer leurs études. La déception vient beaucoup du décalage de niveau entre les études demandées et les élèves qu’on rencontre. Et puis, pour la philosophie, sentir l’hostilité à l’égard de la discipline est très douloureux. Et puis il y a une autre raison : c’est un métier difficile et très fatigant ! Pour ce qui me concerne, en tout cas, c’est un métier qui me plaît et qui me convient. J’aime la philosophie et cela me plaît qu’elle soit enseignée en Terminale. Elle devrait l’être aussi en Bac pro, même sous une autre forme. J’aime voir ce qu’elle apporte aux élèves. Et je n’ai pas envie de faire de la philosophie « pour les philosophes », je veux m’adresser à tout le monde. Cela me permet de réapprendre à aimer la philosophie : je retrouve ce qui m’a tant plu quand j’étais au lycée. C’est là que j’ai appris à l’aimer.

Les modalités d’évaluation vous semblent – elles réalisables pour les élèves ?

En séries générales, ça me semble jouable. Mais en STMG, c’est difficile pour les élèves. Il y a beaucoup de problèmes de dyslexie. Ils ont peu écrit, peu lu, ils n’en ont pas l’habitude. À l’oral, ils ont moins de mal. J’essaie de les faire écrire le plus souvent possible, mais parfois ça n’a pas beaucoup de sens. Certains ont du mal à lire, surtout des textes avec un peu de vocabulaire ou une langue ancienne. Par chance, il y a un bon esprit dans ma classe de STMG, donc les élèves ne sont pas trop embarrassés de faire état de leurs difficultés devant les autres. J’essaie de leur poser des questions très précises sur les textes qu’on étudie, de tout expliquer. Au début, je passais assez rapidement sur chaque texte, mais je me suis rendu compte que ça ne leur servait à rien. Il faut tout regarder avec soin, à commencer par le sens des mots. Ils peuvent alors demander des explications de vocabulaire et tirer réellement profit de ce qu’on étudie.

Comment envisagez-vous de faire évoluer votre enseignement ?

Je vais surtout essayer de faire des cours plus courts, de mettre moins de contenu pour passer moins de temps sur chaque point. Je m’appuie beaucoup sur mes propres cours de philosophie, en Terminale L au lycée Lakanal… C’est mieux qu’un manuel, pour moi ! C’est une trame qui m’aide, pour le moment, et mon cours va évoluer de lui-même au fil du temps.

En tout cas, j’aime beaucoup travailler avec mes élèves, je les trouve rafraîchissants et je les apprécie. Même ceux qui ont le plus de mal sont tout aussi attachants et intéressants. C’est un métier qui me plaît vraiment. J’espère bien que ça va continuer !

Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet