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« L’émancipation par le LP est d’abord scolaire, et la thèse de la reproduction sociale n’est pas convaincante dès lors que les parcours des élèves restent hétérogènes au niveau de leur réussite alors qu’ils proviennent majoritairement de milieu populaire. » Comment expliquer le désintérêt dont est victime la voie professionnelle ? Garde -t-il une fonction de tri social ? S’y ajoute-il un tri ethnique ? Inspecteur général et sociologue, Aziz Jellab a publié un ouvrage remarqué sur l’enseignement professionnel. Il revient ici sur les questions du rôle émancipateur de cet enseignement et des raisons qui amènent les enfants d’ouvriers à choisir cette voie et ceux des enseignants à la fuir..

Pourquoi le lycée professionnel a-t-il souvent l’image d’un repoussoir lors d’une orientation par défaut ?

Pour comprendre les raisons ayant amené le LP à être associé à une voie d’orientation peu choisie, il faut faire un détour historique. A première vue, lorsqu’on compare la position des lycées professionnels aujourd’hui à celle des collèges d’enseignement technique, et bien avant encore, des centres d’apprentissage, le contraste est saisissant : au statut dévalorisé et dominé de la scolarité en lycée professionnel s’oppose l’image – certes idéalisée – d’un ordre de formation qui a longtemps transmis le savoir-faire ouvrier, dans une société industrielle en plein essor, où l’espoir de connaître une mobilité professionnelle et sociale grâce à la formation était fortement ancré. La formation des futurs ouvriers, avec la création du CAP en 1919 et sa normalisation sous Vichy – le diplôme est devenu national – puis avec l’instauration jusqu’en 1967, d’un examen d’entrée dans les collèges d’enseignement technique (futurs LEP puis LP), bénéficiait d’une forte reconnaissance tant sociale que par les milieux professionnels.

L’enseignement professionnel a su, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, garantir un statut social et professionnel aux titulaires du CAP : on devenait directement ouvrier professionnel avec la perspective de connaître une promotion dans l’entreprise. La recomposition de la classe ouvrière, annonçant le déclin de son unité, la scolarisation de la formation professionnelle des futurs ouvriers, et le développement massif d’un chômage touchant fortement les milieux populaires, conduiront au discrédit de ce que l’on appelait « l’enseignement technique court ». Ils renforceront le sentiment d’une chute que partagent beaucoup d’élèves des élèves entrant dans les lycées professionnels. On allait au LP parce qu’on était fils (ou fille) d’ouvrier ; désormais, les élèves y vont pour nombre d’entre eux parce qu’ils sont en échec au collège !

Le lycée professionnel a connu de profonds changements depuis bientôt quatre décennies…

Sur de nombreux points, tout semble séparer le LP aujourd’hui de ce qu’il fut au temps où il accueillait des élèves censés constituer la future élite des ouvriers qualifiés. Institution peu choisie, même si des évolutions récentes relativisent ce constat, discréditée au collège, accueillant surtout des élèves ne pouvant pas intégrer la voie générale et technologique, le LP ressemble davantage à un contexte devant d’abord « réparer », socialiser et « réconcilier » un public avec l’école et les savoirs avant de le former professionnellement. La création du baccalauréat professionnel a indiscutablement contribué à valoriser le LP mais dans le même temps, la thématique du décrochage tend à focaliser et à juste titre, l’attention des acteurs, quand le sort des élèves de CAP, soit le public le plus fragile scolairement et socialement devient également préoccupant !

Comment expliquer la dévalorisation de la voie professionnelle ?

C’est au moment où cette formation s’est scolarisée et a été « intégrée » à l’Education nationale qu’elle a entamé un processus de dévalorisation que la crise du marché du travail lors des années 70 va précipiter en quelque sorte. La dévalorisation de la voie professionnelle procède de la conjonction de trois facteurs : sa scolarisation – au double sens du terme, intégration à l’EN, sous l’effet de la massification, et scolarisation des contenus d’enseignement -, la tertiarisation du marché du travail – ce qui se traduit par la recomposition de la classe ouvrière et par la difficulté à assurer aux nouvelles générations un appui symbolique promouvant une culture de métier et des solidarités – et le développement du chômage qui touche dans de fortes proportions les diplômés de l’enseignement professionnel. L’élévation de niveaux de qualification contribue à propager l’idée que la survie scolaire et l’accès aux diplômes supérieurs restent surtout l’apanage de la filière générale et éventuellement technologique de lycée.

Ces raisons socio-historiques suffisent-elles pour comprendre le désintérêt à l’égard de la voie professionnelle ?

Il y a aussi des facteurs plus institutionnels, qui ont à voir avec la manière dont les collèges fonctionnent par rapport à l’orientation. L’observation des conseils de classe de 3ème fait encore la part belle aux notes et les qualités d’un élève ne sont in fine définies qu’à travers le prisme de son niveau scolaire. Aussi, prédomine l’idée que l’orientation vers le LP est une sorte de choix « raisonnable » d’une filière peu, voire non scolaire ! Poursuivre des études en LP, c’est ne plus être un élève comme les autres et du coup, il existe une violence plus que symbolique qui participe du choix ou du non choix de la voie professionnelle.

Mais tout en prenant acte du caractère contraignant de l’orientation vers le LP, il ne faut pas en faire un élément déterminant le parcours scolaire ultérieur ! Pourtant, le lycée professionnel a non seulement contribué au processus de massification scolaire, ouvrant ainsi l’accès à des diplômes professionnels pour les nouvelles générations, mais aussi, il constitue ce contexte de la « deuxième chance » pour un public ayant largement éprouvé l’échec scolaire en collège, lorsque ce n’est pas dès l’école primaire.

Mes récentes observations de terrain, qui rejoignent celles effectuées par Pierre-Yves Bernard et Vincent Troger, mettent en évidence quelques changements non négligeables : d’abord, les élèves entrent plus « jeunes » en LP, notamment en seconde pro ; ils aspirent pour une majorité d’entre eux à poursuivre leurs études après le bac. Mais leur souhait de poursuivre des études ressemble moins à une revanche sur la « voie normale » – même si elle continue à subsumer le sens des études chez une partie des élèves – qu’à un cheminement « logique » dans un parcours réussi.

Nombre de bacheliers professionnels ont un souhait de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur ? Peuvent-ils envisager un cursus universitaire Licence, Master, Doctorat ?

Vous soulevez là un problème qui est désormais récurrent et qui va en se renforçant : la poursuite d’études des bacheliers professionnels. A l’origine, ce diplôme a été clairement positionné comme préparant à l’insertion professionnelle. Mais le code de l’éducation élargit les missions revenant au LP et à la voie professionnelle en général. On peut lire à l’article L337-1 : « Principalement organisées en vue de l’exercice d’un métier, elles [les formations professionnelles du second degré] peuvent permettre de poursuivre une formation ultérieure ». Depuis la réforme du bac pro 3 ans, on constate que les élèves entrant en LP sont plus jeunes – il y a moins de redoublement au collège et certains élèves préfèrent la voie professionnelle à la voie technologique – et ils sont près de 60% à déclarer vouloir poursuivre leurs études au-delà du bac. Il est indéniable que la voie professionnelle, en ouvrant des perspectives de poursuite d’études après le bac, devient plus attractive et apparaît de moins en moins comme débouchant sur une impasse ou comme enfermant les élèves dans un horizon scolaire limité. Pour autant, ce n’est pas parce que les élèves aspirent à entamer des études supérieures, essentiellement en STS, qu’ils se mobilisent sur les savoirs et notamment sur l’enseignement général qui continue à leur apparaître comme théorique. Conjuguée à des pratiques pédagogiques spécifique, certes soucieuses de faire réussir les élèves mais surestimant le contexte du LP comme étant quasiment le seul lieu d’apprentissage – peu d’enseignants donnent des devoirs à faire à la maison –, la réticence à l’enseignement général ne favorise pas une transition aisée vers l’enseignement supérieur.

Cela ne signifie-t-il pas que les bacheliers professionnels ne peuvent envisager de poursuivre des études universitaires qu’à certaines conditions ?

Je dois souligner que contrairement au discours dominant, mais aussi à certains travaux sociologiques, la proportion des bacheliers professionnels inscrits à l’université est très faible comparée à celle des inscrits en STS (moins de 7% dans le premier cas, contre près de 20% dans le second cas), et je soupçonne derrière la compassion affichée pour les bacheliers professionnels inscrits à l’université un vrai mépris concernant ce public et sa supposée incapacité à accéder à la « culture légitime » ! Cela ne signifie pas que les bacheliers professionnels peuvent envisager de poursuivre des études universitaires sans condition.

Ceux qui s’inscrivent à l’université ont souvent été refusés en STS ou en IUT et ils sont peu nombreux à franchir le palier de la licence 1. Cela doit à leur impréparation scolaire à cette épreuve que renforce le fonctionnement même de l’université, institution faiblement intégrée et peu intégrante comme je l’avais souligné à l’occasion d’une recherche menée en 2011. Mais on peut relever que le passage par un BTS avant d’entrer soit en L2 ou en L3 (en général, en licence professionnelle) constitue souvent une transition plus heureuse vers des études longues. La poursuite des études, au moins jusqu’à la licence 3 constitue un enjeu important car l’ambition politique d’amener 50% d’une classe d’âge à ce niveau ne pourrait être effective, sans le concours de la voie professionnelle.

Voilà pourquoi, à, l’instar des autres bacheliers mais sans doute de manière plus volontariste, les bacheliers professionnels mériteraient une plus grande attention, un accompagnement sous forme de tutorat et une ingénierie pédagogique qui interroge autrement la relation entre enseignements et apprentissages. On ne dispose pas de statistiques concernant les étudiants en master ou doctorat passés par la voie professionnelle mais sur le terrain, il m’arrive de rencontrer d’anciens élèves de LP ayant connu un parcours réussi dans l’enseignement supérieur long.

L’enseignement professionnel peut-il concilier la tradition d’accueil du public scolaire le plus fragile et prétendre à l’excellence des résultats ?

Comme vous le savez, la notion d’excellence scolaire a quelque chose de particulier en France puisqu’elle est fortement associée à la réussite dans les filières prestigieuses, de sorte qu’obtenir un baccalauréat professionnel avec la mention très bien a moins de valeur qu’être admis au rattrapage au bac S ! Mais face à cette conception de l’excellence qui structure l’imaginaire scolaire, les élèves de LP réalisent pour nombre d’entre eux qu’ils sont capables d’apprendre, de maîtriser des notions et des connaissances, de construire des compétences, et de ce fait, qu’ils peuvent exceller dans des domaines de prédilection.

J’ai par exemple relevé que de nombreux élèves mobilisaient les compétences acquises en LP et en stage pour aider leurs parents ou leurs amis, de sorte que réussir ses études ne procède plus des seules appréciations professorales. Mais c’est l’un des défis de l’enseignement professionnel que d’amener les élèves à prendre davantage confiance en eux, ce qui suppose un équilibre subtil entre accompagnement bienveillant et exigence intellectuelle. Ainsi, l’évaluation indulgente à l’entrée en LP laisse place progressivement à une évaluation plus exigeante mais attentive à ne pas décourager les élèves les plus vulnérables. Certains PLP n’hésitent pas, suite à une évaluation ou à une interrogation faiblement réussie, à proposer les mêmes exercices de manière à ce que l’élève puisse améliorer sa note, et du même coup, être plus attentif au corrigé.

Toutefois, les difficultés cognitives d’une partie des élèves – difficultés qui ne relèvent pas systématiquement du « niveau intellectuel » mais peuvent être liées à des problématiques sociales et existentielles, l’élève n’étant pas disposé à entrer dans les activités proposées – amènent à s’interroger sur la capacité de l’enseignement professionnel, des LP notamment, à créer une souplesse pour favoriser des parcours tenant compte du rythme de chacun. Je pense particulièrement aux élèves de CAP et à certains élèves de bac professionnel.

L’excellence, c’est aussi la capacité de l’institution scolaire et de ses acteurs à favoriser des parcours réussis permettant à chaque élève de disposer de ressources – diplôme, compétences, savoirs – afin de faire face à « la vraie vie », le marché du travail et l’espace public en l’occurrence. De manière générale, l’excellence ne peut seulement être affaire de niveau mais doit également être pensée à partir de ce que les élèves deviennent et du degré de maîtrise de leur quotidien.

Les lycées professionnels reçoivent majoritairement des élèves de milieux populaires. Leur fonction ne repose-t-elle pas historiquement sur une condescendance éducative qui se contente de gérer la reproduction sociale, certes républicaine, mais sans rencontre effective avec ascenseur social ?

Les lycées professionnels ont connu de profonds changements durant les trois dernières décennies. Alors qu’ils préparaient essentiellement au CAP et au BEP, la création du baccalauréat professionnel va annoncer le déclin du premier diplôme en formation initiale, la dévalorisation du second sur le marché du travail et sa disparition en tant que diplôme faisant l’objet d’une formation spécifique avec la généralisation du bac pro en 3 ans.

Certes, historiquement, les LP ont accueilli et accueillent des élèves issus majoritairement de milieu populaire mais la donne était sensiblement différente lors des Trente glorieuses qu’avec le développement du chômage de masse et l’essor des emplois précaires. Les ouvriers titulaires d’un CAP étaient assurés d’avoir un emploi stable et une partie d’entre eux ont connu une ascension sociale, devenant soit des techniciens, ou constituant une aristocratie ouvrière rompue à des valeurs de classe moyenne. De ce fait, il était difficile de soutenir que les collèges d’enseignement technique, futurs LEP puis LP, assuraient une reproduction sociale puisqu’ils ont permis une élévation des niveaux de qualification via l’acquisition d’un diplôme, le CAP ou le BEP, très reconnus socialement et professionnellement.

Pourtant, l’intégration de l’enseignement professionnel au système éducatif a marqué sa disqualification, de sorte que s’il a assuré une émancipation professionnelle, cela s’est « payé » en quelque sorte par son déclassement sur l’échelle de la hiérarchie scolaire. De ce fait, l’orientation vers le LP est devenue synonyme d’échec pour une partie des élèves, moins parce que cette voie prépare à un métier ou à un corps de métiers que parce qu’elle est moins reconnue par rapport à la voie générale et technologique. La « condescendance » dont les élèves de LP font l’objet peut donner lieu à l’intériorisation d’une image de soi assez dévalorisée, tel cet élève de CAP menuiserie disant être « moins intelligent que les élèves qui sont partis dans la voie normale » (le lycée général et technologique), ou cette autre élève de seconde professionnelle insistant sur le fait qu’au LP, « on ne voit que des choses simplifiées, de la révision des cours », sous-entendant que les enseignants sont moins exigeants à son égard parce qu’elle n’aurait pas les capacités intellectuelles !

Mais ce tableau quelque peu pessimiste ne doit pas masquer le fait que le LP offre à de nombreux élèves la possibilité de s’émanciper intellectuellement et socialement. Car il ne faut pas oublier que nombre d’entre eux étaient en échec au collège et que la confrontation à des savoirs comme la construction de compétences, sur fond de pratiques pédagogiques originales ou en rupture avec celles du collège, leur assure une réussite qui autorise des projets d’avenir. Plus diplômés que leurs parents, ayant plus de probabilité de poursuivre des études dans l’enseignement supérieur, les élèves vivent néanmoins une tension qui est de connaître une ascension scolaire sans être assurés de connaître une ascension sociale.

Voilà pourquoi j’ai insisté sur le fait que l’émancipation par le LP est d’abord scolaire, et que la thèse de la reproduction sociale n’est pas convaincante dès lors que les parcours des élèves restent hétérogènes au niveau de leur réussite alors qu’ils proviennent majoritairement de milieu populaire.

Comment modérer l’ethnicisation de l’orientation dans certaines filières professionnelles ? On observe une corrélation entre certaines origines ethniques et quelques branches de métiers nettement repérées. Pour éviter les ghettos scolaires identifiés à des Lycées professionnels précis, ne serait-il pas nécessaire de réduire la concentration d’élèves des minorités visibles dans les mêmes filières professionnelles ?

La question de l’ethnicisation de l’orientation relève de manière plus générale de la place de la « question ethnique » au sein de l’école aujourd’hui. Nous savons que c’est une question sensible et que les enquêtes de terrain introduisent des biais méthodologiques comme ce fut le cas, par exemple, avec le travail mené sur des collèges par Georges Felouzis et son équipe en 2005. J’ai rencontré des élèves issus de l’immigration à l’occasion de mes enquêtes de terrain et notamment dans des lycées industriels. Leur concentration dans certaines spécialités appelle à s’interroger sur les choix d’orientation mais aussi sur les non-choix dès lors que certains domaines professionnels leur semblent inaccessibles.

Ainsi, le sentiment d’avoir été victime d’une double ségrégation n’est pas rare – une orientation vers la voie professionnelle doublée d’une affectation dans une spécialité non choisie et peu valorisée – et cela interpelle l’identité de ces élèves qui ont l’impression d’être dans un entre-soi non voulu, augurant de faibles perspectives de réussite professionnelle ! En effet, nombre d’élèves éprouvent des difficultés à trouver une entreprise d’accueil pour les périodes de stage et cela annonce, de leur point de vue, des difficultés à obtenir un emploi à l’issue de la formation.

Mais cette concentration est aussi renforcée par les stratégies d’évitement du LP par des familles ne souhaitant pas scolariser leurs enfants avec des élèves issus de l’immigration. Ce phénomène est plus fréquent dans les périphéries des villes à forte tradition ouvrière. Pour lutter contre cette surreprésentation des élèves dans certaines spécialités ou LP, il conviendrait d’amener les LP à travailler en réseau de manière à ouvrir d’autres perspectives professionnelles. Le travail en réseau suppose en amont une information apportée aux élèves et à leurs parents qui puisse les autoriser à construire des projets professionnels et d’études plus larges et notamment dans les spécialités les plus convoitées.

Les fils et filles d’enseignants occupent 0,5% des places en Lycée professionnel et 45% en classes préparatoires aux grandes écoles. Comment interprétez-vous cette donnée ?

Les statistiques indiquent que la part des enfants d’enseignants en LP est très faible : 1% en bac pro et 0,6% en CAP quand les CPGE comptent une surreprésentation de cette catégorie sociale ! A cela, il y a plusieurs raisons : d’abord, et toutes les enquêtes le confirment, les enfants d’enseignants avec ceux des professions libérales à hauts diplômes scolaires comptent parmi les meilleurs élèves, leur niveau scolaire doit au degré de familiarité des parents avec la culture scolaire et à une meilleure connaissance des subtilités pédagogiques de sorte qu’ils apportent une aide précieuse aux apprentissages ; ensuite, les enseignants ont intériorisé le modèle de l’excellence scolaire qu’ils associent fortement aux filières sélectives, celles qui mènent vers l’encadrement supérieur et les positions sociales favorables.

Mais il y a une troisième raison qui tient à la hiérarchie structurant et organisant l’institution scolaire. En effet, et mes enquêtes de terrain menées auprès des professeurs stagiaires débutants l’ont confirmé, la plupart des enseignants sont socialisés au fait que les concours qu’ils ont passé apportent une légitimité professionnelle inégale selon qu’ils soient agrégés, certifiés ou PLP. Or cette légitimité est étroitement liée à la hiérarchie des savoirs doublée du degré de sélectivité qui se trouve être plus effectif à mesure que l’on a affaire à des disciplines consacrées et plus abstraites.

Par conséquent, les fortes réserves à l’égard d’une orientation vers le LP ne peuvent être séparées de la place que les enseignants occupent dans l’institution scolaire et de leur conscience vive du fait que le parcours scolaire dans une filière plus « pratique » équivaut à une sorte de déclassement. Voilà pourquoi à résultats équivalents, voire plus faibles, les enseignants ont davantage de propension à orienter leurs enfants vers la seconde générale que ne le feraient les ouvriers ou les employés.

Propos recueillis par Gilbert Longhi

Voir aussi sur son dernier ouvrage cet entretien

Le dernier ouvrage d’Aziz Jellab : L’émancipation de la réussite scolaire. Pour un lycée professionnel de la réussite.

S’appuyant sur des enquêtes de terrain menées depuis plusieurs années, cet ouvrage traite de ces différentes questions. Il aborde les effets de la réforme du baccalauréat professionnel en trois ans, l’émergence des projets de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur court, et s’interroge sur le devenir du CAP qui accueille le plus souvent le public scolaire le plus fragile. Prenant le contre-pied des rares recherches sociologiques qui ne pensent l’enseignement professionnel que sous l’angle de la reproduction sociale des rapports de domination, le propos pointe les défis à relever pour une institution qui doit assurer à son public une émancipation scolaire alliant compréhension, accompagnement et exigence intellectuelle. JELLAB Aziz. L’émancipation de la réussite scolaire. Pour un lycée professionnel de la réussite. Presses universitaires du Mirail Coll. Socio-logiques, 206 pages, 19€. Avril 2014.

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