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Depuis combien de temps avez vous vu le médecin du travail ? Si vous êtes enseignant, vous ne l’avez probablement pas vu depuis votre visite médicale d’embauche, il y a… longtemps. Et ce n’est pas un hasard. Pour suivre un million d’employés, le ministère de l’éducation nationale ne compte que 68 médecins (ETP), soit un pour 15 360 adultes. Quelles conséquences pour les enseignants et les non enseignants ? Le ministère fait-il le nécessaire pour que ça change ?

En voyage en Guyane les 16 et 17 octobre, N Vallaud-Belkacem a intérêt à ne pas oublier sa pharmacie. Dans cette académie, l’éducation nationale ne dispose d’aucun médecin de prévention en charge de suivre le personnel. C’est le cas dans 4 autres académies de métropole : Besançon, Reims, Limoges et Orléans-Tours. La situation n’est guère meilleure en Guadeloupe et en Martinique qui ne disposent que d’un seul médecin de prévention. Mais dans toutes les académies les enseignants ont pris l’habitude de ne jamais voir la médecine du travail et de faire face seuls aux risques.

Est ce grave, docteur ? A quoi peut bien servir un médecin de prévention ? Une série de textes, souvent anciens, impose une surveillance médicale des agents et une visite au moins tous les 5 ans. Le médecin de prévention doit aussi visiter un salarié à sa demande ou à celle de l’administration. Il est là aussi pour assurer la surveillance médicale des personnels exposés à des risques. Une situation qui est plus fréquente qu’on ne le croit à l’éducation nationale.

Dans une synthèse sur la médecine de prévention à l’éducation nationale réalisée en 2014, le Doctuer Garcin rappelle que la responsabilité pénale de l’employeur est engagée si le suivi des personnels est insuffisant en ce qui concerne l’exposition à l’amiante, un matériau très utilisé dans les bâtiments scolaires des années 1960 et 1970. Or la surveillance médicale de ces personnels est « très difficile dès lors que la liste ciblée des personnels n’est pas mise à jour », relève-t-elle. Selon le même document seulement 2 académies ont fait remplir des fiches d’exposition à l’amiante. 9 académies seulement tiennent une liste d’agents exposés aux produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. A en croire les rapports transmis au CHSCT ministériel la médecine de prévention n’arrive pas à répondre aux obligations légales. En mai 2014, le CHSCT ministériel a adopté à l’unanimité un avis rappellent que « des milliers de collègues partent en retraite sans avoir pu prendre connaissance de risques encourus pendant leur vie professionnelle. La plupart n’ont pu remplir de fiche d’exposition. »

L’autre grand domaine d’action de la médecin de prévention c’est la gestion des risques psychosociaux. Il s’agit des maladies, comme la dépression, qui apparaissent quand le travail rend malade. « La notion de souffrance au travail est encore rejetée par les responsables du ministère de l’éducation nationale », m’explique un intervenant régulier en CHSCT. Mais l’expérience des enseignants de STI ou du bac pro GA, déqualifiés brutalement à l’occasion de réformes, le vécu quotidien de nombreux enseignants installés sur des postes difficiles, les plaintes pour harcèlement recueillies par le médiateur de l’éducation nationale, montrent que ce risque est relativement fréquent dans le système éducatif.

Longtemps nié, c’est finalement ce risque qui fait bouger l’éducation nationale. Un protocole d’accord relatif à la prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique a été signé en 2013. Il prévoit que les administrations établissent un plan d’évaluation et un plan de prévention. Et pour cela diligentent une enquête en 2015. Plusieurs circulaires ont bien été publiées en 2014 pour appliquer l’accord. Mais pour le moment seule une surveillance des professeurs de STI est actée. Seulement 12 académies ont mis en place un plan d’action contre ces risques. 12 n’ont même pas de cellule d’écoute.

« L’amélioration de la surveillance médicale des agents est une priorité du ministère cependant l’effectif actuel des médecins de prévention ne lui permet pas encore de remplir de façon satisfaisante les obligations en matière de surveillance médicale de ses agents selon un rythme quinquennal ou exceptionnellement annuel », précise le ministère. Le plus urgent c’est bien de recruter des médecins de prévention. Luc Chatel avait lancé en 2011 un plan de recrutement de 80 médecins qui n’a pu être honoré. Seulement une vingtaine de médecins (ETP) ont été embauchés depuis 2011. 4 sont venus renforcer les maigres troupes de l’éducation nationale en 2013. On reste loin du compte. Pour Jocelyne Grousset, secrétaire générale du SNMSU Unsa, « tout vient du manque d’attractivité de l’éducation nationale. La charge de travail est lourde alors si le salaire est insuffisant on a un vrai problème de recrutement ». Comme pour le recrutement enseignant, leur rémunération (de 3000 à 6000 euros brut) est trop faible par rapport aux revenus moyens d’un médecin. Les académies peuvent pourtant recruter les médecins comme contractuels et négocier avec eux leur salaire. Un rapport conjoint de l’IGAS et de l’Inspection générale du ministère devrait prochainement apporter de nouvelles propositions. « Les recteurs sont spécialement sensibilisés » , nous dit le ministère. Et c’est vrai pour certains. Mais le CHSCT ministériel a protesté encore en mai 2014 contre le fait que certains médecins de prévention ont toujours des bureaux sans eau et sans téléphone…

La situation met-elle en danger les enseignants et les élèves ? « On demande que les risques soient déjà repérés » nous dit J Grousset. « Certaines académies le font. Ailleurs il ne se passe rien. Pour les élèves, quand un enseignant n’est pas bien psychologiquement le fait de pouvoir voir un vrai médecin c’est précieux. Ca rendrait aussi l’école plus bienveillante. Enfin l’Ecole est un bon endroit pour faire de l’éducation à la santé. Au ministère maintenant de fixer ses priorités ».

François Jarraud

Effectifs de médecins de prévention

Académies

ETP

Pers..Phys.

AIX-MARSEILLE

3,3

4

AMIENS

2,5

3

BESANCON

0

0

BORDEAUX

2,9

6

CAEN

1,8

2

CLERMONT-FERRAND

1,7

2

CORSE

0,5

1

CRETEIL

7,3

9

DIJON

2,5

3

GRENOBLE

4,4

5

GUADELOUPE

1

1

GUYANE

0

0

LILLE

2

2

LIMOGES

0

0

LYON

2,7

3

MARTINIQUE

1

1

MONTPELLIER

2,5

3

NANCY-METZ

3

3

NANTES

2,4

4

NICE

2

2

ORLEANS-TOURS

0

0

PARIS

2,6

5

POITIERS

1,5

2

REIMS

0

0

RENNES

3

3

REUNION

1,8

2

ROUEN

2,2

3

STRASBOURG

2,1

4

TOULOUSE

3

3

VERSAILLES

6

7

Administration centrale

2

2

Total

67,7

85

Quelques textes :

Décret n°82-453, Art.24.1 : « Les agents […] font l’objet d’une visite médicale auprès d’un médecin de prévention tous les cinq ans. Ils fournissent à leur administration la preuve qu’ils ont satisfait à cette obligation. »

Décret n°82-453, Art.22 : « Les administrations sont tenues d’organiser un examen médical annuel pour les agents qui souhaitent en bénéficier. »

Arrêté du 29/09/1997, article 28, 2e alinéa : « Tout membre du personnel appelé à manipuler des denrées alimentaires, doit avoir été déclaré apte à effectuer ces manipulations. Le responsable de l’établissement veille à ce que cette aptitude soit attestée médicalement chaque année. »