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« Le loup, i sait pas que ça va se débriquer » . C’est le sous-titre que Mireille Brigaudiot a annoncé pour son intervention à l’Université d’Automne du SNUipp le 17 octobre. A la suite de son travail au sein du groupe d’élaboration des programmes pour l’école maternelle , qui s’est arrêté en juin 2014, elle a fait une présentation personnelle des propositions concernant le langage dans les projets de programmes.

Tout d’abord elle précise que le seul document valable à ses yeux est celui de 70 pages. En effet, elle affirme que le groupe de travail a souffert de la commande de cinq ou six pages, qui attendait seulement un énoncé de principes généraux, lisibles par tout le monde. Selon le groupe, il était indispensable d’ajouter les manières d’atteindre ces objectifs, d’où un texte beaucoup plus long. Pour se rapprocher des attendus, il a donc été proposé un second texte, amputé des manières de faire, qui s’adresse aux parents et élus.

Elle a repris ensuite point par point les différentes parties du programme.

Le chapitre des missions de l’école maternelle donne l’orientation au reste du texte, et, tout en faisant preuve d’une grande ambition, respecte les moyens d’apprendre pour des petits, rappelle que les enseignants et les adultes doivent être attentionnés et décline les modalités d’accueil des parents qui nous confient leurs enfants. Le point de ce chapitre qui traite de l’éthique et du professionnalisme des enseignants, est une réelle nouveauté.

La place accordée au langage du maître, présent dans sa valeur transversale, est une évolution importante. Celui-ci doit donner aux enfants les matériaux dont ils ont besoin, leur expliquer les objectifs dans son langage à lui et leur dire où ils en sont de leurs apprentissages et de leurs progrès. Il faut aller très clairement vers un apprentissage explicite, estime-t-elle. L’enseignant est présenté comme un expert double, expert de la petite enfance et expert des apprentissages scolaires. En étant formé, en ayant des connaissances suffisantes en développement de l’enfant, il pourra interpréter. En se demandant si ce qu’il voit du comportement de l’enfant est un indice d’essai ou de progrès, il pratique une évaluation positive. On oublie le carnet à remplir. Les attendus de fin de cycle ne sont, dans la tête des concepteurs, surtout pas des items à évaluer systématiquement, mais plutôt des étapes, des balises par rapport aux objectifs rédigés. L’enseignant peut noter une observation ou un énoncé, par exemple dans le carnet de progrès, ou bien garder dessin ou production. Aucun enfant ne doit avoir le même carnet de progrès.

A propos de la liberté pédagogique, il faut se demander dans quel registre du métier on la situe, ce qu’on veut en faire, bref, quelle liberté pédagogique on veut. Attention, les enseignants sont trop formatés ! Il ne faut pas faire ce qui est écrit et le prendre pour argent comptant !

Visiblement en désaccord avec la majorité du groupe sur le style d’écriture du texte, Mireille Brigaudiot donne des exemples d’une écriture qu’elle qualifie de vivante, qui parle de la vraie vie avec des mots simples et d’un texte mort, sans affect et qui a supprimé les exemples, celui qui est resté. Ce texte, qui n’a rien à voir avec celui de 2008, remet en route la « machine langage », avec un centrage sur les activités plutôt que sur les produits. Ces activités sont de l’ordre de la compréhension et de la production d’écrit. Il faut lire devant les enfants, faire des choses avec l’écrit, expliquer… L’enfant doit pouvoir observer ce que le maître fait de l’écrit.

Un autre principe énoncé dans ce projet, la progressivité des apprentissages, tente de « tricoter » des notions d’ordre développemental et d’ordre scolaire. Ce ne sont pas des stades, mais c’est une régularité de progrès qui est proposée, avec un décalage pouvant aller jusqu’à deux années, et qui ne concerne que les apprentissages. L’enfant apprend en permanence, il apprend à parler à partir de ce que le maître enseigne. Il ne doit plus y avoir d’entraînement systématique pour aucune des activités langagières.

Mireille Brigaudiot récuse l’idée de balancier pour ce qui concerne la phonologie. Elle affirme qu’avec 4 objectifs qui concernent l’oral, 4 qui concernent l’écrit, on a perdu volontairement la dichotomie qui avait été posée entre la phonologie et la reconnaissance des lettres et qui n’était bénéfique que pour les enfants de milieux favorisés. On est revenu à quelque chose qui correspond au «découvrir le principe alphabétique » des programmes de 2002.

De même, selon elle, l’entraînement vers la cursive, qui n’est qu’un entraînement moteur, n’est certainement pas une révolution, dans la mesure où de nombreux enseignants le pratiquaient depuis longtemps. Par contre, les activités graphiques nécessitent un entraînement de tous les jours, qui pourrait être mis en œuvre en collectif. En France, on écrit en cursive, et c’est en écrivant que les enfants découvrent des tas de choses, la capitale, tous les autres signes et surtout des mots.

La dernière partie de l’intervention traitant de la prise en compte des enfants prioritaires, et de l’existence de l’effet maître, pose deux principes simples : valoriser les réussites et les essais et abandonner les questions/devinettes, et, à la place, expliquer et montrer. Finies les hypothèses sur le début d’un livre, les questions auxquelles la majorité des enfants n’ont aucun moyen de répondre !

Avant d’échanger avec la salle, Mireille Brigaudiot est revenue sur « Le loup, i sait pas que ça va se débriquer », expliquant en quoi cette phrase de Tiphaine, 3 ans, devant une page d’album bien connu, représentait une belle activité énonciative, d’interprétation, activité culturelle et de travail sur la langue ! En bref, comment une phrase comportant un joli mot inventé pouvait représenter autre chose qu’un bon mot d’enfant et une vraie activité intellectuelle de haut niveau. Et de souhaiter aux enseignants présents de garder les futurs programmes au moins dix ans …

Martha Laclairière